Quelques heures après l'attentat à Nice, "Walid", une connaissance du tueur, se présente spontanément à la police. Rapidement, l'homme devient suspect : il est mis en examen et écroué, comme cinq autres personnes soupçonnées d'avoir aidé M. Lahouaiej Bouhlel, voire pour certaines de l'avoir inspiré.
Leurs auditions, dont l'AFP a eu connaissance, révèlent de nombreuses contradictions, mais aucun élément de l'enquête ne démontre avec certitude, trois mois après l'attaque qui a coûté la vie à 86 personnes, que les mis en examen, inconnus des services antiterroristes à l'instar du tueur, avaient connaissance de son projet macabre.
"Certains ont-ils cherché à le manipuler ou au contraire ont-ils été manipulés par lui ? C'est l'une des grandes questions", relève une source proche du dossier. 15 juillet, 17 heures. Face aux policiers, le Tunisien Mohamed Oualid Ghraieb dit "Walid", 40 ans, réceptionniste dans un hôtel du centre-ville, livre de précieux renseignements. Il a rencontré Lahouaiej Bouhlel en Tunisie en 2003 avant de le retrouver à Nice six ans plus tard.
"Le comportement d'un imbécile"
Trois jours avant l'attentat, le tueur "l'invite à essayer" le camion qu'il lancera sur la foule. "Il conduisait de façon très agressive (...) Il frôlait les gens sur les passages piétons", raconte-t-il. "Je ne sais pas s'il avait déjà tout ça en tête (...) Pour moi, c'était juste le comportement d'un imbécile".
"Walid" l'a-t-il aidé à effectuer des repérages ce jour-là ? L'homme est placé face à ses contradictions : il évoque une relation épisodique avec Lahouaiej Bouhlel, mais les investigations mettent en lumière 1.278 contacts téléphoniques depuis un an.
Des SMS mentionnant la date du 14 juillet ou l'agence de location "ADA", des photos le montrant dans le poids lourd et une vidéo où il se filme, souriant, sur la promenade des Anglais le 15 juillet, aiguisent les soupçons.
Entre-temps, les enquêteurs, qui ont retrouvé à l'intérieur du 19 tonnes le téléphone du tueur, partent sur la trace de l'arme dont il s'est servi pour tirer sur des policiers avant d'être abattu.
Un message explicite, "le pistolet que tu m'as donné hier c'est très bien alors on ramène 5 de chez ton copain", envoyé juste avant son équipée meurtrière à un certain "Ramzy", les met sur une piste. Le 16 juillet, Ramzi Arefa, franco-tunisien de 21 ans, vendeur de cocaïne, connu pour de petits larcins, est placé en garde à vue.
Il reconnaît avoir servi d'"intermédiaire" pour fournir le pistolet acheté, moyennant 1.400 euros, chez un couple d'Albanais, Artan Henaj et Enkeledja Zace, interpellés à leur tour. "Je ne suis qu'un petit trafiquant, je ne suis pas un terroriste", plaide Arefa.
"Chokri et ses amis sont prêts"
La seconde partie du SMS adressé à "Ramzy": "Chokri et ses amis sont prêts pour le mois prochain", fait craindre un nouveau projet d'attentat.
La piste de Chokri Chafroud, un Tunisien de 37 ans qui multiplie les petits boulots au noir, est rapidement remontée : son ADN est retrouvée sur deux mégots chez Lahouaiej Bouhlel ainsi que sur la portière passager du poids-lourd.
Lahouaiej Bouhlel ? "Une simple connaissance", assure Chafroud en garde à vue, mais les policiers exhument un message, à la résonance particulière après l'attentat, envoyé au tueur trois mois plus tôt: "Charge le camion, met dedans 2.000 tonnes de fer (...) coupe lui les freins mon ami, et moi je regarde".
Chafroud apparaît, aux yeux des enquêteurs, comme "un mentor influent sur la personnalité instable de son ami" qui a pu inspirer le carnage de la promenade des Anglais.
L'homme se dédouane: "Salman (second prénom de Lahouaiej Bouhlel, ndlr) avait quelque chose dans sa tête et il m'a mis dedans, je ne sais pas pourquoi", rétorque-t-il, évasif.
Hamdi Zagar, interpellé le 25 juillet, a la même ligne de défense. "J'ai l'impression qu'il veut se venger de moi", lance ce père de trois enfants, en instance de divorce, dont le frère a épousé la soeur de Lahouaiej Bouhlel.
Zagar s'est fait photographier par le tueur devant le camion, le 12 juillet et affirme que ce dernier a utilisé son téléphone pour, sans doute, le compromettre.
Sans pour autant convaincre les juges d'instruction : il est à ce stade le dernier mis en examen dans ce dossier.
- Avec AFP -