Si biodiversité et agriculture ne font pas toujours bon ménage, le réseau "Paysans de Nature" relève le pari. Des agriculteurs et des agricultrices font le choix de travailler la terre en respectant la nature tout en vivant décemment de leur travail. "Paysans sentinelles", un documentaire à voir ce jeudi 8 juin à 00h30.
Il fallait oser, ils et elles l’ont fait en réconciliant ce qui semblait a priori inconciliable : la préservation de la nature, et l’occupation de la terre par des activités agricoles. Ce pari, c’est celui des Paysans de Nature, un réseau très implanté dans l’Ouest de la France auquel la réalisatrice Coraline Molinié s’est intéressée sur un territoire particulièrement fragile des Pays de la Loire : le Marais Breton, situé en Vendée, face à l’Île de Noirmoutier.
Ancien salarié de la LPO, Frédéric Signoret a fait le choix avec sa compagne Ludivine Cosson de s’y installer pour se consacrer à l’élevage et y vivre. Dans ce paysage façonné par les marais salants et des générations d’éleveurs avant eux, ils se sentent en harmonie avec leurs convictions et leur envie d’agir pour la nature.
Dans mon activité précédente, je touchais les limites d’efficacité des mesures pour l’environnement, j’avais l’impression qu’on pouvait mieux faire. Je voulais être acteur, plutôt qu’être celui qui conseille, et montrer qu’on peut vivre de son métier tout en protégeant la nature.
Bottes aux pieds et jumelles à portée de mains, Frédéric Signoret connaît tout des espèces qui vivent ici. Surtout celles qui, menacées par des modèles agricoles peu respectueux de la nature, risquent de disparaître définitivement, faute d’espace adéquat pour se nourrir et nicher. Ainsi en va-t-il du busard cendré, ou de la barge à queue noire, oiseau-emblème du GAEC qu’il a fondé. Deux espèces qui nichent au sol sont en péril par l’assèchement des zones humides, l’utilisation de produits chimiques et les fauchages trop précoces.
Paysans de nature, c’est faire le constat que la biodiversité s’amenuise, le nombre d’agriculteurs aussi, et qu’il y a un lien avec tout ça» analyse Frédéric Signoret. «Donc si l’on veut préserver la biodiversité, inciter des gens à devenir paysans est une solution, surtout si on les recrute parmi les gens qui sont favorables à la nature.
Des paysans comme Betty Brassaert et Benoît Rinteaux, qui se sont installés tout près de la Ferme des Cochets, qu’ils ont reprise en 2017 en compagnie de Soizic Cosson et avec l’aide de trois associations : la LPO, le Collectif Court-Circuit et Gens du Marais et d’Ailleurs.
Betty et Benoît se sont rencontrés au Lycée Agricole du Sud-Vendée où ils se sentaient en décalage. "C’était un lycée plutôt conventionnel, on parlait très peu de prairies ou d’agriculture bio ! On n’a pas suivi la voie qu’on nous avait apprise". Sur les 80 hectares de la ferme, Soizic élève des chèvres, Betty et Benoît font paître un troupeau de 30 vaches allaitantes. "C’est peu, mais on n’a pas besoin de plus pour vivre puisqu’on commercialise en vente directe."
La qualité de vie est là.
"On ne voulait pas de traitement chimique, ni pour nous, ni pour les autres, ni pour les animaux" confie Benoît. "Et on pourra mesurer au fil des années les bénéfices de notre action sur la biodiversité".
Peu d’animaux sur beaucoup d’hectares : l’équation a parfois du mal à passer chez les agriculteurs conventionnels du voisinage.
Lucie qui vient de s’installer après un stage dans le réseau Paysans de Nature peut en témoigner.
En tant que femme, pas issue du milieu agricole, l’accès au foncier est compliqué. Les conventionnels pensent qu’on utilise trop de surface pour le nombre d’animaux qu’on a
Le signe d’un décalage trop grand entre les agriculteurs et la nature qu’ils exploitent selon Frédéric Signoret.
"Le paysan a été valorisé dans sa dimension productiviste, ce qui est une erreur, car quand on veut faire donner le maximum à un hectare, on détruit les équilibres. Il faut être capable de remettre ça en cause, être davantage attentif à la qualité de l’eau. En tout cas se libérer de l’injonction comme quoi, il faut nourrir la planète. C’est une légende qu’on nous inculque pour ne pas penser autrement".
La biodiversité, ce n’est d’ailleurs pas que celle de la faune sauvage. Chez les Paysans de Nature, les races locales sont privilégiées pour leur préservation et leurs qualités intrinsèques. Au GAEC des Barges, Ludivine Cosson élève ainsi des vaches maraîchines. Adaptées au milieu, bonnes laitières et "capables de mettre de la viande sur leur carcasse. Sa résistance aux parasites ne nécessite pas de traitement" affirme Ludivine qui veille avec douceur et attention sur son troupeau.
À la ferme, on trouve aussi d’autres espèces locales comme le Beaudet du Poitou, l’oie grise du marais, la poule de Challans.
Au gré des installations, les surfaces acquises par les Paysans de Nature ne cessent de grandir dans le marais Breton.
"On est a plus de 1500 hectares gérés de façon écologique, s’émerveille Frédéric Signoret, "c’est à peu près la surface d’un parc naturel ! On a montré que ça marchait et on a fait la démonstration qu’on pouvait vivre de ce métier sans trimer 70 heures par semaine".
L’ornithologue-paysan ne blâme pas pour autant ses collègues conventionnels.
"La détresse du monde agricole est réelle, on a affaire à des gens qui font beaucoup d’efforts, pour qui la valeur travail est très importante, et qui voient aujourd’hui leur travail dénigré quand on les traite de pollueurs, d’empoisonneurs. Il faut qu’ils s’émancipent de l’agro-industrie, qui a besoin que l’agriculteur reste captif en se posant en victime et en continuant de s’éloigner du reste de la société".
Au fil des rencontres, Coraline Molinié témoigne avec son documentaire "Paysans Sentinelles" de la force tranquille et déterminée de celles et ceux qui ont choisi de se mettre au service de la terre plutôt que l’exploiter à tout prix, sans rompre le dialogue avec les voisins conventionnels.
L’été dernier, un nid de busards cendrés a été repéré sur le terrain de l’un d’entre eux. Il a accepté de baliser l’endroit et de ne pas le faucher.
Paysans Sentinelles de Coraline Molinié a reçu le Prix Environnement au Festival International Nature Namur
Une coproduction France 3 Pays de la Loire – Real Productions
Diffusion jeudi 8 juin à 00 h 30.
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