Dans une lettre adressée au ministre de la Santé, 56 chirurgiens et anesthésistes de la Sarthe annoncent démissionner de leurs tâches administratives vendredi 3 mars. Ils estiment ne plus pouvoir exercer leur mission de soin et demandent plus de ressources pour l'hôpital public.
"La situation n'est pas normale. Elle nous impose de faire des choix alors que lorsqu'on prête serment, on s'engage à traiter les patients sans avoir à choisir."
Le ton de Julien Barbieux, chirurgien viscéral, est aussi ferme que l'agacement du corps médical du centre hospitalier (CH) du Mans est grand.
À tel point que 56 chirurgiens et anesthésistes ont décidé de démissionner de leurs fonctions administratives, "que ce soit siéger dans des commissions ou sur des projets à plus long terme".
On démissionne administrativement parce que la situation est devenue intenable. On ne peut plus exercer notre fonction principale qui est celle de chirurgien, et donc de soigner.
Julien BarbieuxChirurgien viscéral au centre hospitalier du Mans
Une partie du problème est le "manque de ressources paramédicales", selon le praticien. Le CH du Mans a dû fermer 60 lits depuis le début de l'année 2023.
"60 lits fermés, c'est 114 interventions chirurgicales déprogrammées entre début janvier et début février. Deux tiers ont pu être reprogrammées, mais les patients n'ont pas encore tous été opérés", détaille Julien Barbieux.
Les soignants frustrés de devoir prioriser
Les praticiens se retrouvent pris en étau entre l'impossibilité d'hospitaliser, et l'afflux de nombreux patients au CH du Mans, établissement de référence dans le département de la Sarthe. Ses urgences sont ouvertes sept jours sur sept et 24 heures sur 24.
On ressent de la colère, de l'inquiétude et de la frustration de ne pas pouvoir faire notre métier, et de rendre service à la population comme on le devrait.
Henri-Pierre DernisChirurgien ORL au centre hospitalier du Mans
"La chirurgie a une grosse part d'activités programmées, et on est parfois obligés de laisser la place des patients programmés à d'autres patients qu'on doit prendre en charge en urgence", explique Henri-Pierre Dernis, chirurgien ORL et cervico-facial au Mans. Mais les soignants sont frustrés de devoir constamment prioriser.
On fait pas ce métier pour choisir, on est là pour soigner tout le monde, et c'est aussi le rôle de l'hôpital public. Aujourd'hui les choix nous sont contraints.
Julien BarbieuxChirurgien viscéral au centre hospitalier du Mans
"Les déprogrammations ont touché des patients de tous âges et de toute spécialité, ajoute Julien Barbieux, que ce soit des maladies fonctionnelles ou de l'oncologie avec des malades qui ont dû être décalés de quelques jours pour être pris en charge."
Un geste symbolique
En se détournant de leurs fonctions administratives, les soignants réaffirment que, pour eux, l'urgence est d'assurer les soins d'urgence et les soins programmés.
Henri-Pierre Dernis admet que l'acte est avant tout symbolique,"parce que ce n'est pas notre cœur de métier".
Il vise aussi à appuyer les demandes du corps médical de pouvoir exercer dans des conditions "normales", en retrouvant notamment "un nombre de lits suffisant pour prendre en charge les malades qui viennent aux urgences", déclare Julien Barbieux.
Nous voulons les moyens d'exercer notre métier de chirurgien de la manière la plus normale possible, sans avoir à choisir entre les patients et en assurant une qualité de soins.
Julien BarbieuxChirurgien viscéral au centre hospitalier du Mans
Alexandre Morand, directeur adjoint du CH du Mans, affirme entendre cette détresse : "Je pense qu'il y a beaucoup de frustration. Au sortir de la crise Covid, tout le monde a envie de retrouver une activité normale et qui permette d'accueillir le maximum de patients, parce que beaucoup de prises en charges ont été retardées".
Le centre hospitalier du Mans travaille son attractivité
Le directeur adjoint reconnaît les difficultés auxquelles sont confrontées les soignants, et assure que le CH du Mans se mobilise.
Les équipes chirurgicales sont très engagées et nous souhaitons continuer à les soutenir et à travailler avec eux, parce qu'ils sont force de proposition.
Alexandre MorandDirecteur général adjoint du centre hospitalier du Mans
"On a lancé une campagne de recrutement pour attirer des forces vives qui viendront soutenir les équipes en place. On va passer plus de 50 contrats d'allocation d'études pour les étudiants infirmiers pour favoriser leur recrutement", explique-t-il.
Une situation particulière en Sarthe
Au-delà du contexte du CH du Mans, la lettre et l'action des 56 soignants sarthois s'inscrit dans une crise nationale du système de santé qui ne cesse de se généraliser.
L'une des craintes des praticiens est de voir se développer une médecine à deux vitesses. Dans ce scénario, les plus précaires auraient seulement la possibilité de recourir à un hôpital public atrophié et peu attractif, tandis que les personnes plus aisées financièrement pourraient bénéficier d'un accès à la médecine libérale.
Les populations n'ont pas les mêmes caractéristiques entre une métropole et la Sarthe. De manière très concrète, les patients sarthois n'ont pas les mêmes moyens. Si l'hôpital public ne remplit pas ses fonctions, les malades ne pourront pas forcément être pris en charge dans le milieu libéral.
Julien BarbieuxChirurgien viscéral au centre hospitalier du Mans
Si ce cas de figure reste au stade d'hypothèse, Julien Barbieux se dit en faveur de politiques "adaptées en fonction des territoires", la Sarthe étant particulièrement touchée par le phénomène des déserts médicaux, avec 2,8 consultations par habitant à l'année (contre 3 en moyenne en France).