Témoignages. "Un pied de nez au capitalisme" : il y a 10 ans, les salariés de Fralib sauvaient leur usine

Publié le Écrit par Louise BeliaeffMariella Coste et Valérie Bour

La coopérative Scop-Ti, créée après la victoire des salariés de l’usine Fralib face à Unilever, fête samedi ses 10 ans d’existence. Les figures emblématiques de la lutte reviennent sur ces 1336 jours de conflit.

"Aujourd’hui, nous sommes toujours vivants". La coopérative Scop-Ti marque le coup pour célébrer ses dix ans d'existence. Grande soirée, portes ouvertes, buffet, spectacle… Une journée de fête est prévue ce samedi 18 mai. "On invite tous nos camarades, nos amis, nos adhérents, ceux qui nous ont soutenus depuis la première heure jusqu’à aujourd’hui", déclare Gérard Cazorla, président fondateur administrateur Scop-Ti.

Le combat des salariés pour préserver leurs emplois

Située en plein cœur de la Provence, à Gémenos, la Scop-Ti produit les thés et infusions sous la marque "1336". Car ici, des salariés ont lutté 1 336 jours pour préserver leur usine. L'histoire de l'entreprise remonte aux années 1970. Les thés de la marque "Eléphant" étaient alors fabriqués dans cette usine, à l'époque nommée Fralib, et appartenant au groupe multinational Unilever.

Le 28 septembre 2010, le géant de l'agroalimentaire annonce le projet de fermer l'usine et de transférer la production en Pologne. Les salariés et les organisations syndicales CGT et CFE-CGC se mettent aussitôt en grève et occupent l'usine, avec pour objectif de maintenir l’activité et ses 182 emplois.

En mai 2014, après trois plans sociaux annulés par la justice, un accord est enfin trouvé. Unilever ne cède pas la marque "Eléphant", mais les machines pour un euro symbolique, et participe au financement de la création d'une SCOP (Société coopérative ouvrière et participative), la Scop-Ti, à hauteur de 2,85 millions d'euros.

"Toujours là" 10 ans après

Gérard Cazorla est l'une des figures emblématiques de cette lutte. Dix ans plus tard, il est "toujours là", et "plus que jamais" à la CGT. "Je sais ce que je dois à la CGT, donc on se doit de perdurer cette activité, notamment avec tous les gens qui nous ont soutenus, on a cette responsabilité-là de continuer à perdurer."

Dans cette Scop, tous les employés participent aux décisions et touchent le même salaire par catégories professionnelles. "On arrive à prendre les décisions ensemble. Il y a un consensus toujours qui se met en place."

Les problèmes qu’il y a, on essaie de les régler ensemble, collectivement.

Gérard Cazorla, président de la Scop-Ti

à France 3 Provence-Alpes

"J’étais syndicaliste, je prenais mes responsabilités en tant que syndicaliste et je les ai prises en tant que président de la Scop-Ti ça n’a rien changé."

Olivier Leberquier est lui président du conseil d'administration de la Scop-Ti. Mais ne l'appelez pas "patron". "Les copains me taquinent toujours, moi, je n’emploie pas ce terme-là, parce qu’un patron exploite le travail de ces ouvriers. (….) Je suis le président du conseil d’administration et je représente les 58 coopérateurs de Scop-Ti". Toujours à la CGT, lui aussi.

"Tout de suite, l'esprit combatif était là"

S'il n'y avait une image à garder de cette lutte, les ex-Fralib ont bien du mal à ne garder qu'un exemple. "Quand on a mis la banderole à Notre-Dame-de-la-Garde, pour Gérard Cazorla. L’immense banderole qu’on voyait du Vieux-Port, le 3 octobre 2011, c'était une journée fantastique".

Pour Laurence Nicolas, au contrôle qualité Scop-Ti, c'est l'arrêt de l'usine : "Quand cela a été vraiment prononcé, on l’a pris en pleine poire. On s'est dit dans la foulée : de toute façon, on ne va pas se laisser faire. On va faire tout pour garder l’usine. Tout de suite, l’esprit combatif était là".

"Ensuite, c’est toute la solidarité qui s’est mise autour. (…) On fait des plans de bataille, de survie. Tous les échanges qu’on avait. À vivre, ça a été pour moi quelque chose de formidable et d’unique".

Olivier Leberquier, lui, se souvient de l'occupation illégale de l'usine. "On a décidé de relancer les machines. Je peux vous garantir que quand ce jour-là, on redémarre les machines et que d’un seul coup, il y a le bruit – l’usine, cela faisait deux ans et demi qu’elle ne tournait plus et que c’était le silence complet – je n’aurais jamais imaginé qu’un jour, je sois content d’entendre autant de bruit."

Vers un chiffre d'affaires record en 2024

Aujourd'hui à la Scop-Ti, 34 personnes sont salariées en CDI, 58 coopérateurs en plus de l'association Fraliberthé. Une "fierté", pour Olivier Leberquier. Quant au chiffre d'affaires, l'année 2024 marque un tournant. "On avait atteint notre meilleur chiffre d’affaires en 2020 avec 4,2 millions d'euros. Malheureusement, on sait ce qui s’est passé en 2020. Entre la crise sanitaire, les guerres, l'inflation… On était en recul en 2021, 2022, 2023… Et là, 2024 va être l’année de la reprise pour nous puisqu’on va faire notre meilleur chiffre d'affaires. C’est une certitude depuis le début. On devrait être entre 4,5 et 4,6 millions d'euros."

A la Scop-Ti, la forte progression du chiffre d'affaires est surtout portée par les marques blanches (procédé qui permet à une entreprise de proposer un service à des clients sans qu'apparaisse son nom). "Le travail pour les autres", nous explique le président du conseil d'administration de la Scop-Ti. Le chiffre d'affaires, en proportion, c'est 58% pour les marques blanches, et 42% sur la propre marque 1336. "Mais en activité, c'est 85% pour les contrats et 15% sur notre marque. C’est dire la disproportion des marges entre les contrats et notre marque à nous."

Il faut être présent dans les magasins.

Olivier Leberquier, Président conseil administration Scop-Ti

à France 3 Provence-Alpes

L'objectif de la Scop-Ti à présent, développer la marque 1336. "On a besoin de se développer, de se retrouver dans tous les magasins si possible, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui, et surtout d'être distribué dans toute la France."

"Une des armes qu’on a aujourd’hui qu’on a mis en place depuis 2018, détaille Olivier Leberquier, notre site de vente en ligne qui nous permet de toucher les consommateurs qui ont envie d’avoir nos produits qui malheureusement n’ont pas la possibilité de nous acheter dans les points de vente autour de chez eux".

"Dire que c’était possible"

"On est sur un potentiel de progression énorme et il ne manque pas grand-chose, assure-t-il. Surtout de la communication. On n’a pas les moyens de communiquer comme d’autres le font et que les gens puissent nous trouver. Parce que partout où les gens arrivent à nous trouver, il y a une reconnaissance de qualité des produits qu’on fait. Des produits naturels, souvent sans aromatisation, ou arômes naturels, avec des plantes origine France sur la gamme bio". 

Deux symboles pour la Scop-Ti : le tilleul des Baronnies, cultivé dans la Drôme provençale, créé pendant la lutte, et le thym bio, cultivé à Trets. "En termes de bilan carbone, on n’a pas de leçon à recevoir de qui que ce soit."

Et pour ceux qui n’y croyaient pas, les ex-Fralib ont un message : "Simplement leur dire que c’était possible, que des travailleurs peuvent créer une entreprise avec un modèle social différent du capitalisme, déclare Gérard Cazorla. On a fait un pied de nez au capitalisme."

"Dix ans qu’on est là malgré ce que certains pensaient, glisse Jean-Luc Gros, opérateur conditionnement à la Scop-Ti . On travaille dans la bonne humeur, ça se passe bien. On avance, essaie de faire notre bout de chemin et que ça dure encore longtemps".

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