Trafic de drogue : à Marseille c'est "un plan de carrière" que les narcotrafiquants proposent aux jeunes des cités

Le ministre de la Justice a promis l'envoi de magistrats supplémentaires à Marseille, marquée par des règlements de comptes qui ont poussé élus et professionnels à réclamer davantage de moyens. Une guerre des stupéfiants que connait très bien Karine Sabourin, vice-présidente du tribunal judiciaire.

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Interpellé sur le manque de ressources dans le troisième tribunal judiciaire de France (après Paris et Bobigny), le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti a assuré mardi qu'il répondrait "favorablement" dans les jours qui viennent aux demandes "légitimes et nécessaires" de magistrats supplémentaires.

Depuis un an, 62 personnels, hors magistrats, sont arrivés dans la juridiction de Marseille, et 11 magistrats ont été recrutés, dont les derniers doivent prendre leur poste au 1er septembre.

Dont acte. L'annonce a été relevée par Karine Sabourin. Magistrate depuis 1985, vice-présidente du tribunal judiciaire de Marseille et déléguée de la section locale de l’Union Syndicale des Magistrats (USM), Karine Sabourin a alterné à la fois les fonctions de juge d’instruction et de parquetière. Pour la magistrate, il était plus que temps.

"Le dénuement des juridictions est un sujet national, on n'arrête pas de faire des mouvements pour revendiquer des moyens supplémentaires, on manque de magistrats, on manque de greffiers, on manque de locaux, d'informatique, on agit dans un dénuement impressionnant et Marseille en est l'illustration la plus parfaite.

La criminalité y est particulièrement organisée, sans doute liée à la pauvreté des cités. On a une tradition délinquante ici. Ce qui est dramatique c'est que cette criminalité affecte les familles, les enfants au quotidien. On a d'un côté des narcotrafiquants et d'un autre des familles qui essayent de survivre dans un contexte dans un contexte totalement insécurisant.

La situation est apocalyptique à Marseille avec ces règlements de compte et on attend des moyens pour faire face. La surcharge actuelle des magistrats en dossier, le retard des jugements sont dus à un manque d'effectif en magistrat et en greffier. Après cela ne va pas résoudre tout le problème marseillais."

À Marseille depuis 2012, Karine Sabourin a occupé des fonctions de juge d’instruction. Elle a instruit de gros dossiers de banditisme et notamment des affaires de stupéfiants comme la tour K à la Castellane. La magistrate connaît bien la problématique des réseaux.

"Le trafic de stupéfiants ne va pas être éradiqué uniquement par la répression. Il va falloir agir sur tous les plans. Ça commence par l'école, l'éducation, les parents, ça passe par la formation professionnelle, par l'insertion, par l'emploi, ce sont des mesures sociales et économiques qui dépassent largement le cadre judiciaire et le cadre policier."

On leur propose un véritable plan de carrière (...) mais dans leur société qui est celle du trafic.

Karine Sabourin, magistrate

 

Selon Karine Sabourin, la seule insertion des jeunes dans les cités est de faire carrière dans le trafic de stupéfiants. "On leur propose un véritable plan de carrière avec des perspectives d'insertion mais dans leur société qui est celle du trafic.

Un jeune va commencer à 14-16 ans comme chouf (guetteur, ndrl). Il va progresser – c'est une promotion – comme charbonneur (vendeur), ensuite il deviendra ravitailleur, c'est-à-dire qu'il apportera le produit au vendeur. S'il progresse, il deviendra banquier, une mission de confiance, pour relever l'argent au fur et à mesure des ventes. Après, il deviendra gérant et s'il passe entre les balles il deviendra grand gérant. On ne le verra plus sur les points de vente, il sera superviseur et tombera éventuellement dans les enquêtes de la police judiciaire.

Ce qu'il faudrait au niveau global et cela concerne la municipalité, la région et le gouvernement, c'est de proposer un autre plan de carrière à ces jeunes, qu'il soit attractif et qu'il comprenne une fois pour toute que s'ils persistent dans ce plan de carrière stupéfiant, ils finissent soit entre quatre murs, c'est la prison, soit entre quatre planches, c'est le cercueil, c'est l'assassinat."

Depuis le début de l'été, la ville est meurtrie par une "explosion" des règlements de comptes liés au trafic de drogue: 12 des 15 morts enregistrés depuis le début de l'année l'ont été au cours des deux derniers mois. Après les visites du ministre de l'Intérieur et du garde des Sceaux, le président de la République Emmanuel Macron se rendra à son tour à Marseille début septembre.

Le chef de l'État devrait faire "un certain nombre d'annonces", selon le maire de Marseille Benoît Payan. Un espoir partagé par la déléguée de la section locale de l’Union Syndicale des Magistrats. 

"On espère et l'USM particulièrement que cela ne va pas être un numéro de claquettes comme les politiques savent en faire quelques fois et que cela va être suivi par un plan effectif. Nous voulons du concret et les habitants des cités attendent du concret.

On a un défilé de personnalités, le président est en fin de mandat, le ministre (de l'Intérieur, ndlr) on en sait rien, mais je pense que par respect pour eux-mêmes et leur fonction, les annonces vont être écoutées, gravées dans le marbre, la population marseillaise et tous ses responsables vont s'en souvenir."

A huit mois du premier tour de la présidentielle, l'exécutif s'apprête ainsi à occuper le terrain au moment où, dans tous les courants politiques, les prétendants à l'Elysée s'affirment. Ce sera notamment le cas ce week-end, à travers les réunions de rentrée de plusieurs partis ou candidats, notamment au PCF à Aix-en-Provence, à La France Insoumise ou chez Les Républicains.

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