Le tribunal administratif de Marseille a rejeté vendredi la requête de fermeture temporaire du centre de rétention administrative (CRA) du Canet. 60 hommes y sont retenus actuellement, faisant l'objet d'une future reconduite à la frontière. Début juillet, un rapport du bâtonnier avait souligné de nombreux dysfonctionnements dans le centre.
Climatisation défaillante, absence d'eau froide, insécurité, le centre de rétention administrative (CRA) du Canet a fait l'objet mi-juillet, d'un rapport accablant rédigé par le batônnier de Marseille. C'est sur ces éléments qu'une requête de fermeture temporaire avait été lancée en référé.
Vendredi, le tribunal administratif de Marseille a débouté le barreau de Marseille et les avocats de 17 retenus du CRA, estimant que les travaux réalisés dans le centre, depuis la visite du bâtonnier le 10 juillet, étaient suffisants pour écarter une fermeture.
Un CRA est un lieu fermé, où est placée toute personne étrangère, qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement où d'une Obligation de Quitter le Territoire (OQTF), en l'attente d'une reconduite à la frontière. La rétention ne doit pas dépasser 90 jours.
Une mort suspecte, un incendie, des tentatives de suicide
Dans la nuit du 30 juin dernier, un incendie se déclare dans un des blocs du CRA. Les flammes se propagent, et avec l'intervention des marins-pompiers de Marseille, 43 retenus sont évacués. Le lendemain, un homme est retrouvé inconscient. Il s'agit d'un tunisien, père de famille. Il décèdera le dimanche d'un arrêt cardiaque. S'agit-il d'une asphyxie ? Les premiers éléments de l'enquête se dirigeraient vers une intoxication médicamenteuse.
Dans les jours qui suivent, deux retenus tentent de se suicider. Une situation sous tension, qui a conduit le bâtonnier du barreau de Marseille, à visiter les lieux le 10 juillet, comme l'en autorise la nouvelle loi de décembre 2021.
Un rapport accablant sur les conditions de rétention
Et le rapport que Me Mathieu Jacquier rendra quelques jours après sa visite est édifiant : "Il fait très chaud dans toutes les chambres, les fenêtres ne bénéficient que de très faibles ouvertures (de la taille d’une main environ, en hauteur et en largeur), pas de ventilation artificielle, pas de ventilation naturelle" peut-on y lire.
Contacté par téléphone, le bâtonnier nous confirme que les températures avoisinaient lors de sa visite, les 31 degrés : "il faisait plus chaud à l'intérieur qu'à l'extérieur", explique-t-il. La climatisation est en panne depuis l'incendie.
"Même si l'on ne remet pas en question la necessité de mettre des barreaux aux fenêtres, ces grilles donnent un sentiment d'enfermement et d'oppression très important", s'indigne-t-il.
Me Mathieu Jacquier relève aussi l'absence d'eau froide en accès libre. Seules des bouteilles d'eau sont distribuées lors des repas.
Enfin, le système de sécurité incendie est aussi en panne depuis le sinistre du 30 juin.
On est loin des conditions d'accueil de type "hôtelier", prévu dans le code de l'entrée du séjour des étrangers et du droit d'asile :
Les centres de rétention administrative offrent aux étrangers retenus des équipements de type hôtelier et des prestations de restauration collective. Leur capacité d'accueil ne peut pas dépasser cent quarante places.
Article R744-5, Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile
Insécurité inquiétante
"Il y a manifestement un problème d’insécurité assez généralisé au sein du CRA de Marseille (bagarres, rackets, agressions sexuelles et même viols semblent assez courant)", peut-on lire dans le rapport.
Le bâtonnier confirme : "les chambres ne peuvent pas se verrouiller de l'intérieur, et les retenus comme le personnel nous ont fait part de nombreuses agressions et de viols".
Les conditions actuelles de rétention sont contraire au principe de dignité humaine et les personnes retenues sont en insécurité permanente, en proie à ces violences quotidiennes"
Rapport du Bâtonnier
Pour Me Mathieu Jacquier, cette insécurité est d'autant plus visible au CRA, depuis une circulaire du Ministère de l'Intérieur d'aôut 2022, dans laquelle il est précisé que toute personne irrégulière interpelée pour trouble à l'ordre public, doit être "prioritairement" placée en rétention.
"Les CRA n’étaient pas conçus pour çà, avant il y avait des familles, des personnes plutôt intégrées. Et on a mêlé à ces gens là des personnes qui ont fait l'objet de trouble à l'ordre public, qui ont parfois des troubles psychologiques", explique le bâtonnier.
Les témoignages reccueillis par le Mathieu Jacquier, qu'ils soient du personnel ou des retenus en disent long : il n'y a pas de "soutien psychiatrique ou même d’appui psychologique, alors que la moitié des personnes retenues souffrent de problèmes d’addiction, de problèmes psychiatriques ou de problèmes psychologiques". D'ailleurs, aucune cellule psychologique n'aurait été mise en place, après l'incendie du 30 juin.
Un coup de pression, et des travaux effectués dans la hâte
Saisi par une procédure d'urgence de référé-liberté, le tribunal administratif de Marseille a exclu vendredi toute fermeture temporaire du CRA du Canet. Dans la hâte, la Préfecture des Bouches-du-Rhône a en effet rédigé une note, que nous avons consultée. Le document est daté du 27 juillet, veille de l'audience :
"Le système de sécurité incendie a été réparé hier dans la zone occupée par les étrangers" peut-on y lire, attestation de passage d'entrepreneurs à l'appui.
De même "la climatisation a été également été réparée hier, les filtres ont été changés, et la température en sortie est comprise entre 21 et 23°".
"La décision du Tribunal (de ne pas fermer le CRA) est logique après cette note", reconnaît le bâtonnier de Marseille.
"Ce qui est dommage c'est qu'il aura fallu un recours et une demande de fermeture, pour que les travaux se fassent" ajoute-t-il.
En attendant, les problèmes d'insécurité sont loin d'être réglés. Le tribunal reconnaît que "le nombre de personnes retenues atteintes de troubles psychiatriques est en augmentation", et que le préfet ne démontre pas "le respect actuel par l'administration des modalités de prise en charge médicale des personnes en rétention".
En 2022, la France comptait 25 de ces centres, pour 1.936 places disponibles. Le gouvernement espère atteindre 3.000 places d'ici 2027 avec la construction de nouveaux CRA.
A Marseille, le CRA du Canet a une capacité de 110 places. Depuis l'incendie, ils ne sont plus que 60 hommes, comme livrés à eux-mêmes, dans ce sas vers la sortie du territoire.