Que se passe-t-il dans le cabinet de consultation d'une gynécologue ? La parole est donnée aux femmes dans le huis-clos du cabinet de gynécologie de Céline Plard Dugas, au Mans. Ici, elles se livrent et se délivrent sur leur vie, sur leur intimité, encouragée par l'écoute bienveillante de la praticienne. Des vies de femmes, de tous âges, qui se succèdent et se racontent, devant la caméra discrète de Amalia Escriva.
"J’étais assez jeune, ce n’était pas le bon moment, ni la bonne personne." Veste en jean, pantalon rouge et cheveux tirés en arrière, la jeune femme a une petite vingtaine d’années. Il y a deux ans, elle a subi une IVG. Aujourd’hui en consultation avec Céline Plard Dugas, elle évoque le stérilet qu’elle porte depuis, c’est une visite annuelle.
"L’IVG c’était clair pour vous ?" demande la gynécologue. "Moi je voulais le garder, lui ne voulait pas." Les mains se tordent, l’entretien avance, les réponses aux questions se font lapidaires .
Vous avez pu en parler à quelqu’un à l’époque ? -Non, j’ai voulu me remettre toute seule - Vous savez, c’est important de pouvoir en parler. Si vous avez un projet de grossesse à l’avenir, ça peut être un obstacle psychologique pour vous, mais on pourra vous orienter si vous le souhaitez le moment venu vers quelqu’un qui vous écoutera.
La jeune femme essuie des larmes. Non, rien n’était réglé depuis deux ans. Deux ans de solitude avec «ça ».
S’il y a une méthode Céline Plard Dugas, c’est une méthode douce, comme une conversation. Elle écoute, conseille, propose, n’impose pas. Son approche qui prend en compte la psyché des femmes se situe dans le droit fil de l’éthique du docteur Marc Zafran, plus connu sous son pseudonyme d’écrivain, Martin Winckler (La maladie de Sachs, Le chœur des femmes) avec qui elle collabora à l’hôpital public du Mans pendant deux ans.
Au fil des consultations qui s’enchaînent, l’art d’être médecin se déploie sous nos yeux, dans une écoute bienveillante et avec le temps qu’il faut, parfois jusqu’à trois quarts d’heure.
Contraception, grossesse, sexualité. Règles. Utérus, vagin, trompes, ovaires. Tout au long du film, les mots se fraient naturellement un passage permettant aux femmes et à leur thérapeute de mettre en paroles intelligibles ce que dit confusément leur corps parfois, ce corps soumis à des épreuves que les hommes ne connaissent pas.
De formuler aussi l’espoir, les angoisses, le désir.
"Les femmes se doivent d’être lisses, d’afficher un bien être permanent à l’école, dans le monde professionnel, dans leur entourage amical ou familial" explique Amalia Escriva.
"Il est impératif qu’elles soient toujours prêtes à donner le meilleur d’elles-mêmes, à travailler à l’égal de leurs collègues masculins, en faisant fi de leur corps qui mute à l’adolescence, des règles douloureuses, des grossesses. Quant aux troubles physiques et psychologiques liés à la ménopause, il est presque honteux d’en parler autour de soi constate la réalisatrice. J’ai voulu réaliser un film qui soit à l’écoute de cette intimité des femmes, de la façon dont elles vivent leur corps et ses transformations successives, aux différents âges de leurs existences."
Par contrainte et par choix, la réalisatrice a opté pour un dispositif aussi simple que son sujet est complexe : un cadre fixe pour chaque consultation, la caméra se plaçant tantôt dans le dos de la gynécologue, tantôt derrière la patiente.
Ce dialogue entre deux personnes à l’écran fait apparaître une foule d’autres présences, invisibles mais palpables : un mari décédé il y a peu, un autre qu’on a quitté. Une mère qui s’inquiète des règles précoces de sa fille et se remémore de sa propre mère, muette sur le sujet. Et puis les enfants qu’on a eus, les enfants qu’on attend, ceux qu’on a perdus.
Parfois tout de même, on vient à deux. "On voudrait mettre en route le deuxième, j’ai tous les symptômes de la grossesse, colostrum, nausées, l’impression que mon ventre grossit, je viens de faire un test de grossesse, il est négatif." Pendant que son épouse confie sa contrariété à Céline Pard Dugas, le regard du mari erre sans savoir où se poser, sourire un peu crispé. On l’imagine gêné, dans ce dialogue entre femmes où il ne trouve pas sa place, par ce vocabulaire qu’il connaît et qui pourtant lui est étranger. Mais il est là.
Elle dit sa déception de ne pas être enceinte, puis évoque une collègue qui a fait une fausse couche au premier mois de grossesse et fond en larmes. Céline Plard-Dugas la rassure, "ça viendra ne vous inquiétez pas, ça va se faire." Elle acquiesce dans un rire aussi nerveux que ses pleurs d’angoisse quelques secondes auparavant.
Lors de cette autre consultation, l’homme est hors champ. Il est inquiet, explique que le stérilet de sa partenaire le gêne, que cela lui procure des sensations désagréables lors des rapports sexuels, il se sent « trop serré », se plaint d’une lubrification insuffisante.
Incrédule, le regard de sa compagne face à la caméra fait des allers-retours entre lui hors cadre et la gynécologue filmée de dos. "C’est dans la tête, on dirait que pendant les rapports, vous êtes dans l’analyse plutôt que dans votre sexualité" lui fait remarquer la médecin. La consultation prend le tour d’une leçon d’anatomie féminine : image à l’appui, elle lui montre qu’en aucun cas le stérilet ne peut être en contact avec son sexe. " Chaque corps de femme est différent insiste Céline Plard-Dugas, "les sensations que vous aviez avec d‘autres partenaires ne se reproduisent pas."
Parfois, une mère accompagne sa fille. La contraception a commencé quelques mois plus tôt, elle se plaint de fatigue et de maux de tête. La médecin questionne : y a-t-il des changements dans le mode de vie, des soucis ? Non, tout va bien dit en substance la fille, mais la mère lui chuchote quelque chose à l’oreille. "Ah oui, je n’ai pas de désir sexuel" lâche-t-elle sur un ton indifférent.
Céline Plard-Dugas la rassure, elle est jeune, et personne ne vit ces choses-là de la même façon. De fil en aiguille, on comprend l’inquiétude la mère, qui pense que sa fille est attirée par les filles. Elle ne le dit pas comme ça la mère, elle ne dit pas « les filles » mais « le féminin » comme pour envelopper de masculin une orientation sexuelle qu’elle dit ne pas réprouver, mais qu’elle semble vivre comme une menace déstabilisante. Sa fille, elle, n’en dit pas grand-chose, elle ne sait pas si elle préfère les filles ou les garçons, elle dit d’ailleurs qu’elle s’en fiche.
Dans le cabinet de la gynécologue et à ses permanences au Centre Municipal de Santé Olympe de Gouges au Mans, on entendra ainsi parler le corps des femmes, on écoutera les femmes parler de leur corps.
Leurs situations sont diverses, leurs âges aussi, et leurs vies plus encore. Ce qui les lie ici, c’est leur capacité à dire et à s’ouvrir à la relation, afin que leur corps ne parle pas à leur insu. Ce que permet Céline Plard – Dugas dont les propos ouvrent le documentaire, et pourraient tout autant le conclure : "la part la plus importante de mes consultations se joue dans le face-à-face avec mes patientes. Les clés, vous les trouvez en écoutant les femmes. Faire alliance avec elles, c’est ça qui m’importe, qu’elles soient actrices de leurs choix, de leurs vies, de leurs soins."
Le Corps des Femmes, un documentaire de Amalia Escriva à voir ce jeudi 27 octobre à 23h50 sur France 3 Pays de la Loire
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