En Sarthe, comme dans de nombreux départements en France, la désertification médicale prend de l'ampleur. Difficile pour les médecins de campagne de trouver un successeur. C'est le cas du médecin du village de Parcé-sur-Sarthe. Ce samedi, il assurait ses dernières consultations
Sur le mur extérieur du cabinet médical, au 4 de la rue de l'Epervier, la plaque grise qui indique les jours et horaires de consultation, va être dévissée.
Franck Marchesseau s'était installé dans cette petite commune en septembre 1987, après des études à Paris, à l'hôpital Broussais.
"A l'époque, se souvient Franck Marchesseau, quand on était jeune généraliste cherchant à s'installer, on regardait les petites annonces sur des journaux professionnels. On regardait dans quel coin on voulait s'installer, s'il y avait une clientèle à vendre. L'idée était d'acheter, pour un demi-chiffre d'affaire annuel, la clientèle d'un médecin qui partait en retraite. Je voulais quitter la banlieue, partir plutôt vers l'ouest."
Le tout jeune docteur Marchesseau a trouvé, à Parcé-sur-Sarthe, les conditions intéressantes dans ce cabinet dont les murs étaient loués pour une somme modique par la commune.
"Pour démarrer, c'était plutôt facile" dit-il.
"Mon but, c'était de pratiquer cette médecine-là"
Satisfait de ce choix, Franck a décidé de rester et il a acheté une maison, juste en face.
"C'était confortable d'aller boire un café quand on n'avait pas grand monde et de revenir, sourit-il. Il n'y a pas beaucoup de collègues qui peuvent faire comme ça maintenant."
L'homme a toujours voulu être médecin généraliste, pour la variété des actes que cela implique.
"Voir un bébé de 3 ans, une grand-mère de 90 ans, c'est très varié et il faut s'adapter. Mon but, c'était de pratiquer cette médecine-là", confirme le Dr Marchesseau.
Mais il reconnaît que c'est un métier de solitaire, contrairement aux maisons médicales actuelles où plusieurs soignants se regroupent.
Pour ce banlieusard, arrivé "par hasard" dans la Sarthe, le temps est venu de raccrocher le stéthoscope. Et ils sont nombreux dans ce cas dans ce département qui vit de plein fouet le phénomène de désert médical.
"On forme autant de médecins qu'avant et même un peu plus avec le numerus clausus qui a augmenté de 10 %, explique-t-il. Il faudrait en former beaucoup plus, il y a eu une sorte de baby-boom de médecins qui sont arrivés tous en même temps, j'en faisais partie, sauf qu'on va partir à la retraite tous en même temps."
La politique imaginée dans les années 80/90 de réduire le déficit de la Sécurité sociale en réduisant le nombre de prescripteurs, donc de médecins, génère aujourd'hui ses effets délétères.
"C'était facile à prévoir que la courbe allait se dégrader trente ans plus tard, fait remarquer Franck Marchesseau. Ça n'a pas été du tout pensé comme il le fallait."
"Ça fait un gros vide"
"On tourne une page", reconnaît Nicole, qui vient de sortir du cabinet médical avec son mari, Jean-Yves.
"Ça fait 33 ans qu'on vient chez notre docteur, enchaîne Jean-Yves. Franchir la porte, ça fait drôle. On sait qu'on ne va pas revenir. On était habitués avec notre docteur. Il nous connaît, il sait les problèmes qu'on a. J'ai eu des problèmes au cœur, il m'a envoyé aux urgences aux Mans pour me poser un pacemaker. Il l'a vu tout de suite."
Pour ce couple, le Dr Marchesseau était plus qu'un médecin familial, ils connaissent aussi sa famille. Mais ce départ en retraite est dans l'ordre des choses.
"Il faut savoir s'arrêter", dit Nicole. "La vie est courte après", ajoute, philosophe, Jean-Yves.
Pendant ce temps, dans le cabinet, Franck Marchesseau termine la consultation suivante, rend sa carte vitale à la patiente venue ce samedi matin, le dernier passé ici pour ce praticien de 67 ans.
"Bonne retraite à vous" lui souhaite la patiente avant de passer une dernière fois la porte du cabinet.
Une maman avec sa petite fille s'inquiète de la suite.
"Ça fait un gros vide, déclare-t-elle. On se dit que, derrière, il n'y a pas de médecin. Surtout pour les enfants. Ça fait une complication en plus qui se rajoute. On a un peu peur aussi pour le village, de se dire : est-ce que la pharmacie aussi va fermer ?"
Dans cette commune de 2000 habitants, au sud-ouest du Mans, on appréciait ce généraliste qui prenait sans rendez-vous et faisait encore des consultations à domicile.
"C'était un médecin très accessible pour tout le monde, dit cette maman. On sait que c'est compliqué de trouver un spécialiste ou un médecin traitant. Là, on se dit : comment on va faire ?"
"Au-delà du médecin généraliste, le métier d'infirmière libérale est hyper important en campagne"
Les visites à domicile, le Dr Marchesseau y tenait. Une échappatoire qui lui permettait de prendre l'air, sortir du cabinet.
"Ça permettait de voir les gens chez eux, dit-il, on se rend compte de la réalité sociale, de leurs réelles conditions de vie. Et puis, dans la campagne, il y a des gens isolés qui ne peuvent pas se déplacer. Ça fait partie du métier de généraliste. Au-delà du médecin généraliste, le métier d'infirmière libérale est hyper important en campagne. Elles peuvent donner l'alerte rapidement quand elles voient quelqu'un qui décline et qui n'ose pas appeler. Elles ne sont pas beaucoup payées pour le métier qu'elles font."
Plusieurs patients lui ont apporté un cadeau pour ce départ en retraite. Après avoir partagé les histoires familiales, vu les enfants naitre, les séparations se faire aussi, après avoir vu le village évoluer, les modes de vie changer, pratiqué un peu de théâtre amateur avec certains, le Dr Marchesson s'en va, sans exploser de joie de prendre une retraite méritée.
Il aurait préféré transmettre son cabinet à un successeur. Le praticien continuera cependant de soigner dans un EHPAD de la commune, comme médecin coordinateur, ce qu'il est déjà depuis 20 ans. Mais pour les habitants de Parcé-sur-Sarthe, la quête d'un nouveau généraliste a commencé.
"Ils ont toujours eu l'habitude dans ce village-là d'avoir un médecin à plein temps depuis 1900 je crois, fait-il remarquer. Ça va faire drôle."
Un médecin devrait venir faire une journée et demie par semaine à partir du mois d'octobre. C'est presque acté. Mais ça ne suffira pas.
► Le reportage de Marc Yvard, Christelle Massé et Nathalie Saliou.