Pas l'ombre d'un de nos festivals habituels cet été. Mais le coronavirus aura peut-être eu une vertu, celle de révéler un peu plus leur utilité sociale. Le Pôle de coopération pour les musiques actuelles en Pays de la Loire sort une étude sur le sujet. Les festivals ne sont pas que divertissants.
Avec habituellement plus de 180 festivals de musiques actuelles, les Pays de la Loire affichent une belle dynamique, constituant pour les jeunes ligériens "des espaces propices aux premières expériences de sorties culturelles...". Mais il serait simpliste de réduire tous ces festivals à leur seul caractère divertissant, c'est ce qui ressort d'une étude réalisée par Marion Tourrier Leglise, chargée d'étude missionnée par le Pôle de coopération pour les musiques actuelles. Pour elle, les festivals sont bien plus que ça, ils sont des "laboratoires où l'on innove sans cesse pour s'adapter et surprendre, où l'on rend possibles de nouvelles pratiques sociales et professionnelles...".
Diversité culturelle, engagement sociétal, construction de soi et du collectif, impact économique et territorial... Les dimensions de cette utilité sociale sont multiples. Pour cette étude qui les met en exergue, Marion Tourrier Leglise a enquêté auprès de toutes les parties prenantes des festivals et pu compter sur la participation de 14 festivals, 27850 festivaliers et 676 bénévoles.
Bien évidemment, en cette année de pandémie et d'annulation massive des festivals, l'étude prend une dimension particulière, un "triste paradoxe", dixit en préambule Gérald Chabaud, Directeur du VIP, directeur du Festival les Escales et Président du Pôle de coopération pour les musiques actuelles.
Pour nous expliquer tout ça et plus encore, nous avons interrogé Marion Tourrier Leglise, Gérald Chabaud, mais aussi Steven Jourdan, programmateur du festival Un Singe en Été et Julien Deroo, chargé de communication au Pôle.
Pourquoi une telle étude ?
Marion Tourrier Leglise. Cette étude est issue d’un projet collectif porté par les festivals de musiques actuelles ligériens et le Pôle de Coopération pour les musiques actuelles en Pays de la Loire (en partenariat avec le cabinet d’étude GECE). Elle s’inscrit dans la continuité d’un premier volet « Publics et Économie » sortie en 2016, concernant les publics et l’impact économique des festivals. Pour se démarquer et faire prendre conscience de leur utilité sociale, ces structures organisatrices se devaient de valoriser leur impact social, économique et territorial. Les objectifs généraux étaient de montrer la professionnalisation de la filière par la montée en compétences des équipes, la cohérence entre pratiques professionnelles et les valeurs des structures, la capitalisation et valorisation des expériences, ainsi que la reconnaissance des musiques actuelles comme filière économique régionale.Julien Deroo. Il nous paraissait important de mettre en avant le rôle de ‘laboratoire’ que sont les festivals. Durant 24, 48 heures ou une semaine, les organisateurs deviennent responsables d’une ville éphémère composée d’une centaine ou de milliers de personnes. Il y a des notions de sécurité, de gestion de flux, de parking, d’eau… Ces temps sont alors l’occasion d’expérimentations que l’on retrouve ensuite dans nos quotidiens. C’est générateur d’envies, d’implications territoriales, sociales, citoyennes. Ces temps construisent et forment des individus, des savoirs-faire et des savoirs-être. L’un des objectifs de départ est donc de mettre en avant cette énergie, ceux qui font nos festivals. Tout simplement d’expliquer le rôle des festivals dans nos territoires.Durant 24, 48 heures ou une semaine, les organisateurs deviennent responsables d’une ville éphémère composée d’une centaine ou de milliers de personnes
Comment a-t-elle été accueillie par les parties prenantes ?
Gérald Chabaud. Les festivals ayant répondu au questionnaire ont tous conscience que "faire" c'est bien et utile, mais que "faire savoir et connaître" est important, car il permet d'aborder sur des angles nouveaux nos rapports avec les festivaliers, mais aussi les tutelles publiques, les sponsors et le mécènes. L'étude éclaire d'un jour nouveau les enjeux multiples de nos événements, nos volontés et nos réalisations.Marion Tourrier Leglise. Mesurer l’utilité sociale, c’est prendre en compte l’ensemble des parties prenantes d’un projet afin de favoriser le partage d’informations et de la connaissance. Ainsi, l’étude se compose de trois enquêtes différentes permettant d’étudier 16 festivals ligériens : une sur les publics (soit près de 28 000 festivaliers répondants), une sur les bénévoles (près de 700 répondants), et une sur les structures organisatrices (14 évènements). Elle est issue d’un désir en interne de la part des festivals. Nous espérons que ce travail permettra une prise de conscience de l’utilité de ces évènements pour les habitants, élus et institutions.
Quelles en sont les grandes lignes ?
Marion Tourrier Leglise. L’ensemble des données recueillies nous a permis d’observer différentes dimensions de l’utilité sociale identifiées collectivement avec les festivals : la diversité culturelle, l’engagement sociétal, la construction de soi et du collectif, la gouvernance et l’impact économique et territorial. Tout en prenant en compte la grande diversité et la spécificité de chaque festival en terme de taille, esthétique, territoire, budget...Ces évènements représentent de véritables laboratoires d’expérimentation, impliquant tout un écosystème d’acteurs permettant de donner vie à ces projets (prestataires, partenaires, équipe en interne, organisation professionnelles, collectivités, sociétés civiles, etc.). Ces évènements ne peuvent être réduits à leur caractère divertissant, et leurs organisateurs représentent de vrais acteurs de développement culturel et musical tout au long de l’année sur les territoires. Ils recréent des micro-sociétés avec des valeurs fortes, offrent une expérience complète pour ses publics et bénévoles, tout en contribuant à dynamiser les territoires dans lesquelles ils sont inscrits. Ces festivals proposent une offre artistique diversifiée, placent la mixité sociale et la prévention au cœur de l’expérience, tout en étant acteur de professionnalisation pour leurs bénévoles et salariés, et créent une vraie synergie sur les territoires.
Julien Deroo. C’est tout le problème de l’utilité sociale. Le champ est tellement vaste qu’il est complexe de le résumer en quelques grandes lignes. S’il fallait sortir 3 idées, ce seraient le besoin de sortir de son quotidien, l’envie de s’engager dans la société et la participation à la dynamique de son territoire. Dans une société ‘metro-boulot-dodo’, on a besoin d’exutoires. Et c’est plutôt rassurant de voir que cela peut se faire dans des projets qui participent au développement de soi, de la citoyenneté et des territoires.
La crise sanitaire actuelle n'a t-elle pas justement mis en exergue cette utilité sociale des festivals ?
Marion Tourrier Leglise. La sortie de cette étude aujourd’hui est en effet d’autant plus impactante à la suite de l’annulation des festivals de musique pour la saison 2020. Ces annulations permettent en effet de prendre conscience de l’attachement des publics à ces évènements, mais aussi de l’impact économique qu’ils représentent, puisque l’annulation de 13 festivals permet d’estimer à près de 10 millions les pertes pour les commerces locaux, ainsi que près de 450 000 billets non vendus.Steven Jourdan. La crise sanitaire a surtout mis en avant le fait que l'utilité sociale de nos événements était aujourd'hui très sous-évaluée. Nous sommes, j'en suis persuadé, une partie de la solution du "monde d'après" pour reconstruire du lien et du vivre ensemble.Nous sommes, j'en suis persuadé, une partie de la solution du monde d'après pour reconstruire du lien et du vivre ensemble.
Les festivals ont été longtemps dans le flou quant à la manière dont ils pourraient, ou non, s'adapter à cette crise.
Alors que l'économie primait dans les discours politiques, la culture à été absente de nombreuses considérations alors qu'elle aurait pu avoir son rôle à jouer.
L'utilité sociale se mesure sur le temps long et les dégâts provoqués par cette crise sur le travail que nous effectuons au quotidien ne se verront pas du jour au lendemain. J'espère que cette étude sera à même d'être utilisé à bon escient par nos partenaires politiques afin de rapidement remettre en marche l'action de proximité que nous tissons sur nos territoires respectifs.
Julien Deroo. Oui et non. Oui parce qu’évidemment, le public exprime son besoin et ses envies. On le voit avec les terrasses pleines, les rues remplies et avec les photos d’apéros sur les quais de Seine ou de Loire dès le mois de mai 2020. Et non, l’utilité sociale des festivals ou lieux de musique n’est pas exprimée par les responsables étatiques et économiques. En mars 2020, ces structures ont été nommées ‘comme non essentielles à la vie’ par le premier ministre de l’époque.
Pendant cette crise, les entreprises ont largement augmenté leur enveloppe de mécénat. Mais cet argent va logiquement à la santé. Les secteurs de la culture et du sport voient leur soutien privé diminuer. Les pouvoirs publics demandent aux organisateurs de faire en les laissant dans l’incertitude. Au final, les rassemblements sont interdits. On fait, défait, refait pour au final annuler. Il y a un véritable sentiment de manque de considération.
Gérald Chabaud. Dans cette période de crise sanitaire, le confinement nous a tous (re-)montré que l'homme est un animal social et combien sont importantes et primordiales les interactions. Nos festivals sont le reflet exacerbé de cela, et nos actions vont toujours plus dans le sens de multiplier les échanges, de susciter des rencontres, des curiosités et des engagements.
Quelles seront selon vous les répercussions de la crise sanitaire actuelle sur les festivals ?
Julien Deroo. Aujourd’hui, il est difficile de répondre à cette question. Pour y répondre, il faudra du temps et surtout, il faudra dépasser le simple cadre de l’économie des organisateurs de festivals. L’étude indique que chaque festival sollicite en moyenne 128 prestataires ; que chaque festivalier dépense en moyenne 43€ dans les commerces locaux. C’est tout un écosystème qui est impacté et bouleversé.Si la population continue de dépenser, elle le fait différemment. Si les collectivités développent des aides aux festivals, qu’en est-il pour les prestataires ? Comment les uns et les autres s’en relèveront-ils ? Quels seront les impacts humains ? Et malgré toute la bienveillance qui est exprimée en ce moment, ce sont les liens de confiance qui sont mis à rude épreuve. Les liens de confiance entre les structures culturelles, les salariés, les bénévoles, les employeurs ou encore avec l’ensemble des acteurs territoriaux qu’ils soient économiques ou institutionnels.
Steven Jourdan. La perte du lien humain durant ces longs mois va sans nul doute créer un manque, un besoin de reconnexion avec les autres. Pour les festivals qui s'en relèveront (je l'espère nombreux) leur rôle sera d'autant plus crucial pour recréer ces dynamiques autant en interne - bénévoles, partenaires, actions culturelles - que pour les publics. Si on est optimiste on peut imaginer que notre rôle sera d'autant mieux apprécié qu'il a manqué. Et peut-être que ce manque va amener à de nouvelles propositions, ce serait chouette ça aussi.
Gérald Chabaud. Nos festivals sont des lieux de rencontre, dans lesquels nous développons l'exact contraire du confinement et des distanciations physiques et sociales. A travers les quelques spectacles et concerts qui se déroulent cet été, on peut constater, que les retours des publics, bénévoles, etc. sont plus qu’enthousiastes. On sent un vrai manque et un plaisir décuplé à retrouver ces moments de culture et de convivialité. On ne sait pas encore comment (et si) pourront se dérouler les festivals en 2021, mais n'avons aucun doute sur l'appétence que le jeûne musical fera naître ! Espérons que nos événements retrouveront leur fonctionnement "normal" et nous aurons encore plus à cœur de multiplier l'utilité sociale de nos festivals et qu'elle rencontrera encore plus d'écho.Nos festivals sont des lieux de rencontre, dans lesquels nous développons l'exact contraire du confinement et des distanciations physiques et sociales
Propos recueillis par Eric Guillaud le 28 juillet 2020
L'étude est disponible en ligne ici