Plumes bouffantes et soyeuses, colorées de fauve ou de blanc crème, les poulardes se pressent autour de l'abreuvoir. Goulûment, elles trempent leur bec dans le breuvage laiteux: un mélange de lait de vache et de décoctions de plantes sauvages soigneusement sélectionnées.
Une vraie potion magique qui leur donnera une chair "serrée, moelleuse, onctueuse" lorsqu'elles atterriront sur la table de grands restaurants, en France, en Europe et jusqu'en Asie, savoure d'avance Pascal Cosnet, qui les bichonne dans sa ferme de Coulans-sur-Gée, tout près du Mans (Sarthe).
Radis noir et racines de pissenlit permettront "d'éviter l'engorgement du foie pendant la période d'engraissement" et surtout de favoriser le développement des bonnes "graisses gastronomiques au lieu des graisses d'obésité", explique ce féru de botanique et de biologie, dont la famille élève des poulardes depuis quatre générations.
C'est d'ailleurs de sa grand-mère, qui distribuait à ses poules des brassées d'herbes cueillies au bord des chemins, que l'éleveur tire le secret de sa réussite.
"Si on m'enlève la phytothérapie, je change de métier ! Je ne peux plus faire les mêmes poulardes", s'exclame le volubile gentleman farmer.
Immunité et tonus
Il y a trente ans, prenant exemple sur son aïeule, il se lance avec un ami biologiste dans la collecte de plantes, achetant pour l'occasion dix hectares de prairies et de sous-bois totalement préservés près du Mont Saint-Michel, à 150 km de la ferme.Les deux compères y récoltent feuilles, tiges, baies ou racines selon la saison, utilisant au total 150 espèces de plantes par an.
Ortie, prêle, armoise, bourrache, thym..."Ce sont des plantes riches en minéraux et oligo-éléments, comme le magnésium, qui augmente l'immunité et la résistance aux maladies. Elles donnent du tonus et du goût aux volailles", explique Pascal
Cosnet, qui n'utilise aucun autre médicament ou antibiotique. "On veut des poulets rustiques qui se défendent contre la nature", grâce à une décoction contenant 25 plantes à chaque fois, ajoutée chaque jour à la bouillie à base de blé, maïs et soja non-OGM que mangent les poulardes, pintades et autres chapons de la ferme.
Une autre mixture dite "d'affinage", pour l'engraissement, leur est donnée dans les 15 jours précédant l'abattage.
Sept ans de recherche ont été nécessaires pour mettre au point ces tisanes amères et salées, que l'éleveur et sa famille n'hésitent pas à boire eux-mêmes pour lutter contre les maladies hivernales.
Les mauvaises herbes, de la biodiversité
L'ambition de "reproduire le fonctionnement de la nature" s'étend à tout le fonctionnement de l'élevage, où ni les pesticides ni les insecticides ne sont autorisées. Les "mauvaises herbes" y sont vues comme de la biodiversité.Les céréales sont cultivées sur place, dans les collines de Coulans-sur-Gée, juste à côté des prairies où s'ébattent les volailles pendant la quasi-totalité de leur vie, à l'exception des dernières semaines d'engraissage.
Dans l'herbe, les chapons tentent gauchement de voleter. Ils s'affairent surtout à picorer les vers de terre, au pied de buissons de ronces plantés pour leur capacité à attirer les insectes dont sont friands les volatiles.
Précurseur, l'agriculteur a arrêté de labourer ses champs il y a 35 ans, appliquant les préceptes de l'agriculture "intégrée" qui vise à préserver la matière organique des sols.
"Pour avoir de beaux animaux, il faut de beaux sols, car ils accumulent pendant des millions d'années des minéraux" qui remontent à travers les racines des plantes, explique l'éleveur.
Mais Pascal Cosnet refuse l'appellation bio, "car elle a été trop exploitée par l'industrie agroalimentaire et la grande distribution".
Une position qui ne l'empêche pas de vendre 30.000 volailles par an.