François Gabart, le skipper aux doigts d'or, a remporté mardi soir à New York la 14e Transat anglaise, une semaine après avoir quitté Plymouth en Angleterre, devenant ainsi le 8e Français à s'imposer dans cette course née en 1960.
Qui peut battre Gabart ? Première transat en solo sur un monstre à trois pattes de 30 m (Macif) et première victoire avec ce bateau à l'issue d'un duel magnifique avec Thomas Coville (Sodebo) dans une course qui n'a d'anglais que le nom. Après le Vendée Globe en 2013, la Route du Rhum 2014 et la Transat Jacques Vabre 2015, avec Pascal Bidégorry, le petit génie de la voile française a donc ajouté mardi en fin d'après-midi (heure locale) une belle victoire à un palmarès déjà bien fourni.
Je ne suis jamais allé aussi loin physiquement",
François Gabart
>> VIDÉO. L'arrivée de François Gabart à New York
Proche du record de Michel Desjoyeaux
François Gabart, 33 ans, a passé la ligne d'arrivée, au large de New York, à 18h24 locales (00h24 mercredi heure française), après 8 j 8 h et 54 min de mer, à 23,11 noeuds de moyenne. A quelques minutes près, il n'a pas battu le record établi en 2004 par Michel Desjoyeaux (8 j 8 h 29 min), sur un parcours il est vrai un peu plus court, avec une arrivée à Boston. "Je suis défoncé, décalqué", a-t-il déclaré après avoir accosté à une marina de Brooklyn. "Aujourd'hui, j'ai pu me reposer un peu mais hier (lundi), je ne savais plus où j'habitais. Je n'ai pas été dans un tel état de fatigue depuis très longtemps, même pendant le Vendée Globe", qu'il a remporté en 2012-2013."Je commençais à avoir des hallucinations"
"Je commençais à avoir des hallucinations sonores, a ajouté Gabart, j'entendais la radio, des gens me parler. Je me disais 'non, non', pas maintenant, ce n'est pas possible, je ne veux pas, je ne veux pas, c'est interdit. Quand tu commences à entendre des voix, c'est que ça ne va pas très bien". "Gérer un bateau qui fait 30 mètres, c'est dur physiquement, a-t-il souligné. Je ne sais pas combien d'heures de manivelle j'ai fait au cours de cette traversée. Ça ne s'arrête jamais. Des moments difficiles, il y en a eu un paquet (...), il n'y a eu que ça. Ce sont des bateaux qui sont compliqués, il y a tellement de paramètres, de réglages en termes d'électronique, d'informatique, il faut être capable de gérer tout ça"."Je ne me suis pas fait peur, a-t-il indiqué, mais j'ai eu des moments où j'ai senti que j'étais à la limite, que je n'avais pas de marge". "Chaque fois que tu pars faire une course en solitaire, tu n'as pas d'autre choix que de te dépasser,
de faire des choses que tu ne te croyais pas capable de faire et à chaque fois tu progresses". "Le bateau a un potentiel extraordinaire. Les sensations de glisse que ces bateaux procurent sont juste extraordinaires, j'adore ça", a souligné Gabart. "Je suis hyper fier de ce que j'ai fait pour ma première course sur un bateau comme ça, j'ai pas fait de boulettes".
Une semaine pour traverser "la grande mare", à des moyennes que ne renieraient pas des navires de guerre ou de commerce modernes... Oui, la réussite de Gabart est insolente et a de quoi décourager ses rivaux. Le skipper de Macif est l'exemple type de ce que sont les stars de la voile d'aujourd'hui : de grands marins, certes, mais aussi des ingénieurs (leurs bateaux sont de plus en plus complexes et bourrés d'électronique) et des chefs d'entreprise, capables de gérer des équipes qui ressemblent à de véritables PME.
Coville n'a pas démérité
De la même trempe, Coville n'a pas à rougir de sa performance. Avec un bateau déjà ancien, construit à partir d'éléments (flotteurs, poutres) de l'ex-Geronimo d'Olivier de Kersauson, il a failli battre le record de la plus grande distance parcourue en 24 heures en solitaire, avalant 673 milles (1.246,3 km) entre le 5 et et le 6 mai, à moins de dix milles du record établi par Armel Le Cléac'h (682,8 milles) le 26 janvier 2014."Si je suis allé aussi loin avec le bateau, c'est parce qu'il y avait Thomas" (Coville), avait d'ailleurs souligné Gabart." Thomas a été génial. Dès le début, il est allé à fond, ne lâche rien même là à quelques heures de l'arrivée. J'espère
que ça va bien se passer pour moi et pour lui aussi. Je ne le lui souhaite que du bien pour la fin. Il a été top".
Partis le 2 mai de Plymouth, les concurrents de cette régate océanique de 3.050 milles (5.650 km), sur le papier, étaient répartis en 4 classes: 3 Ultimes (maxi-trimarans de 30 m environ), 5 Multi 50 (trimarans de 15,24 m), 6 Imoca (monocoques de 18,28 m) et 10 Class40 (monocoques de 12,19 m). Plus Pen Duick II, le ketch noir de 13,60 m avec lequel Eric Tabarly s'était imposé en 1964 et qui est barré cette fois-ci par Loïck Peyron, trois fois vainqueur de l'épreuve (1992/1996/2008). Cette course, dont la dernière édition avait eu lieu en 2008, est la doyenne de toutes les traversées océaniques en solo. Et la victoire de Tabarly en 1964 (il l'avait également gagnée en 1976) a été un élément fondateur pour la voile française, non seulement pour les skippers mais aussi pour les architectes navals, les chantiers... et les sponsors.
Cette transat, née 18 ans avant la Route du Rhum, a été disputée à 14 reprises et les Français se sont imposés 11 fois. Inévitablement, l'attention s'était d'emblée portée sur les trois Ultimes, dragsters océaniques, capables -pour Macif et Sodebo en tous cas- de marcher à 40 noeuds (75 km/h), voire plus.