Après plus d'un an d'interruption pour cause de crise sanitaire, L'Avare revient sur les planches d'Anthéa avant de partir à Paris, pour les 400 ans de la naissance de Molière. Cette mise en scène de Daniel Benoin nous dévoile des facettes cachées du personnage, terriblement humain et actuel.
C'est un classique parmi les classiques. L'Avare, comédie en cinq actes, incarné au fil du temps par Jean Vilar, Louis de Funès, Michel Aumont, Michel Serrault, Michel Bouquet... et avant eux, par Molière lui-même.
Aujourd'hui c'est avec un visage nouveau qu'Harpagon est de retour, celui de Michel Boujenah.
Mis en scène par le directeur d'Anthéa à Antibes, la pièce n'a pu être jouée que sept fois à l'automne 2020 à Paris, avant une brusque interruption en raison de la crise sanitaire et de la fermeture des théâtres.
Aujourd'hui c'est donc un nouveau départ, une nouvelle première sur les planches d'Antibes. Quatre représentations les 4, 5, 6 et 7 janvier avant de se réinstaller à Paris au Théâtre des Variétés pour au moins trois mois.
N'a-t-on pas déjà tout dit et tout vu de L'Avare ? Un humoriste dans une pièce classique, une idée saugrenue ? Harpagon, un personnage du passé, dans un poussiéreux costume du 17ème siècle ?
Chassez vos idées reçues pour découvrir L'Avare qui a séduit, passionné, émerveillé toute la troupe, à commencer par Michel Boujenah et Daniel Benoin qui nous ont livré leurs impressions à quelques heures de la première, ce mardi 5 janvier.
L'Avare par Michel Boujenah : "ce n'est pas que l'histoire d'un radin !"
Comment vous sentez-vous avant cette nouvelle première ?
Michel Boujenah : Nerveux, angoissé. A chaque fois, la vraie question qui se pose, c'est : est-ce que je vais pouvoir le refaire ? C'est ce qui se pose tous les jours quand on joue, mais avec tous les événements qu'il y a eu, le Covid... c'est toujours... Arrêtez avec cette question ! Je suis angoissé !
Harpagon ne serait-il pas votre premier rôle classique ?
Ce n'est pas tout-à-fait exact, j'ai joué Sganarelle dans Dom Juan, deux fois. Bizarrement, la rencontre avec Harpagon est vraiment forte pour moi. Sinon je ne serais pas là, après tout ce qui s'est passé ! J'aurais dit à Daniel Benoin : je ne vais pas passer ma vie à jouer L'Avare à cause de la crise du Covid ! Ca m'a énervé de jouer sept fois à Paris et qu'on ferme juste après. Je n'aime pas les choses inachevées, surtout pour un rôle comme ça.
Un rôle comme ça ? Que représente L'Avare pour vous ?
C'est monumental ! Dans Harpagon il y a tellement de choses. Ce n'est pas que l'histoire d'un radin, ce n'est pas du tout ça ! C'est un homme désespéré, un homme qui perd tout, au fond. Et il garde la seule chose qui au fond n'a pas d'importance : l'argent. Même pour lui ! Qu'est ce qui est important pour lui ? L'amour, l'angoisse par rapport à la maladie, il sait qu'il va mourir, comme Molière. L'amour, et ses enfants qu'il ne sait pas aimer.
L'Avare ne vieillit pas ?
C'est un vieux. Malade, désespéré de sa solitude, il tombe amoureux d'une fille beaucoup plus jeune que lui. Et son concurrent en amour, c'est son fils. Cette fille ne veut se marier avec lui que pour le pognon, d'autant qu'on lui dit que ce gars-là n'en a plus pour longtemps. Question : est-ce qu'il n'y a pas des gens comme ça aujourd'hui ? Des gens âgés, pleins d'argent, mais qui sont seuls et malheureux ?
Vous n'aimez pas l'inachevé. Pourquoi est-ce important de reprendre L'Avare ?
Michel Bouquet disait : "ça fait 15 ans que je travaille sur L'Avare, je crois que je commence à le comprendre". Pour un acteur c'est une chance formidable ! Un privilège énorme ! C'est aussi pour ça que j'ai un trac énorme. Et puis, vis-à-vis de beaucoup d'humoristes qui jouent seuls en scène, comme moi, j'ai envie de leur dire : nous aussi on a le droit de jouer ça si on y consacre du temps, du travail, de la volonté et du désir. Molière, si vous le servez, il vous le rend au centuple. C'est tellement merveilleux de le jouer ! D'où la question : est-ce que je vais pouvoir le faire encore une fois ?
L'Avare par Daniel Benoin : "une des cinq plus grandes pièces de Molière"
Pourquoi avoir décidé de mettre en scène L'Avare ?
Daniel Benoin : Pour moi, jusqu'à il y a environ 20 ans, L'Avare n'était pas une grande pièce de Molière. Et puis le Théâtre national de Suède m'a demandé de le mettre en scène, je m'y suis penché... et j'ai trouvé que c'était une pièce formidable, qui rentrait dans les cinq grandes pièces de Molière. Elle raconte plein de choses au-delà du côté avare du personnage. Elle a ces deux avantages : c'est une pièce très drôle, autour de l'avarice, et en même temps il y a ce côté drame familial, social même. Tout ça c'est dans Molière, mais je voulais le mettre en avant plus que d'habitude.
La pièce a été interrompue en octobre 2020. Vous recommencez, alors que la situation sanitaire n'est pas formidable... quel est votre état d'esprit ?
Je suis par nature optimiste ! Même l'année dernière, quand on n'a joué que sept fois à la place de 100, j'ai été optimiste jusqu'au dernier moment. Là, je suis optimiste également... Je pense que ce sera très compliqué avec tous ces gens vaccinés de refermer les théâtres. On aura peut-être des contraintes par rapport à la "non-contrainte", mais je pense qu'on va jouer. Ca va être très fort de jouer cette pièce-là aujourd'hui !
Pourquoi est-ce important de jouer à Paris ?
Le Théâtre des Variétés est un des théâtres que l'on voit dans le film Les enfants du paradis. Il a appartenu à Jean-Paul Belmondo. Il a une histoire. Nous sommes heureux d'aller jouer là-bas. Et puis jouer du Molière dans un théâtre privé, c'est extrêmement rare ! Pendant très longtemps, Molière a été presque réservé à la Comédie-Française puis au théâtre public. Le jouer dans un théâtre privé c'est une chose exceptionnelle, et je suis très content d'en être un pionnier.
Le 400ème anniversaire de la naissance de Molière
Après ce lancement à Antibes, L'Avare devrait créer l'événement à Paris où il sera en représentation pendant au moins trois mois. La première aura lieu le 15 janvier prochain, le jour du 400ème anniversaire de la naissance de Molière dans cette ville.
Ce soir-là, sur la scène du Théâtre des Variétés, la troupe remettra officiellement à l'équipe du Téléthon une robe de Marianne, la jeune femme dont Harpagon s'est épris. Le costume vu sur scène en 2020 a entre-temps été vendu aux enchères 32.500 euros au profit de la recherche sur les maladies génétiques. L'Avare sait être généreux.