Le réacteur expérimental international de fusion nucléaire Iter, qui vise à révolutionner la production d'énergie, pourrait subir un retard de plusieurs années en raison de défauts sur des pièces essentielles de ce projet évalué à plusieurs dizaines de milliards dont la facture devrait encore s'alourdir.
"Nous avons deux problèmes", explique Pietro Barabaschi, nouveau directeur général - désigné en septembre - de ce projet international de recherche qui rassemble sept partenaires : Chine, Corée du Sud, Etats-Unis, Inde, Japon, Russie et Union européenne.
Premier "problème" : des "non-conformités dimensionnelles", en clair des écarts pouvant aller jusqu'à deux centimètres entre les parties qui doivent être soudées entre elles pour former la "chambre à vide", c'est-à-dire une gigantesque boucle en forme de chambre à air où se produira la réaction de fusion.
Cette "chambre à vide" a un diamètre de 19 mètres et une hauteur de 11 mètres. Si cette réaction de fusion, semblable à celle des étoiles comme le Soleil, peut-être maîtrisée par les humains, ce qu'Iter espère démontrer, ce serait une source d'énergie non-émettrice de CO2, avec moins de déchets radioactifs et sans risque d'accident nucléaire.
Sur neuf "secteurs" (parties) au total qui constitueront la chambre à vide, trois - fabriqués en Corée du Sud - sont déjà arrivés à Saint-Paul-les-Durance (Bouches-du-Rhône), sur le site d'Iter. Et un a même été installé dans la fosse dans laquelle doit avoir lieu l'expérience, bardé de son "écran thermique", qui protège de la très forte chaleur émise lors de la fusion.
Et c'est le deuxième "problème" : ces écrans présentent eux aussi un défaut de fabrication, qui peut causer de la corrosion et aboutir à des fuites de l'hélium utilisé dans le circuit de refroidissement. "Il va falloir sortir (l'élément déjà installé) et le réparer", explique M. Barabaschi.
Une tâche en elle-même titanesque, le module complet pesant à lui seul 1 250 tonnes. S'y ajouteront les réparations sur les autres "secteurs" déjà livrés, sur ceux encore en construction (un en Corée et cinq en Europe) et la réparation de la totalité des écrans thermiques, voire la construction de nouveaux.
Mois ou années
"Ce n'est pas un processus qui prend des semaines, mais des mois, voire quelques années", poursuit le directeur, qui doit élaborer d'ici la fin de l'année un nouveau calendrier des opérations. D'ores et déjà, la date de première production de plasma, indispensable à la fusion, initialement prévue pour 2025, ne pourra être tenue.
"Indépendamment de ce qui s'est produit, cette date n'était de toute façon pas réaliste", estime le nouveau patron d'Iter, qui dirigeait auparavant la contribution européenne au projet. Mais il espère toutefois que le retard sur cette première étape soit en partie rattrapé avant 2035, date initialement prévue pour le terme de l'expérimentation.
L'élaboration et la mise en œuvre de ce nouveau calendrier seront scrutées par l'Autorité de sûreté nucléaire française, qui a pointé "un défaut de culture de sûreté" lors de ses inspections d'Iter, a indiqué à l'AFP Bastien Lauras, chef de la division de l'ASN Marseille.
L'autorité administrative indépendante "considère qu'Iter n'a pas pris la mesure suffisante pour traiter ces écarts (sur les points de soudure) au bon moment et notamment pour éviter qu'ils se reproduisent dans les secteurs encore en cours de construction", regrette-t-il.
Certaines non-conformités étaient en effet connues avant la livraison, mais "l'opinion à l'époque était qu'il était plus important d'amener les secteurs sur le site et l'on s'attendait à ce qu'on puisse trouver une solution... ce qui s'est avéré impossible", explique Brian Macklin, un des responsables des opérations de réparation, qui n'était pas en charge à l'époque de la réception des pièces.
Il espère que les modalités de réparations seront finalisées et approuvées à l'été. Le secteur déjà dans la fosse ne devrait en tout cas pas être prêt pour intervention avant la fin de l'année.
"Minimiser les coûts"
Ces délais et réparations auront évidemment un impact financier. "Nous devons refaire nos plans pour minimiser les coûts supplémentaires", reconnaît M. Barabaschi. D'autant que le budget global d'Iter est l'objet de polémiques, et d'incertitudes, puisqu'une bonne partie est composée de pièces en nature apportées par les différents membres. "Moi même je n'ai pas une compréhension claire" du coût de chaque partie du projet, assure le nouveau DG. Mais il reconnaît que les estimations souvent avancées, de 20 à 40 milliards d'euros, sont sans doute "proches" de la réalité.
Des montants notamment critiqués par de nombreux militants écologistes, qui dénoncent à l'instar de Greenpeace un gouffre financier qui, même s'il atteint ces objectifs, arrivera "bien trop tard pour faire face à l'urgence climatique" en décarbonant la production d'énergie.
En effet, Iter, contrairement à des centrales nucléaires classiques, y compris celles dotées de réacteurs de nouvelles génération EPR, "n'a pas vocation à produire de l'électricité. Simplement à démontrer la capacité de produire de l'énergie et de la recueillir", comme le rappelle Karine Herviou, directrice générale adjointe de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).
D'autant que parallèlement, d'autres projets de fusion affichent déjà des progrès, comme aux Etats-Unis, où un laboratoire dépendant du ministère de l'Energie a annoncé mi-décembre une "percée majeure" en utilisant une autre technique qu'Iter.
Pietro Barabaschi assure que cette annonce, venue d'un pays membre du projet international, ne l'inquiète pas. "Une certaine concurrence est saine", explique-t-il, ajoutant "qu'en règle générale nous investissons trop peu dans la recherche sur l'énergie". "Si demain quelqu'un trouvait une autre avancée qui rendrait mon travail superflu, je serais très heureux."