Les conclusions d'une étude participative sur la santé des habitants de la zone industrielle autour de Fos-sur-Mer confirment la prévalence de certaines pathologies. Elles décrivent aussi le rapport "ordinaire" de ces habitants à la maladie et la mort.
L'étude présentée par l'équipe Fos EPSEAL, constituée de chercheurs américains et marseillais, conclut huit années de recherche.
Ce projet, décrit comme "avant tout collaboratif", s'appuie sur la déclaration de personnes vivant à proximité de la zone industrialo-portuaire, dans trois communes: Fos-sur-Mer, Port-Saint-Louis-du-Rhône et Saint-Martin-de-Crau.
1254 personnes, adultes et enfants, ont ainsi répondu à un questionnaire de santé, réalisé par porte-à-porte. 69 ateliers ont ensuite été organisés avec la population entre 2016 et 2021, pour analyser les résultats et les mettre en contexte.
L'étude a fait ressortir la prévalence d'affections ORL telles que des irritations des yeux, problèmes de peau chroniques, problèmes nez/gorge ou maux de tête, ainsi que de pathologies chroniques, cancers et diabètes de type 1.
Deux des chercheuses, Johanna Lees, socio-anthropologue et Yolaine Ferrier, anthropologue, se sont intéressé à la façon dont ces habitants vivent leur rapport à la pollution et aux risques pour leur santé.
La maladie et la mort, préoccupations quotidiennes
Dans leurs carnets de terrain, elles ont consigné les déclarations des riverains qu'elles ont rencontrés. Ces extraits montrent de façon saisissante comment la maladie et la mort font partie de leur quotidien, acceptés comme une fatalité.
"Ce n'est pas Fos-sur-Mer, c'est Fossuaire", déclare un Fosséen.
"Ici, les trois quarts de la ville sont malades", affirme une retraite de 62 ans vivant elle aussi à Fos.
"Ici, je vous le dis tout net, c’est un cimetière vivant", estime une femme de 55 ans qui a déclaré cancer et fausses couches.
Un ancien fonctionnaire de 73 ans renchérit : "ils nous tuent pour de l’argent, ils nous empoisonnent, ils tuent la planète".
"Je connais trop de gens qui sont malades, le bassin il est contaminé", déclare une habitante de Port-Saint-Louis.
À chaque fois, ils lâchent le gaz, les odeurs, je pense qu’on va tous crever avant l’âge légal.
Un habitant de Port-Saint-Louis du Rhône
"De toute façon, on va tous mourir ici, c’est sûr, et on va mourir bien avant les autres", déclare encore un sexagénaire interrogé par les deux chercheuses.
"La semaine dernière, on a eu une semaine fatigante, il y a eu 10 décès dans la semaine", constate un couple de retraités, 75 ans, tous deux bénévoles pour la paroisse de Fos.
"La mort et la maladie à Fos-sur-Mer seraient donc pleinement partie prenante d’une expérience sinon quotidienne, du moins ordinaire", analysent les enquêtrices dans leur rapport.
Selon elles, ces témoignages confirment que la zone de front industriel de l’étang de Berre et du golfe de Fos est un "territoire de violences ordinaires".
"Les populations expérimentent la mort et la maladie de manière ordinaire, répétée et quasiment certaine et ce, du fait de ce contexte industriel", expliquent-elles.
"Certains expérimentent également le stress, les intimidations, les pratiques illégales au travail. Nombreux ont été ceux à faire l’objet d’un déni de reconnaissance ou de justice. Les habitants, à l’échelle collective, font donc, d’après nos constats de terrain, l’objet de violences « ordinaires »".
Une violence répétée, distillée lentement et invisible pour les habitants qui l'expérimentent et inscrivent souvent incidemment leur parcours de vie dans une "chronique de mort annoncée", concluent les chercheuses.
Avec une concentration de plus de 400 installations industrielles, raffineries de pétrole, centres de stockage de gaz, industries chimiques, métallurgiques, dépôts pétroliers, incinérateurs et aciéries, et pas moins de 58 sites Seveso, la zone industrielle de Fos est la plus importante du sud de l’Europe.
Le dépôt pétrolier de la zone de Fos-sur-Mer est, quant à lui, un des plus grands dépôts pétroliers au monde.
Environ 400.000 personnes vivent dans les 30 villes alentours.