"Eux se méfient, et nous aussi: on se dit +Ils nous prennent pour des terroristes": dans une ville très à droite, l'attentat du 14 juillet à Nice a exacerbé les marques de rejet ressenties par la communauté musulmane, qui se sent "regardée de travers".
Cette peur d'être cataloguée comme terroriste, c'est une petite femme à la gentillesse peinte sur le visage, Kabira, qui la décrit: "Maintenant il y a moins de confiance et avec le foulard on est mal vues". Ses deux amies, voilées comme elle et comme beaucoup d'habitantes à l'Ariane, un quartier populaire du nord-est de Nice, acquiescent.
"C'est vrai qu'on trouve ça stupide. Le jour où il a tué, il n'a pas choisi, il a tué tout le monde. Ca crée du racisme. Il y en avait déjà beaucoup mais là, encore plus", confie Kabira, à propos de l'auteur de l'attentat qui a fait 86 morts sur la Promenade des Anglais le soir du feu d'artifice.
"Les amis qui nous connaissent savent qu'ils ne courent aucun danger avec quelqu'un de musulman mais malheureusement certains s'arrêtent à ça et la télé n'arrange pas les choses", poursuit cette mère d'origine marocaine dont la soeur, présente le soir du 14 juillet sur la Promenade, est restée durablement choquée.
Parmi les 86 morts, 22 étaient de confession musulmane.
Les instances locales de dialogue interreligieux ont fait de leur mieux après l'attentat. Mais depuis trois mois, estime Sami Bouzid, un restaurateur, "on est passé du stade de l'hypocrisie, où on s'entendait bien, à la haine".
Les hostilités en sont restées au stade des insultes ou des regards malveillants. Fin août, une avocate de la mairie, Pauline de Fay, a pourtant été jusqu'à évoquer une ville "presque au bord de la guerre civile" lors d'une audience consacrée à l'arrêté anti-burkini pris par la mairie.
Repartir à zéro
Plus nuancés que cette juriste parisienne, les acteurs locaux conviennent tous d'un climat de défiance réciproque, alimenté en partie par l'extrême droite et ses autocollants identitaires à sensation "Chassons les islamistes!".
L'épisode estival du burkini n'a rien arrangé, quand la police municipale a commencé à verbaliser les baigneuses musulmanes trop habillées en août, au nom de la laïcité, sans interdire pour autant les baptêmes évangélistes dans la mer.
"Le lien a été fait entre l'auteur de l'attentat et la communauté musulmane, qui l'a très mal vécu", constate Sabrina Terriche, directrice du Centre de Loisirs et d'Action pour la Jeunesse (CLAJ) à l'Ariane. "On a l'impression qu'on ve devoir repartir à zéro", dit-elle: "Certaines polémiques, certains médias, certains événements au niveau national remettent tout en question".
L'Ariane, qui abrite une majorité de logements sociaux et a des allures de petite casbah avec ses boutiques halal et ses mères de famille voilées de toutes origines, est en pleine rénovation.
Il n'y a pas de repli sur soi, selon Mme Terriche. "Mais le type de propos qu'on peut entendre c'est +voilà on sera jamais acceptés comme des Français+ et +de toute façon, on veut pas de nous ici+ alors que ce sont des jeunes Français nés en France (...) et il y a tout ce travail à refaire", dit-elle.
Les gens, ils nous voient encore plus comme des diables (...) un jour çà en viendra aux mains", estime Sonia S. dont la fille adolescente cultive les paradoxes, se coiffant d'un long djilbed mais grande joueuse de foot.
"Optimiste", Mahmoud Benzemia, l'imam de la nouvelle mosquée En-Nour où une tête de sanglier a été déposée devant l'entrée à deux reprises --une fois avant l'attentat, une fois depuis--, observe "certaines crispations". "Mais je crois à l'intelligence des Français qui ne font pas l'amalgame", assure-t-il.
"Ca se calme", relativise aussi Otmane Aissaoui, imam d'une autre mosquée et l'une des cibles favorites du FN local qui l'accuse d'être salafiste. "Malheureusement, le trait du Bleu Marine est très foncé dans les Alpes-Maritimes", "je crains que la campagne à la primaire et à la présidentielle ne ravive les peurs pour des profits électoraux", dit-il.
- Avec AFP -