Avec une série de portraits en noir et blanc, la photographe aixoise Sophie Bourgeix invite à une réflexion autour du symbole du masque. Parents, enfants, personnes vulnérables et professionnels témoignent de leur ressenti depuis qu'ils doivent en porter un pour (se) protéger du Covid-19.
Le 11 mai 2020, après plus de cinquante jours de confinement, les Français étaient enfin libres de sortir à volonté, à condition de porter un masque couvrant la bouche et le nez. Un masque pour lutter contre la propagation du Covid-19. Mais cet accessoire imposé est aussi devenu le symbole de tant d’autres changements dans nos vies sociales, sensorielles, et affectives.
Comme tous les autres artisans de son secteur, la photographe aixoise Sophie Bourgeix a subi la fermeture de son atelier pendant près de deux mois. Cela lui a donné le temps de réfléchir à l’impulsion qu’elle voulait donner à son travail.
Le masque, un symbole et différentes représentations
« Ce masque, on a d'abord entendu qu'il était inutile, puis indispensable ou préférable, et enfin obligatoire. Dans un premier temps, seuls les adultes étaient concernés : dans les lieux fermés, puis dans les lieux ouverts, les rues, les parcs... Dans un second temps, les adolescents ont dû se plier au port du masque, puis ce fut le tour des enfants à partir de six ans. Difficile de rester insensible à ces changements pour le moins déstabilisants.»
Moi, la première fois que j’ai dû mettre un masque, je me suis regardée dans le miroir et je me suis dit que la vie était en train de changer.
Et l'artiste de s'interroger : « Suis-je un danger pour l’autre, l’autre est-il un danger pour moi ? Pour la portraitiste que je suis, ne voir qu’un demi-visage est très frustrant. »
Sophie Bourgeix a lancé à la fin du printemps un appel aux volontaires : celles et ceux qui souhaitaient se faire tirer le portrait avec leur masque et livrer leur ressenti sur cette nouvelle obligation dans leur quotidien étaient les bienvenus dans son studio aixois.
Appel aux volontaires
« Ce projet de portraits masqués est né de l’envie de raconter cette période historique à travers différents regards, de les immortaliser par l’image et par les mots. C’est ainsi qu’a mûri l’idée d’un livre pour se souvenir. Ce recueil, c'est un devoir de mémoire, pour garder écrit ce que chacun a pu vivre, mais aussi pour décrire une société en mutation.»
La photographe confie qu'elle avait très envie de "révéler" tous les êtres cachés derrière ces masques, de les mettre dans la lumière, tout en découvrant leurs perceptions sur ce bout de tissu : « J'étais curieuse de connaître ce qu'il représente pour eux, quel que soit leur âge, leur métier, leur place dans la famille.»
Le choix du noir et blanc
Le résultat est un livre d’art de 78 portraits. Des personnes seules, des familles, des retraités, des enfants, des adolescents... Tous saisis en noir en blanc : « Le noir et blanc permet de ne s’attacher qu’à l’essentiel dans une photo, de délaisser les éléments perturbateurs qui attirent le regard sans qu’on le veuille, » analyse Sophie Bourgeix.
Et de renchérir : "Le noir et blanc donne de l’intensité, du relief aux choses. Il met l’accent sur les émotions au-delà des couleurs. Le noir et blanc est intemporel et offre le luxe de maîtriser le temps." De la même manière, la photographe est très attachée au papier qui fixe l'instant en le rendant palpable. Contrairement au numérique, le support papier traverse plus facilement le temps.
Les courts textes qui accompagnent les clichés ont été rédigés par les modèles eux-mêmes ou par un parent pour les plus jeunes.
Le livre "Des Masqués" a été intégralement conçu en France, essentiellement dans la région d’Aix-Marseille où il a été imprimé. « C’est un vrai choix d'assumer un ancrage local, mais aussi de mettre en valeur les expertises des personnes proches de nous », explique Sophie Bourgeix.
A chaque livre, un don contre la maltraitance infantile
Pour chaque vente de ce livre autoédité, un euro sera reversé à l’association « Les Papillons » qui vole au secours des enfants victimes de violences en déployant des boîtes aux lettres au sein de structures scolaires et sportives. Objectif : permettre aux enfants maltraités de libérer leur parole et de trouver de l'aide.
Cela me paraissait faire sens de soutenir ces enfants portant habituellement un "masque" en société afin ne pas montrer les horreurs qu’ils subissent. Un masque, c’est une sorte de bâillon.
« Pendant les confinements, ces enfants qui subissent des maltraitances ont été enfermés avec leur bourreau…N’est-il pas temps de faire tomber les masques sur ce sujet plus que sensible ? Trop d’enfants souffrent en silence, par peur, par honte. Les boîtes aux lettres de l'association « Les Papillons » sont un souffle d’air, un espace où les mots pourront être écrits pour exorciser les maux », conclut l'artiste.
Sophie Bourgeix, photographe humaniste
Née en 1978, Sophie Bourgeix est photographe-portraitiste. Parmi ses projets antérieurs :
- « Petites Mains » (2018), des photos d’enfants et de soignants du service pédiatrique de la Timone
- « Nous sommes » (2019), des portraits d’artisans aixois
- « L’Autre Regard » (2014), des portraits d’enfants en situation d’handicap.
Ce dernier lui a valu la qualification de Master Qualified European Photographer (2014), dont elle est la première femme française lauréate. Son travail a également été récompensé par le Festival Européen « L’été des portraits » (2012), la Fédération française de la photographie et des métiers de l’image (2015), et les Photographies de l’Année (2016/2019).
Photographe professionnelle depuis 2007, Sophie Bourgeix a ouvert son premier studio à Jouques (Bouches-du-Rhône) en 2010. Son travail est marqué par ses études en psychologie et l'approche émotionnelle qu'elle souhaite apporter à son art visuel.
Aujourd'hui elle exerce en plein coeur du centre-ville d'Aix-en-Provence.