Comme Lilie, petite fille transgenre de 8 ans, certains enfants ne se sentent pas en accord avec leur sexe de naissance. Cette prise de conscience s'accompagne souvent de discriminations et d'idées reçues, suscitant d'autant plus de réticences lorsqu'elle intervient au cours de l'enfance.
En septembre 2020, Lilie et sa famille ont déposé une demande auprès de l'Education nationale pour que la petite fille puisse être appelée par ce prénom dans son école d'Aubignan, dans le Vaucluse. Depuis, elle est devenue l'un des principaux visages de la transidentité, qui se définit par une identité de genre qui ne correspond pas au sexe de naissance.
Après avoir essuyé un premier refus de la part du rectorat d'Aix-Marseille, le directeur académique du Vaucluse a finalement accepté la demande de la famille de Lilie, estimant qu'il s'agissait de la "meilleure solution pour le bien-être" de cette élève.
Mardi 9 mars, cependant, l'état civil lui a refusé son changement de prénom : le procureur de Carpentras a réclamé des preuves montrant que la petite fille avait entamé "une modification irréversible de son corps". Cette procédure de changement d'état civil, qui n'est pas celle du changement de sexe, ne requiert pourtant pas d'opération ou de traitement médical pour être acceptée.
Il y a un an #Lilie explique à ses parents « qu'elle se sent fille dans un corps de garçon ». Depuis, elle est épanouie. Sa famille, ses amis, sa maitresse : tout le monde l'appelle Lilie. Mais, l'Etat civil refuse le changement de prénom
— STOP HOMOPHOBIE (@stop_homophobie) March 10, 2021
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"C'est une décision parfaitement illégale, qui montre qu'il y a énormément de transphobie de la part des institutions", dénonce Lee Ferrero, qui combat ces discriminations au sein de l'association de personnes trans "Transat" à Marseille.
Plus encore que pour les adultes, le parcours des enfants trans est semé de nombreux obstacles. Le rejet et les réactions violentes, qui peuvent survenir au sein de la famille ou plus largement dans la société, ont de lourdes conséquences sur le bien-être social et psychologique de ces mineurs.
Discriminations et incompréhensions
Depuis quelques mois, les histoires de Lilie et Sasha, petite fille trans apparue dans le documentaire "Petite fille" de Sébastien Lifshitz, ont permis de donner de la visibilité à la transidentité chez les enfants.
Comme l'explique Arnaud Alessandrin, sociologue et cofondateur de l'observatoire des transidentités, "l’expérience transidentitaire peut apparaître à tous les âges" de la vie, même si on l'associe plus spontanément à l'adolescence ou l'âge adulte.
« Maman, quand je serai grand, je serai une fille » ⤵ https://t.co/rZ9qARBDFg pic.twitter.com/B7dTXYI4T6
— ARTE (@ARTEfr) December 2, 2020
A Marseille, l'association Transat accueille régulièrement des familles soutenantes, qui viennent à leur rencontre pour accompagner leurs enfants et se renseigner. Pour d'autres, la prise de conscience peut-être violente : "sans soutien familial, de nombreux enfants développent des pensées suicidaires", déplore Lee Ferrero. Il regrette aussi que de nombreux mineurs soient infantilisés quand ils s'expriment à propos de leur identité.
A l'école, les discriminations vécues par les jeunes trans aggravent aussi leur état psychologique. Le suicide de Fouad, lycéenne transgenre de 17 ans, a suscité une vive émotion au sein du lycée Fénelon de Lille au mois de décembre dernier. Quelques jours plus tôt, une violente altercation avait eu lieu entre la jeune fille et la direction de l'établissement, qui l'avait convoquée parce qu'elle s'était présentée en jupe à l'école.
Au lendemain du drame, le manque de formation des équipes éducatives autour de la question trans avait été pointé du doigt, et la rectrice de l’académie de Lille avait reconnu le besoin de "mieux former les personnels" à propos de l'homophobie et de la transphobie en milieu scolaire.
Hors de l'école, les tabous persistent et la société reste difficile à convaincre. Quel que soit leur âge, les personnes trans font l'objet de nombreuses attaques et remises en question. Mercredi, l'historienne et psychanalyste Elisabeth Roudinesco a ainsi soutenu sur le plateau de Quotidien qu'il y avait une "épidémie de transgenres", suscitant la colère de nombreuses associations et internautes.
[TW transphobie]
— #NousToutes (@NousToutesOrg) March 11, 2021
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Aidez @lecoindeslgbt à signaler en masse au CSA cette séquence honteuse de @Qofficiel qui banalise et donne tribune à la parole haineuse et transphobe. https://t.co/DHVsKIpmR5
Une prise en charge médicale controversée
En France, les premières équipes médicales dédiées à la prise en charge des enfants transgenres sont nées dans les années 2010, près de vingt ans après le Canada, les Etats-Unis ou les Pays-Bas. Aujourd'hui, seuls les hôpitaux parisiens de la Pitié-Salpêtrière et Robert-Debré proposent un suivi spécialisé.
Au sein de ces services, les jeunes trans sont suivis pendant plusieurs mois par des pédopsychiatres, qui peuvent éventuellement décider de leur prescrire des traitements médicamenteux afin de bloquer l'arrivée de la puberté.
« Nous avons observé une augmentation notable du nombre de consultations trans pour les enfants et adolescents depuis l'ouverture des consultations dédiées aux mineurs en France en 2013 », explique à l'AFP la pédopsychiatre Anne Bargiacchi, qui travaille à l'hôpital Robert-Debré à Paris.
Cela peut signifier que pour des jeunes qui ressentaient un mal-être non étiqueté, les ressources que l'on trouve dans les médias et sur internet sur les transidentités les aident à mettre des mots sur ce qu'ils et elles ressentent.
Cette prise en charge médicale, toutefois, ne fait pas l'unanimité. L'usage des traitements hormonaux reste un sujet sensible, et une décision de justice récente de la Haute Cour de Londres est venue questionner le consentement éclairé des jeunes trans.
Désormais, les mineurs de moins de 16 ans devront bénéficier d'une décision de justice pour suivre un traitement bloquant la puberté au Royaume-Uni, la Cour ayant estimé qu'un enfant ne pouvait pas décider de changer de sexe en toute connaissance de cause, ni appréhender certaines conséquences médicales irréversibles.
Plusieurs associations de personnes trans comme Transat, de leur côté, remettent en cause la création de services spécialisés pour prendre en charge les enfants trans. "Tous les médecins devraient être formés et pouvoir prescrire des traitements hormonaux, avec le simple consentement des enfants et de leurs responsables légaux", défend Lee Ferrero, qui estime qu'il s'agit d'une discrimination supplémentaire envers les personnes trans.