Chaque mardi, ce médecin de campagne sillonne le nord-est de la Mayenne, troisième désert médical de France. Derrière le stéthoscope, se cache une oreille attentive. Précieuse même. Mais à 69 ans, il ne lui reste plus que "quelques années". Et ça inquiète. Seconde étape de mes Carnets de village.
Docteur Violas ne porte pas de montre à son poignet. C'est un détail, certes, mais qui raconte une facette du personnage. "C'est un choix, dit-il. Pour ne pas être sous pression." Car son métier, il l'aime pour sa "marge de liberté". En fait si, il en a bien une de montre. Elle est rangée dans la poche gauche de son pantalon. "Pour prendre le pouls seulement." Son horloge interne se chargera de rythmer sa matinée.listenIl est 8 heures, quand Docteur Violas s'enfonce sur les routes sinueuses du nord de la Mayenne. "C'est pour une gamine, elle a toussé toute la nuit parait-il". Une petite fille attend sagement sur le divan. Maeva. Il ausculte et questionne le père : "C'est pas humide ici ?". Réponse : "À l'étage si. Je n'arrête pas de refaire les peintures, mais la moisissure revient sans arrêt, surtout dans les chambres." Le docteur range son stéthoscope et prescrit une prise de sang.
Le médecin de campagne en voie d'extinction
Les routes de campagne, Docteur Violas les connait par coeur. Chaque mardi, il entame sa journée à 5h45 à la maison de retraite de Bais, commune de 1200 habitants, avant de partir en consultation à domicile. Cela fait près de 40 ans qu'il voit les paysages défiler au volant. Et n'a pas l'air de s'en lasser. "On va passer par le Mont Rochard. T'as vu là-bas, c'est l'usine de la Dolomie de Neau. En face, c'est la vallée des Coëvrons." Le problème, c'est qu'il y a de moins en moins de praticiens à circuler dans ce bocage mayennais. En 2018, le département était classé au troisième rang des déserts médicaux, selon le conseil national de l'Ordre des médecins. Cette étude indique également que l'âge moyen d'un médecin en activité régulière est de 52 ans, contre 50,8 ans à l'échelle nationale.Un constat vérifié sur le terrain : "À Villaines-la-Juhel (à 10km de Bais), il y avait cinq médecins, aujourd'hui, il n'y en a plus que deux, précise-t-il. La charge de travail a augmenté un peu." Plus grave encore, le manque d'accès aux spécialistes amène le généraliste "à gérer lui-même certains problèmes". À l'hôpital de Mayenne, le plus proche de Bais, "il n'y a plus d'ORL, ni d'ophtalmologue et les diabétologues s'en vont", explique-t-il.Depuis 2010, le nombre de médecins en activité régulière a diminué de 10% (source : Ordre des médecins)
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Marche arrière, à droite. Il vient de manquer l'entrée du chemin à cause de mes questions. "On va chez une femme d'origine anglaise", m'indique-t-il. La région, située non loin de la Normandie, attire de nombreux Britanniques, qui viennent rénover des maisons. Et ces derniers temps, l'actualité a nourri les discussions. "Le Brexit, ça les a tracassé, raconte le médecin. J'en ai vu en pleurs dans mon bureau." Les sentiments font partie intégrante de son métier. "Je ne suis pas un technicien, à faire des électrocardiogrammes comme un cardiologue", assume-t-il.Les Hommes sont les Hommes, qu'ils soient à la campagne, en ville, ou partout dans le monde, c'est toujours la même chose. Quand on gratte un peu la première couche, derrière la façade, c'est toujours pareil. (Docteur Violas)
listenS'il fait sa "tournée" sur les chapeaux de roue – car "il faut savoir être efficace" – il n'est pas dénué de gestes d'attention. Comme cette main posée sur ces doigts flétris par les décennies, en guise d'aurevoir. Une attention chère aux personnes âgées pouvant souffrir de la solitude. Sur la pente de ce fameux Mont Rochard, casse-pattes favori des cyclistes locaux, une vieille dame réside. Seule. "C'est pas la grande forme, lance-t-elle, assise près de sa cuisinière à bois. J'ai perdu cinq kilos depuis deux mois." Une jambe la fait souffrir depuis un bout de temps. La porte d'entrée est ouverte, les oiseaux chantent, des moutons bêlent. "Vous savez docteur, il y aura qu'une fin", philosophe-t-elle. "Le plus tard possible !", réplique-t-il, plein de bonhomie.Au détour d'un foyer, vers 11 heures, le sentiment d'abandon va poindre sur le visage de cette grand-mère, à la mobilité réduite. "Je n'ai plus d'aide ménagère personnelle, désespère-t-elle. Dimanche, il a fallu que je me débrouille seule avec mon linge. Le ménage ne se fait plus, le balayage c'est pareil." L'ADMR, ce réseau associatif de services à la personne, "n'arrive plus à recruter", constate le médecin. "À Bais, c'est une catastrophe en ce moment, c'est vraiment dommage."Beaucoup de gens sont anxieux et ont peur de ce qui va leur tomber dessus.
Des maisons de santé contre l'hémorragie ?
Les maisons de santé, panacée pour lutter contre les déserts médicaux ? Docteur Violas n'y croit pas. "Je ne vois pas comment ça gardera les médecins à la campagne, car ils n'ont rien à investir, explique-t-il. Ils peuvent donc partir quand ils veulent." Et d'ajouter : "Ceux qui viennent de la ville, ici ils ne sont pas dans leur milieu naturel."La médecine vécue comme un sacerdoce a-t-elle fait son temps ? Docteur Violas évoque un "problème de génération". Jeunes et anciens n'exercent plus de la même façon. "L'agrément de ce métier, c'est la médecine libérale, et cette marge de liberté, estime-t-il. Mais je pense que ça va se terminer." Une étude de la commission jeunes médecins de l'Ordre appuie ce constat. Car si 75 % des jeunes médecins (les internes) envisagent une activité libérale et/ou mixte, seulement 12 % des nouveaux inscrits à l'Ordre en 2018 exercent en libéral, contre 62 % en tant que salarié.
"Qu'est ce qu'on fera quand il ne sera plus là ?" Cette question, empreint d'anxiétude, Michelle, la secrétaire du docteur, l'entend régulièrement. À 69 ans, le généraliste se donne "encore quelques années" devant lui. Peut-être, n'a-t-il pas fini d'ausculter la "nature humaine".
Carnets de village : Mon voyage au coeur de la France oubliée
Après une première étape en Sarthe, auprès d'ouvriers touchés par une fermeture d'usine, puis un crochet en Mayenne avec ce médecin de campagne, direction la Normandie. J'y retrouve un maire qui a sauvé sa commune et le chef d'un kebab où se tisse du lien social. Mon itinéraire ci-dessous. (Cliquez pour voir l'article)À chaque reportage, sa playlist collaborative
Cet été, tous mes reportages seront suivis d'une playlist musicale en lien avec le sujet. Pour y participer, rendez-vous dans les stories du compte Instagram Carnets_de_villageCarnets de village, c'est quoi ?
Cet été, dans mes Carnets de village, je vous fais partager mon voyage au coeur de la France oubliée, à la rencontre de ceux dont on ne parle pas.Retrouvez les coulisses du reportage sur le compte Instagram @Carnets_de_village
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