L’aîné est en situation de handicap, la benjamine souffre de déficience intellectuelle et le cadet d’autisme modéré. Faute de place en écoles spécialisées ou d’accompagnant éducatif, une maman de Port-de-Bouc doit faire cours elle-même à ses enfants.
C'est une cabane en bois bien particulière. À l’intérieur, les murs sont remplis d’images représentant les chiffres, les saisons ou encore les lettres de l’alphabet. Des lunettes bleues sur le bout du nez et une calculatrice en main, Lorenzo, 11 ans, s’applique, lui, à faire ses calculs.
Atteint d’autisme modéré, il a déjà repris l’école en famille. Et sa maîtresse n’est autre que sa maman.
"Il a un niveau très hétérogène, celui d’un élève de 6e en mathématiques et de CE1 en français, explique-Elodie Perault-Guillerault. Ça ne peut donc pas fonctionner dans une classe normale, il y a trop d’écart avec les 28 autres élèves."
Après des cursus dans le système scolaire classique puis spécialisé, Elodie Perault-Guillerault a dû trouver une solution. Elle est contrainte d’enseigner les bases scolaires à ses trois enfants handicapés au fond du jardin familial, dans sa propriété de Port-de-Bouc (Bouches-du-Rhône).
Jusqu’à sept ans d’attente pour obtenir une place
La grande sœur, les cheveux bruns et le front habillé d’une courte frange, a plus de difficultés. Problème : "Il y a entre cinq et sept ans d’attente aujourd’hui, et encore c’est si vous vous y prenez à temps", lâche Elodie Perault-Guillerault qui ne trouve aucune place pour Lorenzo, Athéna et Estéban.
De temps en temps, l’ancien instituteur du plus grand de la fratrie vient lui rendre visite. Une guitare sur le dos, Frédéric Grimaud vient ici faire le bilan.
"Il travaille un peu sur la tablette avec des applications mais n’a rien fait de plus dans sa scolarité depuis un an", lui confie Elodie Perault-Guillerault, à propos d’Esteban, 14 ans.
Au moment de replacer les lettres de son prénom dans le bon ordre, un large sourire se dessine sur son visage. Et lorsque Frédéric Grimaud lui chante une chanson, il s’esclaffe de joie.
"Moi, c’est dur, je l’ai eu cinq ans en classe donc me dire que tout l’apprentissage qu’il a fait dans notre classe, avec le soutien des AESH* (Accompagnants des élèves en situation d’handicap), tout ça, ça s’arrête, franchement je ne peux pas m’y résoudre", regrette l’enseignant.
Déjà trop tard à 14 ans pour entrer en IME
Elodie Perault-Guillerault cherche encore un professeur à l’année pour Estéban mais elle a peu d’espoir. "Mon fils est trop âgé. Si on prend en compte les délais d’attente, ce sera trop tard pour qu’il intègre un IME* (Institut médicoéducatif)", s'indigne-t-elle.
De retour dans le salon pour l’heure du déjeuner, elle continue son métier à temps plein. "C’est assez diversifié mais très chronophage, d’autant qu’il est non verbal donc il faut toujours être à la recherche de signes pour tenter de comprendre ses demandes et éviter toute la gestion du stress, anticiper d’éventuelles crises de violence", assure-t-elle en donnant une cuillère de yaourt liégeois à son fils, enfant épileptique.
A cela s'ajoute la gestion du "dossier MDPH" à la maison départementale des personnes handicapées pour toutes demandes en lien avec les difficultés de l’enfant : reconnaissance du taux d’invalidité, orientations en établissement, aménagements scolaires spécifiques, compensations financières pour couvrir les frais, etc.
La pénurie massive de professeurs a un impact non seulement sur les enfants "normaux" mais encore plus sur les enfants atteints de pathologie.
Elodie Perault-Guillerault
"Tout le côté administratif, le fait de courir après tous les bilans des professionnels de santé libérales qui nous accompagnent au quotidien... Ce n’est pas de l’aide à domicile, plaisante-t-elle, car je suis maman avant tout mais quasi car je fais tous les gestes du quotidien pour lui".
"L’éducation nationale n’a plus les moyens pour former des enseignants et des AESH. La pénurie massive de professeurs a un impact non seulement sur les enfants "normaux" mais encore plus sur les enfants atteints de pathologie. Même chose du côté des instituts médicoéducatifs" poursuit-elle.
Avec des parents professeurs au collège et une grand-mère maternelle directrice d’école maternelle, Elodie Perault-Guillerault se dit qu’elle a "peut-être ça dans le sang !"
Chaque jour, cette mère de famille crée de nouveaux supports à la portée de ses enfants. Se remettre en question pour les faire avancer même si "le travail d’enseignant, ça ne s’improvise pas !"
Le pôle inclusif d’accompagnement localisé (PIAL) est une nouvelle forme d’organisation des AVS/AESH à l’école. Mais selon Elodie Perault-Guillerault, "les notifications qui prévoient un accompagnant par enfant ne sont pas respectées."
Cette mère de famille, représentante à l’association nationale des équipes qui contribuent à l’action sociale (ANECAM) mène aujourd’hui un autre combat : celui de voir les choses s’arranger pour les enfants qui rentrent en maternelle, cette fois.
"Je vois trop de témoignages de parents qui se prennent des murs. On a retroussé nos manches et on se bat désormais pour eux", conclut-elle.