Lutte contre le narcotrafic : on vous explique pourquoi des mesures de la proposition de loi votée au Sénat font débat

Accéder aux correspondances des trafiquants sur les réseaux sociaux, mise en place d'un "coffre-fort" pour garder secrètes certaines techniques d'investigations des policiers face aux avocats : voici pourquoi certaines mesures du projet de loi pour "sortir la France du piège du narcotrafic" font débat.

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La lutte contre le narcotrafic est la priorité du gouvernement. C'est ce qu'ont répété ministres et députés. L'ancien procureur de la République de Paris, notamment au moment des attentats du 13 novembre, François Molins a, lui aussi, assuré, au micro de France 2, que le narcotrafic était devenu un fléau plus important que celui du terrorisme.

Mardi 28 janvier, le Sénat a commencé à étudier un texte de loi issu d'une commission d'enquête d'un sénateur de droite et d'un sénateur de gauche. C'est donc une proposition "transpartisane", et c'est historique. Pour autant, les 24 articles proposés pour "sortir la France du piège du narcotrafic" ne font pas l'unanimité, particulièrement parmi les avocats et certains militants de gauche. Voici les mesures qui font débat. 

Rendre secrètes les techniques d'enquêtes de police... aux avocats

Ces 24 articles sont répartis en six grands axes. Parmi eux, la "facilitation de l'utilisation des techniques spéciales d'enquête". Il s'agit, entre autres, de mettre en place des "coffres-forts" ou plutôt "un procès-verbal distinct" qui permettrait de cacher à la défense et donc aux avocats, certaines techniques d'enquêtes "les plus sensibles". Le projet de loi fait également état d'une "lutte contre l’usage dévoyé des nullités de procédure".

Quand vous avez des techniques d'enquêtes que vous versez aux avocats, tous ne sont pas bien intentionnés. Notamment ceux qui défendent les mafieux.

Bruno Retailleau, ministre de l'Intérieur

France 2, 28 janvier 2025

Ce dernier point rejoint le discours du procureur général de la cour d'appel d'Aix-en-Provence lors de la rentrée solennelle du 13 janvier. Il avait déploré que "l'argent et la drogue corrompent parfois les pratiques professionnelles" de certains avocats, qui utiliseraient "les voies de droit au mépris des principes de loyauté et du contradictoire" avec "des nullités fabriquées".

Pour les avocats que nous avons contactés, c'est une atteinte à leur profession. "Notre travail est de défendre quiconque a besoin d'être défendu, et chercher les vices de procédures est le cœur de notre métier", explique un avocate. Dans un communiqué, le conseil national des barreaux rappelle que "la procédure pénale est la garantie de la protection des libertés individuelles et qu’en la matière, il n’existe pas de nullité "fabriquée" mais des nullités constatées par les juridictions comme autant de violations de la loi". L'union des jeunes avocats confirme : "dans leurs allocutions (celles du procureur général d'Aix-en-Provence, de celui de Grenoble et du garde des Sceaux, NDLR), ils insinuent que l’exercice de ces moyens de défense serait à l’origine du retard considérable pris par la justice et de l’accroissement inconsidéré du stock des affaires à traiter". Et de réajuster : "les causes de la déliquescence de la justice pénale, laquelle est indéniable, tiennent à l’insuffisance des moyens alloués à la justice".

D'après l'AFP, cette mesure de création d'un procès-verbal distinct, comme celle de la possibilité accordée aux préfets de prononcer des "interdictions de paraître" sur les points de deal, ne font pas consensus. Elles sont examinées ce mercredi 29 janvier.

Accéder aux correspondances des trafiquants sur Whatsapp et Signal

Les sénateurs et policiers favorables à ces articles, eux, assurent que cela permettrait de cacher certains éléments à des trafiquants, pour éviter les représailles. Sur X, Bruno Bartoccetti, syndicat de police Unité zone sud écrit : "dossier coffre-fort : bien sûr une opposition ferme du CNB (conseil national des barreaux, NDLR)... Balayez devant votre porte !" Cacher des informations aux narcotrafiquants... C'est aussi l'objet d'autres articles déjà approuvés par le Sénat à la suite de la première journée de débats, comme la mise en place d'un régime d'immunité pour les repentis qui permettra d'encourager les dénonciations de réseaux criminels. L'argent occupe une place importante dans ces propositions. Un chapitre entier, déjà adopté par le Sénat lui aussi, entend favoriser la lutte contre le blanchiment d'argent avec, entre autres, la mise en place de fermetures de commerces dits de "façades".

>>> À lire aussi : Des "millions de montres Rolex entassées depuis des années au dépôt de Marseille", la lutte contre le narcotrafic, priorité absolue pour Darmanin.

Sur cette lancée, plusieurs propositions tournent autour du "renforcement de la répression pénale dont la lutte contre le narcotrafic en ligne". Dans le viseur du gouvernement, les têtes de réseaux qui auront l'obligation de rendre des comptes sur leur train de vie : la procédure "d'injonction pour richesse inexpliquée" a aussi été adoptée par le Sénat mardi 28 janvier. En revanche, des clivages sont apparus sur un amendement de la droite, relatif aux messageries chiffrées, rapporte l'AFP. "Adoptée par le Sénat avec l'aval du gouvernement, la mesure visait à imposer à ces plateformes, comme Signal ou Whatsapp, de permettre aux services de renseignement d'accéder aux correspondances des trafiquants, sous conditions strictes".

Plusieurs groupes parlementaires à gauche ont aussi regretté l'absence dans ce texte d'un volet sur la prévention, relançant brièvement la sensible question de la dépénalisation de l'usage de drogues. "Ce texte contient des mesures attendues, des avancées certaines. Mais seules et sans moyens, elles ne permettront pas de déjouer le piège du narcotrafic", a regretté l'écologiste Guy Benarroche, à l'AFP.

Un parquet national anticriminalité... mais pas de projet santé publique

Parmi les propositions phares, la première à avoir été adoptée en début de soirée est la création d'un parquet national anticriminalité. La possibilité de son installation à Marseille avait été évoquée, c'est finalement Paris qui est choisi "par défaut", a expliqué le ministre de la Justice Gerald Darmanin. Ce parquet devrait être construit sur le modèle du parquet antiterroriste, créé en 2019. 130 millions d'euros sont nécessaires à sa création. Il "se saisira des affaires les plus lourdes et complexes, et exercera un rôle de coordination de l’ensemble des parquets". Il devrait voir le jour en janvier 2026. Cette proposition de loi entend notamment lutter contre la corruption et la poursuite des trafics en prison.

>>> À lire aussi : "C'est l'embolie judiciaire" : le narcotrafic et les narchomicides vont saturer le tribunal, le SOS du procureur général.

Invité sur le plateau de France 3 Provence-Alpes mercredi 28 janvier, Amine Kessaci, militant politique (EELV) et fondateur de l'association "Conscience" (en 2020, après la mort de son grand frère assassiné sur fond de trafic de stupéfiants), reconnaît qu'un "premier pas a été fait". Pour autant, ce n'est pas suffisant d'après celui qui a assigné l'État en septembre 2023 pour "abandon des quartiers nord". Pour Amine Kessaci, l'accent devrait être mis davantage sur la recherche d'alternatives économiques pour les jeunes de quartiers populaires. Sur le terrain, ils devraient être aidés dans la recherche d'emplois intéressants, pour contrer "l'appel du deal", détaille-t-il. Surtout, il souligne un "grand volet absent" : "la santé publique".

Qu'ils soient d'accord ou non avec toutes ces mesures, les militants, avocats, magistrats et policiers interrogés s'entendent sur un point : la question du narcotrafic doit être une priorité tant elle fait de morts, et tant elle encombre les tribunaux et les prisons. Un vote solennel sur ces propositions est prévu le 4 février au Palais du Luxembourg, puis l'Assemblée nationale devrait s'en saisir dans la semaine du 17 mars, d'après l'AFP. 

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