TEMOIGNAGES. "Ce n'est pas le procès des balcons effondrés d'Angers mais celui d'un drame humain qui a tué 4 enfants, traumatisé tant d'autres et brisé des familles à vie"

Le jugement est rendu ce mardi 31 mai dans l'affaire des balcons effondrés à Angers. Juste avant l'ouverture du procès en février dernier, nous avions recueilli le témoignage de victimes et familles qui attendaient et redoutaient ce moment. Parents endeuillés, rescapés, depuis 5 ans ils continuent à vivre et essayent de se reconstruire sans ceux qui ont perdu la vie ce 15 octobre 2016

Ils sont rescapés ou parents de l'une des victimes. Nous vous proposons une série de témoignages recueillis avant le procès. Ils nous racontaient notamment leur crainte de devoir affronter les prévenus, de se replonger dans ce drame qu'ils vivent depuis près de six ans. Témoignages.

Ce 15 octobre 2016, la fête commence à peine dans l'appartement d'Angers. 18 jeunes qui se connaissent depuis toujours discutent sur le balcon qui s'effondre. Le bilan est dramatique : 4 morts et 14 blessés. Des vies qui basculent et des familles brisées à jamais.

Pour Pascale et Guillaume qui ont perdu leur fille Lou de 18 ans cette nuit là, la douleur est intacte, vive et déchirante. Ce procès, ils l'attendent depuis 5 ans mais le redoutent.

Il va falloir faire face aux cinq prévenus, le maître d'oeuvre, le gérant de l'entreprise, le conducteur de travaux, le chef de chantier et le chargé d'affaire de l'APAVE.

"C'est quelque chose que l'on attend depuis très longtemps. Ça a été très long, on a hâte que ce procès arrive, on a aussi hâte qu'il soit terminé parce que l'on s'attend à ce que ce soit une épreuve assez difficile. On a surtout hâte de continuer à vivre le mieux possible, le plus sereinement possible", explique Guillaume.

L'enquête a été lente, l'instruction très longue. Le stress est là

Pascale Chéné, maman de Lou

"C'est un univers inconnu pour nous, compliqué à apprivoiser avec des codes très particuliers. On angoisse à l'idée de ce qu'il va se passer, de se replonger dans les événements, d'entendre aussi les témoignages, des choses que l'on connaît déjà mais qui vont refaire mal. Se confronter aussi aux parties adverses, je ne sais pas ce que cela va me faire. Après on a toujours eu confiance en la justice", ajoute la maman de Lou.

"Ce procès c'est quelque chose de totalement étranger à notre vie, ça nous dépasse"

Ils n'attendent aucune explication de la part des cinq prévenus. "Les explications sont claires, accablantes ! La seule chose que je souhaite c'est que ces personnes soient condamnées comme il se doit. Qu'elles soient reconnues responsables de ce qu'elles on fait."

On espère que les personnes impliquées reconnaissent leur faute et leurs erreurs, c'est peut-être un voeu pieux ! Ça c'est très important pour nous

Guillaume Chéné, papa de Lou

"Ce sont des professionnels qui avaient pignon sur rue, certains sont en fin de carrière ou à la retraite. En face d'eux, il reste des jeunes qui sont morts, des familles brisées. La moindre des choses c'est que vis à vis de tous ceux là, ils reconnaissent leur responsabilité, ils assument ce qu'ils on fait. Le reste c'est la justice qui va faire son travail et on souhaite qu'ils soient condamnés le plus fortement possible".

Le couple n'a qu'une exigence au final, que justice soit faite.

"Ce sont des professionnels, à partir du moment où ils ont fait des erreurs, tout comme moi si demain je brûle un feu rouge ou je tue quelqu'un en voiture, on m'enlève mon permis, j'ai plus le droit de conduire, on attend aussi que la justice prononce des interdictions d'exercer pour ceux qui travaillent encore", explique Guillaume Chéné

"Au départ je n'étais pas en colère"

L'instruction a été longue, 5 ans. "Au départ je n'étais pas en colère c'est au vu des résultats d'expertise que la colère est montée. Au début s'est allé très vite et puis ça a beaucoup ralenti. Parfois on désespérait", se souvient Pascale.

"Il y a eu beaucoup de moyens humains et financier mis en place", ajoute Guillaume.

Parmi les choses difficile à vivre, les reports d'audience."Pendant que nos enfants peinent à avancer, voir que des travaux notamment au Palais de Justice été encore confiés à une entreprise fautive, voir que l'architecte continuait à recevoir des prix, ça pour les victimes c'était insupportable.", se souvient la mère de Lou.

Longtemps, les parents de la jeune fille de 18 ans ont préféré le silence à la médiatisation. 

"Ce drame ce n'est pas juste un balcon qui est tombé. Ce sont 4 jeunes qui ont perdu la vie, d'autres blessés, tous fortement touchés psychologiquement. C'est important de remettre l'humain au coeur du procès on ne parle que de malfaçons mais ce sont des souffrances.", rappelle Guillaume.

"Le procès ne changera rien à la douleur" 

"Le drame c'était il y a cinq ans, pour nous c'est tous les jours, à chaque instant. Il faut que l'on vive avec ça. La réalité pour nous c'est tous les jours. Et c'est définitif, ça continuera après, toujours", veut préciser Pascale.

Ce procès il sera important "pour les victimes collatérales. Il y a des gens qui ne sentent pas légitimes, par exemple, parce qu'ils n'ont pas comme nous perdu un enfant et un autre blessé. Il est nécessaire que ceux là qui se débrouillent au quotidien, sans aide, soient reconnues comme des victimes, que la justice le dise."

C'est un traumatisme pour tout le monde. Alors nous sommes tous ensemble. Le fait de se regrouper, de parler oui ça fait du bien mais c'est difficile notamment pour les jeunes présents ce soir là

Pascale et Guillaumé Chéné, parents de victimes

"C'était une bande d'amis. Ils ont grandi ensemble, on les connait tous y compris leurs parents. On se sent fort ensemble mais ça nous rappelle combien ceux qui ne sont plus là nous manque. C'est une balance entre la force et la douleur. Il est sûr que l'on n'aurait jamais pu avancer chacun de notre côté", pour Pascale, la maman de Lou, difficile de parler sans replonger dans une douleur infinie.

Leurs fils aussi est tombé ce jour là. Il a été blessé. Il a perdu sa soeur et deux de ses meilleurs amis. 

"On a peur de ce que l'on va entendre"

"On a peur de ce que vont dire les avocats de la défense, on a peur d'être choqués. On espère que le procès sera digne", avouent les parents. 

Revivre les faits sera sans doute une épreuve, "la façon dont on a appris le décès de Lou a été une souffrance ajoutée à la souffrance. C'était un scénario horrible."

Là où on attendait de l'empathie et du réconfort il n'y a eu que du chaos.

Pascale Chéné

"On ne peut plus avoir de bons souvenirs, ce qui remonte sans cesse est désagréable, les images sont pénibles. Les policiers présents ce soir là ont été très humains, le CHU ne l'a pas été. C'est quelque chose de toujours prégnant pour nous. Nous avons attendu toute la nuit sans réponse. On nous disait, on ne peut pas vous dire, on ne sait pas, il y a des blessés mais on ne peut pas vous dire qui sont les personnes décédées", Guillaume ne décolère pas lorsqu'il replonge dans l'enfer de cette nuit.

"On avait plus d'informations par les réseaux sociaux et les médias. Jusqu'à ce que la direction de l'hôpital nous convoque. Le responsable de la communication a relevé un paquet de feuilles au dos duquel il y avait les quatre noms. C'est comme ça que nous avons appris sans pour autant rien confirmer." 

Pascale et Guillaume se sont accroché jusqu'au bout.

"Il a fallu repartir, annoncer la mort de Lou à ses frères, à ses grands-parents, à ses oncles, ses tantes, en ayant encore une lueur d'espoir en se disant, si ça se trouve comme on ne nous l'a pas annoncé officiellement, elle est dans une autre clinique".

C'est le procureur qui le lendemain matin, après avoir tenu un point presse, a reçu les quatre familles "dans un bureau froid", pour confirmer la terrible nouvelle.

Théophile le frère de Lou, présent à la soirée garde des souvenirs très précis.

Je revois la chute, pendant, après, à l'hôpital ensuite. Les images sont apocalyptiques, comme un scène de guerre, un fracas, la poussière, le sang, les corps

Théophile Chéné, blessé

Il est resté conscient, ultra-lucide sur tout ce qui se passait autour de lui. "Je me suis cassé le pied, le premier réflexe que j'ai eu, c'est de sortir tout de suite des décombres et d'aller aider ceux qui pouvaient être aidés."

Arnaud Rosin lui aussi se souvient parfaitement "le  bruit, je ferme les yeux, je me retrouve par terre. Je me lève et je ne sens pas la douleur. Et directement je vais essayer de sauver les personnes qui sont sous le balcon. Je n'arrive pas à savoir qui, combien, mais j'essaye et très vite je me rends compte que je n'ai pas de force."

"J'ai le sentiment d'avoir été dans une bulle d'auto protection où on pense principalement à soi," culpabilise presque Arnaud qui s'en est sorti avec une luxation de l'épaule et une fracture de l'humérus.

"J'ai appris à 6 heures les décès d'Antoine, de Benjamin, de Baptiste et de ma soeur "

La soirée vient de commencer. Il est à peine 23 heures. Certains sont à l'intérieur de l'appartement ou sur le balcon, d'autres ne sont pas encore arrivés.

Après l'effondrement, les blessés sont vite évacués par les secours. Pris en charge d'abord par les pompiers puis par le CHU d'Angers, les deux garçons ne réalisent pas tout de suite.

"L'attente a été longue, très longue. Il y a des mécaniques administratives qui empêchaient les gens de communiquer sur le nombre et le noms des morts. Le temps est flou dans ma tête. J'ai été admis à l'hôpital sur le coup de minuit, j'ai appris à 6 heures les décès d'Antoine, de Benjamin, de Baptiste et de ma soeur. On ne pouvait pas imaginer ça, ce n'était pas possible", raconte Théophile.

La plaie est encore très ouverte

Arnaud Rosin, blessé

"L'enquête a été très longue à vivre on voulait qu'elle soit complète mais cela a provoqué beaucoup de frustrations. 5 ans c'est énorme, surtout lorsque l'on doit continuer à vivre avec ça, se reconstruire", poursuit le frère de Lou.

On veut que la lumière soit faite sur ce qui s'est passé, que les personnes qui n'ont pas fait leur travail comme il le fallait soient condamnées. Il faut que cela serve d'exemple pour que ça ne recommence pas

Arnaud Rosin

"On l'attend ce procès mais on sait que ça va être long, très éprouvant d'être confronté aux faits et surtout aux responsables. C'est ambigu on a envie que ça arrive mais on le redoute", avoue Théophile.

En eux, Arnaud ne le cache pas, il y a beaucoup de colère.

A 25 ans on n'a pas le droit d'enterrer 4 personnes. Rien ne nous les ramènera

Arnaud Rosin

Leur jeunesse à tous a basculé. Ils apprennent aujourd'hui à grandir ensemble et à guérir ensemble. 

On ne vit plus et on ne réfléchit plus de la même manière. Sur des choses insignifiantes parfois on développe des peurs, on imagine des scénarios catastrophe. Faut grandir avec ça, c'est pas évident. On fait comme on peut et du mieux qu'on peut pour continuer à vivre

Théophile Chéné

"J'ai besoin de comprendre comment ça a pu arriver"

Youri est un rescapé de cette terrible soirée. "J'ai besoin de comprendre comment on a pu en arriver là, comment un balcon a pu s'effondrer alors que sa fonction première c'est de soutenir sa charge. Il va falloir aussi tirer les enseignements d'un tel drame. Et s'il le faut, changer les règles, changer les lois, les process dans les entreprises, afin que cela ne se reproduise jamais. Je ne souhaite à personne ce qui nous est arrivé."

Nous sommes soudés et nous attendons tous des réponse. Il va falloir se replonger dans les faits, c'est assez lourd émotionnellement

Youri Lemale, rescapé

L'accident les a rapproché. Ils sont encore plus unis. "Après, la vie et ses événements font que l'on évolue différemment mais on se retrouve régulièrement. Pour moi, ces 5 années ont été longues, très longues, une vie entre parenthèse".

"Nous avons tous avancé parce que nous n'avons pas le choix. Là, avec le procès on est arrivé au bout. Personnellement je me suis enfermé dans une bulle, notamment dans le travail. On a perdu certains repères, des amis, des frères, des soeurs, des enfants. Il faut réussir à se reconstruire", raconte le jeune homme. 

Lui, se décrit comme un miraculé qui n'a eu "que des blessures superficielles, des bleus, des douleurs.

"J'ai eu la force d'aller aider mes amis mais j'ai tout vu, j'ai encore des flashs dans la tête. C'est ça le plus dur à vivre. Ces souvenirs me hanteront toute ma vie, ils ne partiront jamais."

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