Cinq ex-employés agricoles dénoncent devant la justice leurs conditions de travail "indignes", dans des entreprises du Vaucluse, des Bouches-du-Rhône et du Gard. Ils avaient été "détachés" dans la région via une agence d’intérim espagnole.
Ils sont cinq ressortissants marocains (trois femmes et deux hommes) à attaquer en justice leurs anciens employeurs agricoles.
Les ex-salariés ont reçu le soutien de la Confédération paysanne et de la CGT. Devant le bâtiment des Prud'hommes, ce mardi là, les syndicalistes se sont placés de part et d’autre de la porte d’entrée, banderole à la main.
Nous allons voir si l'abolition de l'esclavage dans notre pays est bien une réalité.
La voix au micro d’un représentant de l’Union locale CGT résonne sur les murs de la vieille ville.
"Nous allons voir enfin, après trois ans de procédure, si l’abolition de l’esclavage dans notre pays est bien une réalité", lance avec puissance le délégué cégétiste. Dénonçant "les cadences infernales", "les conditions de travail inhumaines" sans compter le "logement insalubre", proposés par des sociétés comme Laboral Terra avec "la complicité" d’entreprises agricoles de notre région.
Laboral Terra, aujourd'hui en liquidation judiciaire, est une société d'intérim espagnole. Avec huit entreprises agricoles du Vaucluse, des Bouches-du-Rhône et du Gard, elle est au coeur du procès intenté par les anciens saisonniers marocains.
Depuis les années 1990 s’est développé dans le monde de l'agriculture un système dit de détachement : une relation triangulaire entre un salarié, une société d’intérim et une "société utilisatrice", en l'occurence les exploitations agricoles.
Testés positifs au #COVID19, 130 travailleurs agricoles venus d’Espagne, originaires du Paraguay, de Colombie, du Mali et de Guinée, sont confinés au milieu des champs, à Arles, sans salaire ni indemnité, abandonnés par leur société d'interim espagnole.https://t.co/5KNEGyiAdo
— Nassira El Moaddem (@NassiraELM) June 16, 2020
Les sociétés d’intérim sont généralement basées à l’étranger, notamment en Espagne, où le coût d’un salarié payé au Smic en incluant les cotisations sociales est de 40 % inférieur à la France.
Ce système autorisé par l'Union Européenne, est largement utilisé dans le monde agricole français.
Peut-être qu’un animal était traité mieux que nous
La crise sanitaire a mis en lumière la dépendance de larges pans de l’agriculture de notre pays à la main d’œuvre étrangère, et les conditions de vie parfois sommaires des saisonniers.
"Peut-être qu’un animal était traité mieux que nous". Marocaine, employée par une société d’intérim espagnole dans des exploitations agricoles de Provence, Karima comme quatre ex-salariés étrangers, a dénoncé aux prud’hommes d’Arles les abus subis lors de ces "détachements".
Des journées de travail de neuf heures, "sans pause où on mange en cachette" des salades "qu’on coupe sans gants de protection", des semaines avec "sept jours de travail", du harcèlement un contrat rompu à cause d’une grossesse… Les plaignants et leurs avocats décrivent un quotidien rythmé par un enchaînement "d’atteinte au droit".
Comment des ouvriers agricoles sud-américains sont arrivés en France pendant le confinement, via un bus affrété par une entreprise d'intérim espagnole... plus de 100 travailleurs agricoles ont été testés positifs dans ce "cluster" des Bouches-du-Rhône... https://t.co/ePmsESclNN
— Kâplan (@KaplanBen_Fr) June 13, 2020
Harcèlement moral, parfois sexuel, violences commises...
Cette affaire de justice dure depuis trois ans. Les juges des prud’hommes ayant échoué à trancher dans ce dossier, cette nouvelle audience de mardi se tenait devant un juge départiteur.
Pour Yann Prévost, l’avocat de deux ex-salariées Yasmina Tellal et Karima, qui préfère taire son nom de famille par peur de pression, "ce procès est l'illustration de tout un système de dumping social. Il cumule à la fois des irrégularités juridiques mais également des conditions de travail indignes avec du harcèlement moral, parfois sexuel, des violences commises".
Au coeur de ce système, Me Prévost situe en premier Laboral Terra, l'agence d'intérim espagnole dont la liquidation judiciaire lui semble "opportune".
Soumises au droit espagnol les sociétés d’intérim comme Laboral Terra sont accusées par l’avocat d’avoir violé les règles de l’UE sur le détachement.
"Il n’y a pas de détachement. Les contrats ont été signés en France avec des salariés qui étaient en France", pour des missions à répétition sans rentrer en Espagne, et les salariés auraient dû bénéficier de CDI de droit français.
L’administratrice judiciaire de Laboral Terra était absente. "Je n’ai pas vu de volonté farouche de nous rejoindre", a remarqué le juge.
Mais les sociétés utilisatrices, c'est-à-dire les entreprises agricoles françaises qui ont fait venir ces saisonniers marocains sont aussi impliquées aux yeux de l'avocat, "car ce sont les bénéficiaires de cette économie réalisée sur les droits des salariés".
Le dumping social ? (...) Un contrat parfaitement légal autorisé par l'UE
Maître Jean-Pierre Tertian représente une entreprise d’emballage agricole de la région Paca. Sa cliente a employé à des moments différents, les cinq plaignants marocains.
"Le contrat de travailleur détaché, est peut-être un dumping social, mais c'est un contrat parfaitement légal autorisé par l'UE, réplique l'avocat. Et les directives européennes sont supérieures à la loi française".
Me Tertian tient à souligner un autre point, révélé par la récente actualité de la crise sanitaire.
Les sociétés agricoles ne trouvent pas suffisamment de saisonniers en France, et se tournent vers l'étranger.
"L’entreprise utilisatrice n’est pas responsable des agissements de l’entreprise étrangère qui met les travailleurs à sa disposition", défend encore Me Tertian.
Des dizaines de milliers d'euros réclamés
Les ex-salariés marocains de Laboral Terral demandent à la société des dizaines de milliers d’euros de rappel sur salaire, d’indemnités et de dommages et intérêts notamment pour "prêt illicite de main d’œuvre".
Ils réclament aussi qu’une dizaine de sociétés agricoles françaises soient condamnées en solidarité.
Le jugement est attendu le 22 septembre.