La cour d'assises d'Ille-et-Vilaine, qui juge Maurice Agnelet pour l'assassinat de sa maîtresse Agnès Le Roux, s'est heurtée vendredi aux défaillances de mémoire d'un témoin-clé, alors qu'elle se penchait sur une date cruciale, le 1er novembre 1977.
Prévoyant qu'elle allait être interrogée sur cette date, la journaliste Colombe Pringle, dont l'amitié avec Agnès Le Roux, riche héritière d'un casino niçois, remonte à l'adolescence et un passé commun dans la même pension, prévient d'emblée les jurés:
"Je n'ai pas un grand sens de ma propre histoire".
Lors de l'enquête ouverte après la disparition d'Agnès, le week-end de la Toussaint 1977, Colombe Pringle a affirmé qu'elle lui avait parlé au téléphone le soir du 1er novembre. Les deux femmes devaient se retrouver une semaine plus tard, à Paris alors que se profilait un projet de magazine.
Après son premier témoignage, Colombe Pringle s'était faite bien moins précise et n'avait pu confirmer la date exacte de ce coup de téléphone.
Alors, "vous imaginez aujourd'hui", près de 37 ans après la disparition d'Agnès, lance à la cour la journaliste, qui reconnaît que la mémoire des dates n'a jamais été son fort.
"Vous imaginez aujourd'hui"
Mais l'avocat général a bien précisé les enjeux: "Si vous l'avez eue au téléphone le 1er novembre, c'est qu'elle est encore en vie, et ça change beaucoup de choses dans le dossier", dit-il.
La disparition d'Agnès Le Roux, qui n'a jamais été revue depuis, et dont le véhicule à bord duquel elle devait se rendre dans l'arrière-pays niçois n'a jamais été retrouvé, se situe les 26 ou 27 octobre 1977.
Sa disparition intervenait quelques mois après un séisme familial: en conflit avec sa mère, qui gérait le casino Le Palais de la Méditerranée, elle avait vendu ses parts à Jean Dominique Fratoni, patron du casino voisin.
C'est Maurice Agnelet qui les avait mis en contact. Pour cette transaction, Agnès avait touché 3 millions de francs, versés sur un compte joint au nom des deux amants. Après la disparition d'Agnès, l'argent avait été retrouvé sur un compte à Genève au seul nom d'Agnelet.
Des scoops sur les casinos
Mais celui-ci a bénéficié d'un alibi: une autre de ses maîtresses à l'époque des faits a longtemps affirmé qu'ils étaient ensemble en Suisse les 26 et 27 octobre. Quelques années plus tard cependant, cette autre maîtresse, Françoise Lausseure, se rétracte, assurant avoir fourni un faux témoignage pour rendre service à Agnelet, à sa demande pressante. Son revirement avait relancé l'affaire, entraînant la mise en examen d'Agnelet, qui a toujours clamé son innocence.Pour la défense d'Agnelet, si Mme Pringle a bien eu cette conversation téléphonique avec Agnès Le Roux, le 1er novembre, Agnelet n'a plus besoin de l'alibi fourni par Françoise Lausseure, qui sera à son tour convoquée pour témoigner le 2 avril.
La thèse de l'accusation est mise à mal
Emue par l'évocation de son amie, qui a fait deux tentatives de suicide avant sa disparition, se souvenant d'une femme "généreuse", "rebelle", "fantasque" mais aussi "pas très épanouie dans sa relation" avec Maurice Agnelet, Mme Pringle, aujourd'hui chroniqueuse sur Canal+, confesse:A l'origine du projet de magazine, Fer bleu, se trouvaient un ancien journaliste de Libération, Philippe Gavi, et notamment le philosophe Gilles Deleuze. Témoignant devant la cour, Philippe Gavi a souligné avoir vu en Agnès Le Roux une personne qui pouvait financer le magazine mais qui, aussi, avait l'intention de confier des "scoops" sur les malversations dans les casinos."Ne pas me souvenir exactement m'est cruel". Sur les dates, je suis désolée, je vous accorde que mon flou n'aide personne", s'excuse-t-elle.
"Elle était prête à manger le morceau", a ajouté le journaliste, qui a confié s'être dit, après la disparition, "qu'elle en avait peut-être parlé à d'autres" que lui.
"Je peux imaginer qu'il y avait pas mal de monde qui ne souhaitait pas qu'elle s'exprime sur les malversations dans les casinos", a-t-il déclaré, ajoutant que cette réflexion n'était qu'une "hypothèse".