Lille : le suicide de Fouad, lycéenne transgenre, va-t-il faire bouger les lignes au sein de l’Éducation nationale ?

Mercredi 16 décembre, Fouad, adolescente transgenre de 17 ans scolarisée au lycée Fénelon, s’est donnée la mort. Deux semaines plus tôt, une altercation avec la direction du lycée avait eu lieu. Députés et associations se mobilisent pour faire respecter l’identité de genre des élèves.

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"Pour nos personnels, on a vraiment besoin d’une formation." Les mots de la rectrice de l’académie de Lille sont clairs, et traduisent la détresse des personnels enseignants. Quelques jours après le suicide de Fouad, une adolescente transgenre de 17 ans scolarisée en terminale au lycée Fénelon de Lille, l’Éducation nationale est pointée du doigt.

Deux semaines avant le drame, la jeune fille était venue en jupe au lycée, sans générer la moindre hostilité de la part de ses camarades. Convoquée par la conseillère principale d’éducation (CPE) du lycée, Fouad avait filmé discrètement l’échange violent. Une vidéo postée depuis sur les réseaux sociaux au coeur de toutes les questions : le lycée a-t-il accompagné Fouad dans sa transition ou l’adolescente, vivant dans un foyer, n’a-t-elle pas reçu le soutien nécessaire de la part de l’Education nationale ?

Une enquête a été ouverte. D’après les premiers éléments recueillis, la direction du lycée avait, quelques heures après l’altercation avec la CPE, engagé une discussion avec Fouad lui autorisant de revenir au lycée avec sa jupe. Vendredi 18 décembre, le ministre de l’Education Jean-Michel Blanquer a concédé qu’il fallait que l’Education nationale "(réussisse) beaucoup mieux à lutter contre cela."

Aucune consigne claire pour les établissements

Comment la transidentité est appréhendée dans les lycées ? Les enseignants et le corps pédagogique suivent-ils des règles précises ? "Non", répond Raphaël Gérard, député LREM de Charente et membre de la commission Éducation à l’Assemblée Nationale, en pointe sur les questions LGBT. "Aucune circulaire n’a été donnée avec des consignes claires pour les établissements." Chaque équipe pédagogique se retrouve donc à gérer au cas par cas les demandes des élèves trans ou de leurs familles, conduisant de fait à des inégalités.

L’exemple de l’altercation entre la CPE et Fouad le démontre, selon le député. "J’ai vu cette vidéo qui m’a beaucoup choquée d’une CPE qui ne comprenait et n’identifiait pas la détresse de Fouad, raconte-t-il. Je pense qu’il n’y avait pas l’intention de nuire, mais l’accumulation de maladresse démontre son ignorance face à une situation qu’elle n’avait jamais envisagé. C’est un signal terrible envoyé par l’institution."

Un autre exemple étaie son propos. Il évoque Petite Fille, le documentaire de Sébastien Lifshitz sorti sur Arte début décembre, racontant les difficultés de Sasha, 8 ans, née dans un corps de garçon se sentant fille, et de ses parents face à l’équipe pédagogique de l’école. "Dans ce cas, on a des parents qui accompagnent leur fille, des médecins qui accompagnent l’enfant et c’est le système scolaire qui bloque et qui fait que des choses qui pourraient être simple deviennent très compliquées" dénonce Raphaël Gérard.

Une absence de cadre dénoncée par le député, qui a déposé de nombreux amendements depuis 2017 pour faire entrer dans la loi l’obligation pour la communauté éducative de "respecter et faciliter l’usage du prénom et du pronom choisis par les élèves au regard de leur identité de genre." L’élu constate qu’ils sont pourtant "systématiquement rejetés", alors que le soutien de la communauté éducative aux élèves pour vivre en accord avec leur identité de genre fait partie des recommandations du Conseil de l’Europe depuis… 2010.

Un manque criant de formation

Au-delà du cadre législatif inexistant dans le système français, l’autre problème pointé du doigt est le manque criant de formation des équipes éducatives autour de la question trans, de l’aveu même de la rectrice de l’académie de Lille au lendemain du suicide de Fouad. "On a besoin de mieux former nos personnels", explique Valérie Cabuil. Elle distingue deux choses : "la lutte contre l’homophobie et la transphobie, un combat général basé sur la tolérance (…) qui est développé dans l’enseignement vis-à-vis de nos élèves. Mais il y a aussi le fait de former nos communautés éducatives, peut être mieux, à cette évolution de la société qui est là et à laquelle on doit être préparé."

"Un professeur est formé au début de sa carrière mais les professeurs formés il y a 20 ans ne sont pas particulièrement bien préparés à aborder tout cela. On a certainement besoin d’un programme de formation continue encore plus construit."

Valérie Cabuil, rectrice de l’académie de Lille, le vendredi 18 décembre 2020

Des demandes de formation continue souhaitées par les syndicats enseignants depuis plusieurs années, en témoigne l’exemple d’un document datant de 2018, rédigé par Annabelle Motta, professeure d’EPS à Paris et responsable LGBT au SNEP-FSU. Elle pointait alors du doigt la non-prise en cause de la transidentité dans le milieu scolaire "faute de formations sur le sujet." Ce que confirme Raphaël Gérard, qui a "demandé à ce qu’on inscrive cette thématique dans les formations du personnel éducatif, au sens large."

Mi-octobre, Elisabeth Moreno, ministre déléguée en charge de l’Égalité entre les femmes et de la diversité, a présenté le plan national d’actions pour l’égalité des droits, contre la haine et les discriminations anti-LGBT. Il prévoit la poursuite de la formation et la sensibilisation à la haine et aux discriminations anti-LGBT des personnels de l’Education nationale. Un premier pas pour le député Raphaël Gérard. "La transidentité est enfin prise en compte comme une éventualité qu’il faut accompagner et non pas contre laquelle on devrait lutter dans l’Éducation nationale."

Les associations trans demandent à entrer dans les établissements

Des formations, certes, mais dispensées par des associations spécialisées. À Lille, Capucine Hasbroucq est présidente de l’association En Trans. "On fait tout pour informer les gens, on est là pour aider les directeurs d’école, les CPE, les parents", raconte la présidente de l’association. Elle est déjà intervenue dans des facultés, mais jamais dans des établissements de l’enseignement secondaire. "Ce qu’on veut, c’est rencontrer les directeurs pour pouvoir entrer dans les lycées et les collèges et échanger, expliquer. Mais il y a un blocage au niveau du rectorat."

Au lendemain du suicide de Fouad, la mairie de Lille a contacté plusieurs associations lilloises - dont En Trans - qui seront reçues la semaine prochaine afin d’évoquer le drame et les solutions concrètes pour faire évoluer les consciences dans le monde de l’Éducation nationale. Capucine Hasbroucq nous assure que le sujet des formations par les associations spécialisées sera au coeur des échanges.

Raphaël Gérard devrait quant à lui rencontrer le cabinet du ministre de l’Éducation dans les jours qui viennent. "Il est malheureux de devoir utiliser une mort tragique pour remettre le sujet sur le devant de la scène, déplore le député, mais ce sont des sujets que je vais évidemment remettre sur la table avec Jean-Michel Blanquer et Elisabeth Moreno" assure-t-il. Son objectif ? "Avoir un débat en profondeur sur les questions de reconnaissance d’identité de genre (afin que) l’Éducation nationale s’interroge sur ses propres pratiques. Sinon on s’expose à revivre ça." Avant de conclure, non sans émotion. "Chaque mort est une mort de trop."

Deux députés écrivent à Jean-Michel Blanquer et demandent "une réaction forte" de l'État au lendemain du suicide de Fouad

Adrien Quatennens, député du Nord et Bastien Lachaud, député de la Seine-Saint-Denis et président du groupe d’études sur les discriminations et LGBTQIphobies dans le monde à l’Assemblée Nationale, ont adressé un courrier à Jean-Michel Blanquer au lendemain du suicide de Fouad.

Les deux députés de la France Insoumise veulent alerter le ministre de l’Education sur la place des élèves transgenres dans l’Education nationale et demandent une réaction forte. "Il faut faire des établissements scolaires un refuge et un lieu où l’identité de genre des élèves est respectée, et où ils peuvent s’épanouir, apprendre, devenir de jeunes citoyens libres et égaux. "

Les élus rappellent que le ministère avait annoncé en 2019 un groupe de travail "pour construire des outils pour aider les établissements à prendre en charge les élèves transgenres." Ils affirment qu’il ne s’est pas réuni depuis cette date.

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