Confinements : solidarité et système D dans les quartiers nord de Marseille

Les confinements ont laissé des stigmates dans les quartiers populaires de Marseille. De nombreux habitants déjà en grande précarité ont basculé dans la pauvreté. Pour aider ces familles, depuis un an le Collectif Maison Blanche se mobilise pour distribuer des denrées alimentaires.

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"Une deux ...trois, quatre...15 familles aujourd’hui !" Sabrina Zaouani a étalé ses dossiers sur la petite table d’extérieur.

Ce matin, c’est sur la terrasse de son petit appartement neuf du 14ème arrondissement, dans les quartiers Nords de Marseille, qu’elle et son compagnon Nair Abdallah préparent les colis.

Des appels d’urgence sur les réseaux sociaux

Le temps presse, des familles dans le besoin comptent sur eux. Pâtes, riz, feuilles de brique, sucre… des aliments de première nécessité… qu’il faut répartir. "Prépares-en un peu plus !" insiste la jeune femme, un peu soucieuse.

Elle le sait, il y aura forcément de nouveaux appels dans la journée… "c’est souvent comme ça, on nous téléphone, ou on nous contacte sur les réseaux sociaux pour nous demander de l’aide d’urgence, et quand on peut, on n’hésite pas... et aujourd’hui on est content, nous avons reçu quelques dons supplémentaires, ces derniers temps on ne faisait qu’une seule distribution par semaine, là ce sera la deuxième."

Des familles dorment le ventre vide

Nair est chauffeur de car, elle travaille dans le luxe, pendant le confinement ils consacrent leur temps libre aux autres. "On ne peut pas rester sans rien faire alors que des familles dorment le ventre vide !" se justifie Nair.

 En quelques minutes, la voiture est remplie, le couple se rend à son premier rendez-vous dans le quartier populaire de la Busserine. Là, ils sont une poignée à attendre, "bonjour ! comment allez-vous ?" lance Sabrina, qui vérifie en même temps les noms des bénéficiaires sur sa précieuse liste : "c’est pour l’association, pour le collectif Maison Blanche" leur précise-t-elle. "C’est important de savoir qui reçoit cette aide, pour bien la répartir entre les demandeurs."

"Avec 500 euros par mois, après le loyer, il ne reste plus rien"

A deux pas derrière, Nair ouvre le coffre, commence la distribution. La file d’attente se forme, dans la bonne humeur. Premier servi, Jeannot sourire aux lèvres. Ce retraité est un habitué, "ça va me permettre de tenir quelques jours" dit-il en remplissant son sac… "vous avez du pain ?" demande-t-il ? "Merci !"

Avec 500 euros par mois, explique-t-il «"une fois qu’on a payé le loyer, il ne reste plus grand-chose, heureusement les associations comme le collectif Maison Blanche sont là …ça nous aide…ça fait du bien au moral !"

C’est plus dur quand on a des enfants

"Ils seront bénis !" crie une autre ! Sous les approbations des familles présentes. "Heureusement qu’ils sont là ! je suis retraitée mais avec le confinement, je n’ai pas pu faire les papiers…à cause du télétravail !!". Mais s’agace la sexagénaire, "je ne suis pas la pire …regardez cette dame, elle a trois enfants ! C’est plus dur quand on a des enfants !".

On dirait que l’état nous laisse crever de faim !

La dame, est là, s'approche, se justifie dans un français hésitant : "mon mari est intérimaire, mais avec les confinements, il n’a plus de travail, on lui refuse des missions ! je l’ai dit à mes enfants, ce n’est plus comme avant,  non…ce n’est plus comme avant, on dirait que l’état nous laisse crever de faim !" Puis s’en va en tirant son cabat à roulettes et en remerciant une nouvelle fois le jeune couple.

J’aimerais pouvoir tous les aider

 La tournée se poursuit, Nair au volant se faufile dans les ruelles du centre. "Ici c’est incroyable, comment peut-on laisser vivre des gens dans une telle situation, c’est des humains comme vous et moi !" Dans ce quartier squatté par des gens du voyage, le spectacle est affligeant , la misère s’étale sous les yeux des passants. "J’aimerais pouvoir, tous les aider d’un claquement de doigts…mais la situation est extraordinaire ! La misère est si grande à Marseille", lâche-t-il, puis retombe dans le silence.

Le deuxième rendez-vous est une livraison à domicile, fait plutôt rare pour le collectif qui propose habituellement des points de distribution.

Un adolescent s’approche, "comment va ta mère ?" demande Nair. C’est une situation exceptionnelle, explique-t-il, "sa mère a le Covid ! Elle est trop faible pour se déplacer. Alors on lui donne un peu plus."

On a aidé jusqu’à 1.200 personnes par jour

L’association distribue dans plusieurs arrondissements de Marseille, avec les confinements successifs, les appels se sont multipliés, "on a eu jusqu’ à 1.200 personnes par jour ! Surtout au premier confinement !" précise Nair.

Téléphone à la main, il filme en direct sur les réseaux sociaux les distributions de dons, et y ajoute des commentaires, mais c’est à double tranchant.

"On reçoit du coup d’avantages d’appels mais si on n’a plus assez, c’est dur.. " A peine termine-t-il sa phrase que le premier message tombe…. Il faut répondre. "Bonjour, nous avons reçu votre appel, laissez-nous vos coordonnées…il y a beaucoup de demandes mais ce soir, on essayera de vous apporter quelque chose", puis il raccroche, c’est toujours comme ça ajoute Sabrina ! 

Un collectif crée en 2018 après un drame

Initialement, le collectif Maison Blanche n’a pas été créé pour l’aide alimentaire. Tout a commencé en juillet 2018.  Une fillette de 6 ans fait une chute mortelle du 12ème étage d’un des immeubles du quartier Maison Blanche, cité très populaire et pauvre du nord de la ville.

Fondé par des riverains et des jeunes, le collectif dénonce alors l’insalubrité et le manque de sécurisation des balcons. Le premier d’une longue série de combats.

Plus de la moitié des habitants du quartier vivent de travail au noir

Insécurité routière, justice, insertion sociale, activités culturelles… Le maître mot est toujours la solidarité et le lien social entre les habitants. Il y fait d’ailleurs bon vivre malgré la précarité. "Ici plus de la moitié des habitants vivent de petits boulots au noir" rappelle Nair. C’est pourquoi la crise a frappé ici plus fort qu’ailleurs.

Ce quartier est celui de Nair et Yacoub Medfai, 27 ans, l’autre pilier du collectif. Lui aussi consacre son temps libre après son travail à aider les familles en difficulté, lui qui a réussi dans sa vie professionnelle.

Ce jour-là, d’ailleurs, ils sont tous les deux réunis dans un local sombre au pied d’un des immeubles insalubres de la cité. "Il sert à stocker les dons" explique Yacoub ! Au menu : patates douces à distribuer. Un arrivage imprévu mais bienvenu. Place au bouche à oreille !

Un quartier solidaire où il fait bon vivre

Nair interpelle un enfant du quartier en pleine partie de foot sur un trottoir cerné de routes très fréquentées, seul terrain de jeu disponible, "il faut faire passer le mot aux tatas" lui dit-il ! "Dans le quartier nous nous connaissons tous, nous sommes une grande famille,  les gens ne savent pas mais, c’est multiculturel Maison Blanche !" précise Yacoub.

Le premier confinement a tout chamboulé

 En attendant la venue des familles, il nous explique comment le collectif en est arrivé là, à faire de l’aide alimentaire, "C’est le premier confinement qui a tout chamboulé".

En Mars 2020, comme tous les français, Nair et Yacoub  sont confinés à domicile, alors pour maintenir le lien social, ils communiquent sur les réseaux sociaux. "C’est là, que nous avons reçu carrément un appel à l’aide d’une famille, elle n’avait plus rien à manger, il fallait agir !"

"Il avait tellement faim qu’il n’arrivait plus à s’assoir"

Les premières grandes distributions se font au pied de l’immeuble en avril 2020. Des centaines de personnes descendent récupérer des denrées collectées par le collectif.

"Nous avons même rencontré un homme qui avait tellement faim qu’il n’arrivait plus à s’assoir, ou encore une femme qui se nourrissait d’oignons pour laisser davantage à ses enfants !"

Une détresse qui a fait réagir ces jeunes. Il y a un an, ils  étaient une vingtaine. Aujourd’hui, ils sont moins nombreux, une poignée d’irréductibles, mais la motivation reste la même.

Un an, c’est ce qu’il leur a fallu pour apprendre et grandir : passer d’un collectif à une association. Un statut qui leur ouvre des portes, les rend crédibles.

Ils mettent leurs propres deniers pour aider

Le nerf de la guerre ce sont bien sûr les dons. Trouver des colis s’avére parfois très compliqué, entre refus et promesses non tenues. Ils sont obligés de mettre leurs propres deniers pour acheter des denrées alimentaires à redistribuer au nom de la solidarité.

Seule une collecte de fond sur internet en 2020, le Secours Populaire ou encore l’Acadel, une épicerie solidaire marseillaise les ont soutenu dès le début.

Inaction de l’Etat et le silence des politiques

Côté pouvoir public Nair est sans concession ! Il dénonce l’inaction de l’Etat et l’absence des politiques. "Ils viennent faire leur speech et puis il ne se passe rien.  Je le sais" dit -t-il  "le collectif Maison Blanche est seul, on ne peut compter que sur nous même !" Mais au -delà de la colère, il y a la fierté, celle d’avoir pu, un peu contribuer à faire reculer la faim en cette période difficile. Le système D et la solidarité ont fait des miracles dans les quartiers nord de Marseille.

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