Tanguy Le Turquais sera l'un des 40 concurrents sur la ligne de départ du prochain Vendée Globe 2024. Il se lance dans ce tour du monde en solitaire pour la première fois, avec l'association Lazare qui gère des colocations entre jeunes actifs et d'anciens sans abris. Une aventure sportive et humaine hors du commun.
On les dit "invisibles", ils ont pourtant le coeur gros comme une déferlante du Cap Horn. Lui est un marin aguerri. La rencontre entre ces deux mondes s'est faite en 2020. "J'ai dîné un soir dans une colocation Lazare. Et quand on entre on tombe forcément amoureux des gens qui la constituent et des responsables qui portent l'association".
C'est très fort ce qui se passe. C'est une espèce de grande maison du bonheur où les gens s'entraident, se tirent vers le haut. Et où les barrières tombent
Tanguy Le TurquaisSkipper
"Quand je vois les jeunes actifs qui s'impliquent, alors qu'ils sont en pleine période de construction de leur vie, qu'ils arrivent sur le marché du travail et qui au lieu de penser à eux, donnent de leur temps et qui partagent leur histoire avec des personnes qui ont vécu des galères et qui cherchent à se réinsérer, je suis admiratif."
C'est un mélange de valeurs fascinant explosif et vertueux
Tanguy Le TurquaisSkipper
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Tanguy contacte l'association en février 2022. "Son rêve de gosse c'était de faire le Vendée Globe, son rêve d'adulte c'était de le faire avec nous", raconte Aliénor De Sentenac, chargé de communication de l'association Lazare. "Il nous dit souvent qu'il avait l'impression de faire une demande en mariage. Il a eu peur qu'on lui dise non", poursuit la responsable de communication.
Eux vivent dans des conditions inimaginables dans la rue et connaissent la solitude. La différence entre eux et moi c'est que moi la galère je l'ai choisie, j'ai décidé d'aller faire le Vendée Globe, j'ai décidé de m'isoler pendant trois mois. Après je retrouverais la terre et la vie. Eux n'ont pas décidé et ça, ça change tout !
Tanguy Le TurquaisSkipper
Les responsables de l'association ne connaissent rien à la voile mais cette proposition c'est une aventure, un projet de résilience. Et puis ils connaissent bien Clarisse Crémer, ils l'avaient sollicité pour devenir marraine de l'association nantaise. elle leur avait dédié en retour ses passages du Cap Horn et bonne espérance sur le Vendée Globe 2020.
C'est un rêve et nos colocs ils ont besoin de rêver. Ils sortent de la rue après avoir été dans la survie 5 ans, 10 ans, voire 20 ans. Quel meilleur soutien que des gens qui ont connu la solitude pour un sportif qui va se retrouver seul au milieu de l'océan ?
Alienor De SentenacResponsable communication association Lazare
"Le monde entier aura les yeux rivés sur un seul gars à la barre de son navire mais il y a des centaines de milliers de personnes que personne ne voit. On passe devant sans un regard. Tanguy voulait utiliser la visibilité de cet évènement pour mettre la lumière sur eux."
La collaboration est donc née sur un coup de coeur. Du côté de l'association on met en pratique ce que l'on sait faire de mieux; partager rigoler et monter des vidéos décalées pour aller chercher des partenaires et des sponsors. Et la mayonnaise prend; jusqu'à 1 millions de vues. L'argent rentre au compte goutte. "On avait juste ce qu'il fallait pour faire la Route du Rhum sans savoir comment on allait faire pour les prochaines qualifications", avoue Aliénor De Sentenac
Sur cette course, le bateau à dérive de 2006 part avec le plus petit budget de la flotte. "Mais c'est un bon bateau, solide, rodé pour la tempête. Et dans la tempête Tanguy Le Turquais excelle. Malgré une casse sur son safran, le navigateur boucle cette compétition qualificative pour le Vendée Globe en 2eme position dans sa catégorie. Le plus dur est fait.
Dans le grand bain à 7 ans
Il est tombé dans l'eau tout petit, dès l'âge de 7 ans. Haut comme trois pommes, Tanguy réalise sa première traversée en solitaire sur "une coquille de noix", fabriqué par son père. Sur le petit Optimist maison, il part en expédition dans le Golfe du Morbihan. Il franchit cette "petite mer" en juin 1997.
Il y avait le même stress que pour ma première traversée de l'Atlantique en solitaire. Mon père ne m'avait pas donné l'autorisation. Je suis parti tout seul sans prévenir personne. J'ai découvert ce jour là la liberté que peut représenter le bateau.
Tanguy Le TurquaisSkipper
"A l'arrivée je me suis fait bien engueuler par mon père", explique en riant le navigateur. "Je me souviens aussi de son regard à ce moment là. Il y a avait de fierté au fond de ses yeux."
Il rencontre Clarisse Cremer en 2011, ensemble les futurs époux vont réaliser un rêve en double : devenir navigateurs. "Désormais on le vit à 3, avec ma femme qui a déjà fait le Vendée Globe et qui va le refaire, et notre petite fille. Malgré elle, elle est arrivée dans cette famille et elle va devoir rêver de voile. Oui on partage vraiment tout ça en famille avec nos parents respectifs aussi. Nous sommes tous fascinés par cette aventure."
Depuis 2013, il est scotché à l'océan. Deux mini-transat, cinq solitaires du Figaro, des victoires, des titres de champion de France des échecs, du désespoir mais toujours ce désir inassouvi d'aller plus loin. Sa compagne elle navigue vite, très vite...En 2020 elle se lance dans le Vendée des Globes. Il vit la course presque par procuration et se dit qu'un jour ce sera lui.
"Clairement un rêve de gosse"
"Le Vendée Globe ça représente beaucoup de choses. C'est clairement un rêve de gosse j'ai grandi avec les images d'Ellen Macarthur, Michel Desjoyeaux, Alain Gauthier...Et puis j'ai grandi sur un bateau avec mes parents et mes deux petites soeurs. Et le rêve a grandi en même temps que moi. 20 ans plus tard, je vais être sur la ligne de départ".
Cette course pour le trentenaire, c'est la volonté de se dépasser, d'aller au bout des choses. "Je n'ai pas particulièrement la volonté d'aller me mettre dans l'inconfort, de passer trois mois seul. J'aime le confort à terre et les gens, la relation. C'est plus l'idée de se fixer des objectifs et de s'y tenir. C'est assez ambitieux d'essayer d'être au départ du Vendée Globe".
Il y a moins de marins qui ont fait le tour du monde en solitaire que d'alpinistes qui ont gravi l'Everest
Tanguy Le TurquaisSkipper
Et pour l'instant aucune crainte : "je vis au jour le jour, je ne me projette pas dans les mers du sud. J'ai l'exemple de gens qui ont réussi, ça me conforte dans le fait que je peux le faire. Ce qui me fait peur c'est d'échouer ! "
Sur son Imoca de 18 mètres floqué aux couleurs de Lazare, le rêve est atteint. Les mois qui viennent seront riches en émotions, une aventure partagée. " Là nous sommes dans une phase de fin de chantier, le bateau va retoucher l'eau d'ici deux semaines à Lorient. C'est une étape assez agréable".
"Nous avons beaucoup travaillé cet hiver pour avoir un bateau fiable et robuste. J'ai cravaché dur pour trouver des partenaires. Il y aura de belles annonces dans les semaines à venir. C'est la dernière ligne droite avant de pouvoir retourner naviguer. Ça fait 5 mois que j'ai raccroché le ciré, depuis la fin de la Route du rhum."
Régulièrement Tanguy s'offre une virée en mer avec les colocataires de Lazare, 160 d'entre eux ont déjà pris le large. "L'idée c'est que tout le monde puisse naviguer, jeunes actifs et personnes issues de la rue". En Novembre 2024, il s'élancera seul des Sables d'Olonne mais le navigateur le promet : " tout au long de la course ils seront dans mes voiles, dans mon coeur et dans ma tête."