TEMOIGNAGE. "Nos proches sont morts deux fois" : l'indignation des familles de victimes d'assassinat face aux lenteurs de la justice à Marseille

L'association de familles de victimes ALEHAN manifeste ce mercredi à Marseille. Elle dénonce le manque de moyen de l'institution judiciaire et policière, dans l'élucidation des enquêtes pour homicide.

Zaïr Meziene est mort le 4 avril 2016, à la cité de la Paternelle à Marseille. Il avait 48 ans. Depuis ce jour, sa sœur Karima Meziene n'a de cesse d'interpeller la justice pour que l'enquête avance. 

Comme Karima, elles sont des dizaines de familles endeuillées à Marseille. Des enfants, des maris, des frères ou cousins morts sous les balles. Les enquêtes piétinent depuis parfois plusieurs années. Et les assassins courent toujours assure le collectif.

La justice, Karima la respecte profondément. Pour preuve, elle a embrassé la vocation d'avocate. Elle en connaît les rouages, et les dysfonctionnements. 

C'est pourquoi elle met son expérience au service de l'association Alehan, une association de soutien aux familles de victimes d'homicides. Mercredi midi, ce sont plusieurs dizaines de personnes qui ont manifesté du Vieux-Port au Palais de Justice de Marseille. 

Plus de moyens pour la police et les juges d'instruction

Le dossier de Zaïr a été remis à la brigade du proxénétisme au lendemain de son assassinat : "on m'a dit que la criminelle avait trop de travail. Ca a été une chance, les enquêteurs ont remis leurs conclusions, avec une liste de suspects, quelques mois plus tard", explique Karima. 

Depuis ce jour, en 2017, elle n'a plus aucune nouvelle : "personne de ma famille n'a été auditionnée. Je ne sais pas si les suspects l'ont été". Nous sommes en 2022. Cinq ans donc, que l'enquête serait au point mort. 

Avec l'association Alehan, Karima milite pour que ces meurtres ne restent plus sans réponse. "Si nos magistrats et nos juges sont venus signer une tribune sur leurs conditions de travail ce n’est pas rien, et cela reflète le désarroi des familles".  

"Les dossiers compliqués sont mis de côté. Et lorsque les familles découvrent les éléments, plusieurs mois ou années après, elles se rendent compte que des témoins n'ont pas été auditionnés, que les images de vidéosurveillance n'ont pas été saisies", explique l'avocate. 

L'association d'aide aux familles de victimes souhaitent interpeller les pouvoirs publics, et demander des moyens supplémentaires alloués aux enquêteurs, et aux juges d'instruction. 

Rouvrir les "Cold Cases"

Elles souhaitent également que ces "dossiers abandonnés" depuis trop longtemps sur un coin de table, soient traités en priorité. Voire la création d'un "Pôle Cold Case", pour rouvrir les affaires classées sans suite. 

En bref, des moyens, et de la volonté, pour que ces familles ne se sentent plus abandonnées par les pouvoirs publics : "les familles ont le sentiment d'être des citoyens de seconde zone, que nos proches méritaient ce qu'il leur est arrivé", se désole Karima. 

Nos proches sont morts deux fois : une fois sous les balles de leur assassin, une seconde fois sous l'indifférence de la justice

Karima Meziene

L'année où le frère de Karima a été assassiné, le triste record des morts par règlements de compte à Marseille affichait 29 morts en 2016. "Dans le cas de mon frère, il s'agit probablement d'une affaire personnelle, mais le mode opératoire est celui des réglos". 

Selon l'avocate, 48% des affaires de règlements de compte à Marseille serait élucidées : "cela veut dire que 52% ne le sont pas, que des criminels se promènent dans les rues". 

L'association Alehan a déjà interpellé le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, ou le Garde des Sceaux, en visite à Marseille sur le sujet. Karima Meziene a même écrit à Emmanuel Macron. Aucune réponse concrète ne lui a été apportée. 

Pas de preuves et pas de témoins

Karine Sabourin, déléguée de l'Union syndicale des magistrats (USM) a occupé des fonctions de juge d’instruction. Elle a instruit de gros dossiers de banditisme et notamment des affaires de stupéfiants comme la tour K à la Castellane. La magistrate connaît bien la problématique des règlements de compte.

Sans confirmer le chiffre des élucidations, Karine Sabourin reconnait que l'institution judiciaire se heurte à l'élucidation des règlements de compte en raison d'un double problème, de matériel et de témoignage.

"Ce ne sont pas les quelque étuis ou douilles retrouvés sur les lieux d'un homicide qui vont renseigner les enquêteurs sur les auteurs, il y a très peu de traces matérielles, d'ADN, tout est soigneusement brûlé (…) et il n'y a aucun témoignage, personne n'a jamais rien vu, ni entendu quoi que ce soit".

Dès lors détaille la magistrate, il y a trois sortes d'élucidation : une élucidation policière, un travail d'enquête par ce que "l'on sait qu'il s'agit d'une guerre de territoires, qu'il a telle bande contre telle autre. Le contexte criminel est connu et permet aux enquêteurs de remonter le fil".

"Soit il s'agit d'une élucidation de type association de malfaiteurs qui permet de retrouver tous ceux qui ont contribué à des degrés divers à l'organisation criminelle des faits". Et enfin, les assises où est établie une "déclaration de culpabilité".

Depuis le début de l'année 2022, 15 personnes sont mortes, victimes de probables règlements de compte, visées par des tirs de 9mm ou d'armes automatiques type kalachnikov. Cinq d'entre eux au moins étaient défavorablement connus des services de police. 

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