Pédocriminalité dans l'Église : depuis deux ans, l'Inirr accompagne les victimes et tente de les "réparer"

En octobre 2021, Le rapport de la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’église était publié et dévoilait l’ampleur des violences sexuelles commises par des prêtres et des religieux, notamment sur des enfants. Un mois plus tard, le 8 novembre 2021, une instance de reconnaissance et de réparation était instaurée pour permettre aux victimes de se faire connaitre et d’obtenir réparation.

Société
De la vie quotidienne aux grands enjeux, découvrez les sujets qui font la société locale, comme la justice, l’éducation, la santé et la famille.
France Télévisions utilise votre adresse e-mail afin de vous envoyer la newsletter "Société". Vous pouvez vous désinscrire à tout moment via le lien en bas de cette newsletter. Notre politique de confidentialité

Le 5 octobre 2021,après deux ans et demi d'enquête et d'auditions, la commission indépendante sur les abus sexuels dans l'église (la CIASE) rend son rapport.

La publication provoque une onde de choc dans la communauté catholique et au-delà. 

L’ampleur des déviances sexuelles et psychologiques commises en toute impunité pendant des années dans les paroisses, les aumôneries, les rassemblements de jeunes, au sein même des familles y est révélée. Entre 216 000 et 300 000 personnes ont été identifiées comme victimes entre 1950 et 2020. 

Des victimes longtemps confrontées au silence de l’institution

La parole des victimes avait commencé depuis quelques années à se libérer à l’occasion de retentissants procès comme celui du père Preynat, dans le diocèse de Lyon.

D’autres avaient choisi d’écrire, de publier leurs témoignages, souvent à compte d’auteur, pour tenter d’alléger ce passé dont ils n’arrivaient pas à se défaire.

Mais jusqu’au rapport de la CIASE, cette parole, terriblement couteuse au plan moral et psychique pour les victimes, était passablement, voire totalement ignorée par l’Église.

Dominique et Emmanuel, en ont fait les frais.

Ils ont tous deux été victimes des déviances sexuelles et de l’emprise d’un prêtre à Nantes. Pendant des années, ils ont tenté de faire reconnaitre leur préjudice par l’Institution. Peine perdue.

"J’ai dénoncé ces agissements en aout 2020 auprès de l’évêque de Nantes, de l’évêque de Limoges et de l’archevêque de Bordeaux. Je leur ai adressé une lettre en ces termes : je suis victime, je peux parler, comment pensez-vous pouvoir m’aider ? J’ai prévenu tout le monde. Ils ne pouvaient pas dire qu’ils ne savaient pas. Mais je n’ai à cette époque reçu aucune réponse, si ce n’est une promesse de mesure conservatoire visant à « neutraliser » ce prêtre qui n’a été effective que de longs mois après, et seulement parce que je n’ai rien lâché ! ", relate Emmanuel Bailhache aujourd'hui âgé de 49 ans.

La première fois que Dominique, lui, a pu témoigner des viols répétés perpétrés par son agresseur, c’était à l’occasion d’une enquête de police menée en 2018 par des enquêteurs de Limoges. Cela s’est passé dans une cellule d’interrogatoire du commissariat central à Nantes. "Il y avait des menottes fichées dans le mur…c’était bizarre, assez violent tout de même...ils n’avaient pas d’autres pièces à disposition visiblement, raconte le soixantenaire, mais c’est la première fois que j’ai pu m’exprimer en ayant le sentiment que l’on m’écoutait vraiment et surtout qu’on ne remettait pas en cause ce que je disais, bref que l’on me croyait ".

Lorsque l’Instance de reconnaissance et de réparation est mise en place en 2021, Emmanuel et Dominique sont parmi les premiers à la solliciter. Leurs statuts de victimes, comme des milliers d’autres, ne seront jamais reconnus par un tribunal, car les faits remontant aux années 80-90 sont frappés de prescription. Leur agresseur ne sera donc jamais jugé et condamné par la justice des hommes.

L’Inirr est alors pour eux l’unique moyen de « faire payer l’Église »  comme le résume Dominique et plus largement d'être reconnus comme victimes de l'institution.

 

Reconnaître et réparer, la délicate mission de l’Inirr

 

La tâche est colossale et l’entreprise inédite en France.

Comment rendre justice aux victimes de viols et d’agressions sexuelles commises par des religieux, d’obtenir "réparation" quand la plupart des faits sont prescrits par le droit ? C’est justement la vocation de l’Inirr.

Ici pas de jugement, pas de remise en question du récit.

"Nous recueillons la parole de victimes malmenées par une institution qui a du mal à reconnaître ce qui s’est passé. C’est une démarche particulière basée sur les principes de la justice restaurative qui permet à des personnes qui n’avaient jamais évoqué ces faits devant quiconque de se livrer. Cela concerne tout de même un tiers des situations" explique Marie Derain de Vaucresson, juriste, spécialiste des droits de l'enfant, qui préside l’Instance.

Au terme d’un long parcours d’accompagnement durant lequel des psychologues, des juristes, des avocats, des médiateurs, 35 bénévoles et salariés, tous professionnels, vont écouter les récits de vie, une indemnité sera attribuée à la victime.

"Il faut se rappeler qu’au printemps 2021, six mois avant la CIASE, les évêques avaient estimé qu’un préjudice sexuel pourrait être indemnisé 3 500 euros, sans individualisation, sans tenir compte des situations particulières et des actes commis. Une somme compensatoire automatisée. C’était inadapté et inentendable pour les personnes victimes."

Depuis sa création, l'Inirr, a mis en place des niveaux de cotations, inspirés par les indemnisations versées dans le cadre du système judiciaire. Un barème qui est sensiblement le même qu’en Suisse ou en Belgique

Pas question pour les intervenants de l’instance de classer les faits par ordre d’importance supposée ou réelle.

"Nous prenons toutes les violences sexuelles en compte. Il y a les viols caractérisés certes, mais ont été rapportés des attouchements perpétrés par un prêtre qui s’apparentaient à une forme de torture psychique. Cela n’a pas moins d’incidence pour la personne et cela peut avoir, par la suite, des répercussions immenses" affirme Mme Derain de Vaucresson

"Nous travaillons selon trois axes, poursuit-elle. Nous étudions ce qui s’est passé et dans quel contexte, la gravité des faits. Nous analysons les manquements de l’Église à l’époque des faits et depuis lors, et enfin, nous mesurons les conséquences que ces violences sexuelles ont pu avoir sur la vie des personnes. Sur leur parcours scolaire et professionnel, les relations sociales, familiales, la santé psychique et somatique".

Jusqu’à présent, 1313 personnes ont fait connaître leur situation à l’Inirr.

500 d’entre elles se sont vues verser une réparation financière. La moyenne des "indemnités" est de 37 000 euros et pourra aller jusqu’à 60 000 euros.

"Soyons clairs, avertit Mme Derain de Vaucresson, 

La somme reçue ne sera jamais à la hauteur de ce que les personnes ont subi. Mais l’argent reste un marqueur de reconnaissance, le moyen pour les victimes de savoir que leur récit ne sera plus jamais remis en cause et qu’à travers l’Inirr et les réparations, l’Église reconnaît sa responsabilité dans ce qui s’est produit "

Marie Derain de Vaucresson

Présidente de l'Inirr

L’Inirr, un « outil » encore méconnu de nombreuses victimes

Comment expliquer que 1313 demandes, seulement, soient parvenues à l’instance de réparation ?

Selon Marie Derain de Vaucresson plusieurs facteurs expliquent ce faible nombre.

"Malheureusement, depuis les années cinquante beaucoup de personnes sont décédées. D’autres ne nous contacteront pas, car elles ont fait un travail personnel et ont réussi à trouver un équilibre. Elles renoncent à replonger dans ce passé traumatique. Et puis il y a les personnes qui ont décidé de rompre tout lien avec l’Église".

À ces raisons s’ajoutent la peur de ne pas être compris de son entourage, de ses relations, de son milieu. La crainte de passer pour un délateur, de briser les non-dits instaurés dans les familles depuis des décennies.

Enfin, il y a la méconnaissance du fonctionnement de cette instance, financée par un fonds abondé par les diocèses.

Mais Marie Derain de Vaucresson le rappelle "ceux qui se reconnaissent comme victimes ont le droit de nous solliciter directement pour être accompagnés sans pour autant passer par un évêque ou leur diocèse ".

Il leur faudra néanmoins être patients, car les délais d’étude des dossiers s’allongent. Entre la sollicitation de l'instance et leur indemnisation, les victimes devront attendre en moyenne un an. 

Quelques chiffres :

Dans le diocèse de Nantes, 29 personnes victimes enfants et/ou adolescents se sont adressées à l’Inirr.

Les témoignages recueillis ont permis d'identifier quatre prêtres pédocriminels décédés qui n’avaient jamais été reconnus comme tels par le diocèse.

L'âge moyen des victimes qui s'adressent à l'Inirr est de 63 ans.

 

 

 

 

 

Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Veuillez choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité
Je veux en savoir plus sur
le sujet
Veuillez choisir une région
en region
Veuillez choisir une région
sélectionner une région ou un sujet pour confirmer
Toute l'information