Après les perquisitions et les gardes à vue, la justice a prononcé des mises en examen notamment pour traite d'être humains, séquestration, viols. On fait le point sur l'affaire de yoga tantrique qui a des ramifications dans les Alpes-Maritimes et jusqu'à Monaco.
Sur le chemin des Escayouns, la route de montagne serpente, après quelques virages apparaît un portail métallique noir, obstrué par un plastique vert.
Un interphone, une boîte aux lettres et cette inscription : "Casa del Sol". Une adresse assez isolée du bourg de Berre-les-Alpes, petit village du haut pays situé à 25 km de Nice. Face à la route, le paysage de moyenne montagne est magnifique.
Pourtant, dans la maison qui se situe en contrebas, des femmes auraient vécu l'horreur.
De la route, difficile de voir quoi que ce soit. Le silence règne. En fait, il y a deux maisons. C’est là que 12 suspects ont été interpellés le mardi 28 novembre 2023. Tous sont de nationalité roumaine, d'après la police judiciaire de Nice. Ils ont été entendus à la caserne de la police nationale, dite Auvare, à Nice.
"La Casa del Sol", l'un des "ashrams" à caractère sexuel de la Côte d'Azur ?
Contacté, le maire Divers droite de la commune Maurice Lavagna, explique qu'il avait alerté la gendarmerie nationale il y a 10 ans. Une dizaine de voitures stationnaient constamment devant la "Casa del Sol". L'élu pensait qu'il y avait des locataires en permanence. Un contrôle avait eu lieu, sans donner plus de résultats.
Pour une source proche du dossier, cela ne fait aucun doute.
Il existe deux maisons : l'un des chefs de ce mouvement sectaire habite dans la plus récente, le rez-de-chaussée servait pour les chats vidéo à caractère sexuel.
Dans la 2e maison, des femmes auraient été entassées. Le gourou roumain de la secte aurait passé des vacances d'été à Berre-les-Alpes et profité de la piscine.
Le jour de ce vaste coup de filet, les enquêteurs n'ont pas retrouvé de victimes dans les Alpes-Maritimes.
Un réseau parisien, azuréen et monégasque
Le mardi 28 novembre, les enquêteurs ont orchestré un vaste coup de filet à Paris et en région parisienne (Seine-et-Marne, Val de Marne) et dans les Alpes-Maritimes.
Une opération de grande envergure qui a mobilisé 175 agents conduits par la Cellule d’Assistance et d’Intervention en Matière de Dérives Sectaires (CAIMADES).
Elle a mené à 41 interpellations, dont le chef roumain Gregorian Bivolaru, à Ivry-sur-Seine.
26 personnes victimes, ont été extraites de la secte. Elles étaient logées dans des conditions d’exiguïté et d’hygiène déplorables dans un pavillon de Villiers-sur-Marne.
Ces réseaux (qui fonctionnent sur le même modèle que ceux des trafiquants de drogue) sont proches des zones de pouvoir et d'argent : Paris, Nice, Monaco.
Un réseau dont les ramifications sont importantes dans les Alpes-Maritimes : Nice, Grasse, Peille, Belvedère, La Turbie, Menton, Beausoleil et Monaco. Des ramifications à Toulon (Var), via une société.
Selon une information de France 3 Côte d'Azur, les adeptes participaient au mouvement à différents niveaux. Soit pour l'exploitation des femmes, soit pour la construction de maisons.
Qui est Monsieur S., bras droit du gourou ?
Monsieur S., est roumain, musicien à Monaco, membre actif de l'église orthodoxe monégasque et enseignant intervenant à Pantin. Il serait le chef du mouvement pour la France et la Suisse. Ce serait le bras droit du gourou roumain. Il aurait participé à l'encadrement de femmes qui venaient du monde entier pour "l'initiation" de Gregorian Bivolaru.
Il aurait organisé des stages et activités pour le réseau tantrique dans la région de Nice.
Des suspects roumains et français entendus par la justice
Madame L. gérante de société à Belvédère serait la "banquière" du mouvement. Elle aurait un rôle important : elle blanchirait l'argent issu des vidéos chats sexuels et du proxénétisme en achetant de l'immobilier.
Madame F. coach à Beausoleil, Monsieur M. ancien boulanger à Nice, Madame B, dentiste à Nice, Madame C. ingénieure en BTP et spécialiste en médecines alternatives à Nice.
Toute une famille roumaine serait aussi impliquée dans l'entretien des maisons.
Comment procédait le mouvement sectaire MISA ?
Le mouvement revêt plusieurs noms : "Mouvement pour l'intégration spirituelle vers l'absolu" (Misa), Atman (lors du développement du mouvement hors de Roumanie), "Yoga intégral", puis récemment "Yogaesoteric" (site internet). Il est présent dans une trentaine de pays.
Dans ce réseau, le tantra yoga (permettant l’éveil de la spiritualité via la sexualité), est un produit d'appel pour recruter.
Sous couvert de développement personnel, cette pratique vise à conditionner les victimes à accepter des relations sexuelles via des techniques de manipulations mentales.
Tantôt mises sur un piédestal, tantôt rabaissées, parfois affamées, les femmes en viennent à perdre tout discernement et toute notion de consentement dans le cadre de rapports sexuels (le consentement étant supposé être un reflet de l’ego empêchant les personnes d’atteindre un état d’éveil spirituel).
Le but est d'inciter les femmes choisies à accepter des relations sexuelles avec le dirigeant du groupe, et/ou à s’adonner à des pratiques pornographiques tarifées en France et à l’étranger.
Le profil de Gregorian Bivolaru
Gregorian Bivolaru a 71 ans, il est roumain, a une formation de plombier et s'est mis au yoga sous l'ère Ceaucescu. Il est très connu en Roumanie où il a fondé en 1970 la première école de yoga dans le pays alors communiste. Il avait déjà été poursuivi en Roumanie et en Italie.
Il choisissait des femmes venues du monde entier qui envoyaient des photos d'elles en sous-vêtements.
Le 1er décembre, il a été mis en examen et placé en détention pour viol aggravé, traite de personnes, séquestration en bande organisée et abus de confiance.
Comment a-t-il réussi à séduire ?
Pour Hugues Gascan, chercheur dans le "Groupe d’études du phénomène sectaire", une association basée à Angers (49) :
On vit une période assez difficile et les gens sont en recherche de solutions, d’un mieux être, d’une reconnaissance, de différentes valeurs. Et ces mouvements-là sont particulièrement doués : ils promettent du bonheur, de la richesse, un mieux être, plus une pratique physique, sexuelle. Et rapidement vous basculez…
Hugues Gascan, chercheur dans le "Groupe d’études du phénomène sectaire"
Très méfiant, le mouvement faisait attention à ce qu’il n’y ait aucune victime française, et donc aucune plainte en France. Ce qui rendrait la possibilité d’investigations difficile.
Celui qui est présenté comme le gourou choisissait des femmes venues du monde entier qui envoyaient des photos d'elles en sous-vêtements.
Il les faisait venir des quatre coins du monde : Australie, Argentine, Grande-Bretagne, Pologne, Finlande pour les abuser sous couvert de longues initiations, dans une garçonnière du 13ᵉ arrondissement de Paris.
Des moyens logistiques et humains importants
Toutes les jeunes femmes ont décrit la même procédure. Elles étaient prises en charge à l’aéroport Charles de Gaulle par un chauffeur qui leur masquait les yeux. Leurs passeports et leurs téléphones portables étaient confisqués. Ensuite, elles étaient conduites dans une grande villa de Villiers-sur-Marne, pouvant accueillir plus de 50 femmes.
Là, elles étaient conditionnées avec des régimes alimentaires particuliers, de l'hypnose, des pratiques sexuelles déviantes, des lectures et des vidéos obligatoires, l'utilisation d'aphrodisiaques.
L’idée était de renforcer leur adulation du gourou pour le rencontrer. Les pratiques sexuelles servant d’alibi à un soi-disant développement personnel.
Après plusieurs semaines, les femmes étaient reconduites à l'aéroport pour retourner dans leur pays d’origine.
Aller porter plainte en France 5 ans après, c’est impossible
Mais difficile pour elles de porter plainte. Comme le précise Hugues Gascan, « Après cette expérience-là, il faut plusieurs années pour que les femmes réalisent qu’elles ont été victimes. Il faut 2,3, 4, 5 ans pour que les femmes prennent conscience des abus dont elles ont été victimes. »
Pour une victime qui vit en Argentine, aller porter plainte en France 5 ans après, c’est presque impossible, logistiquement, et financièrement. Impossible aussi de savoir combien il y aurait de victimes.Des femmes qui seront abîmées à vie.
Pour se défendre, le Misa a publié un communiqué jeudi en roumain pour dénoncer des "accusations absurdes" contre Gregorian Bivolaru, "cible depuis les années 1990 de campagnes médiatiques de discrédit". Même démarche, en français, sur le site "Yogaesoteric"qui met en doute la parole des victimes.
15 personnes mises en examen par le parquet de Paris
L'affaire est suivie par le parquet de Paris qui a donné les dernières informations par communiqué. Sur les 41 interpellations, 15 personnes ont été présentées à un juge le 1er décembre. Six personnes ont été placées en détention préventive, dont Gregorian Bivolaru et 9 sont sous contrôle judiciaire.
Dix d'entre elles, sont mises en examen pour :
- Traite d’être humain en bande organisée
- Arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire de plusieurs personnes en bande organisée (crime faisant encourir 30 ans de réclusion criminelle et 1 million d’euros d’amende)
- Viols en concours avec un ou plusieurs autres viols commis sur d’autres victimes
Pour Gregorian Bivolaru et une autre personne, une autre accusation se rajoute :
- Abus de faiblesse par dirigeant d’un groupement poursuivant des activités créant, maintenant ou exploitant la sujétion psychologique ou physique des participants (délit faisant encourir 7 ans d’emprisonnement et 1 million d’euros d’amende).
Des retards et un manque de moyens ?
En 2013, une enquête des renseignements généraux avait déjà été faite sur cette association de yoga tantrique.
Mais il n'y avait pas eu d'instruction judiciaire.
Maintenant, les experts vont devoir faire parler les téléphones et les ordinateurs qui ont été saisis. L'analyse des fichiers permettra peut-être d'en savoir plus sur ceux qui ont profité de ce réseau. Quelle est l'identité des clients ? S'agit-il de personnalités connues ou de simples quidams ?
L'association avait de nombreuses adresses, avait recruté des personnes qui travaillaient dans le BTP.
S'agit-il de blanchiment d'argent qui proviendrait d'activité proxénètes ?
Pour faire avancer le dossier, il faudrait recueillir davantage de témoignages de victimes.
Sur ce point, la médiatisation de cette secte, via les articles sur Internet et les réseaux sociaux pourrait permettre d'avancer. Et, pourquoi pas, c'est le souhait du "Groupe d’études du phénomène sectaire", créer un #METOO yoga tantrique qui aiderait à libérer la parole des nombreuses victimes toujours sous emprise mentale.