Marseille : l'usurpation d'identité, un mal du siècle...

Près de 300.000 personnes seraient victimes d'usurpation d'identité en France. Les fraudeurs sont isolés ou organisés en filières, et créent la confusion en se glissant dans les papiers des autres. En Provence-Alpes-Côte d'Azur, des victimes témoignent...

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Elle relit inlassablement ses piles de dossiers posés sur la table du salon. Dominique Rioul, employée du Ministère de la Défense à Toulon, se bat depuis 21 ans pour conserver ... son identité.

Une dizaine de plaintes et plusieurs procès n'ont pas suffi à mettre un terme à l'enfer que vit cette Toulonnaise, pour lutter contre une usurpatrice résidant à l'Ile de la Réunion. Et le combat n'est toujours pas terminé...

Le début de l'affaire remonte à 1999 lorsque, au moment des élections Européennes, Dominique Rioul s'entend dire que son vote a déjà été exprimé par procuration.

Son dépôt de plainte, et sa lettre au procureur de la République restent sans suite. Pour la première fois, elle entend parler d'usurpation d'identité, mais ne se méfie pas vraiment.

"En 2005 rebelote. Je ne peux de nouveau pas voter aux Européennes (...)", explique-t-elle.

Un agent administratif me dit qu'une personne a voté à ma place. Elle est de la Réunion. 

Une deuxième plainte restera sans suite.

Un an plus tard, Dominique Rioul se rend à la Sécurité sociale mais son dossier n'est plus là. Il a été transféré... à la Réunion. Un nom en doublon… a crée la confusion.

Et là, j’apprends que l’usurpatrice a déjà eu deux enfants sous mon identité ! 

A la Réunion, l'usurpatrice tente d'obtenir la nationalité française. Pour la Toulonnaise vont s’ensuivre plusieurs années de bataille pour défendre ses simples nom et prénom.
"On m’a fait croire que j’avais perdu mon identité. Honnêtement, les premières années, la personne que je voyais dans mon miroir, je ne savais plus qui c’était. Ca n’avait rien à voir avec moi", raconte la victime. 

L'affaire est si trouble que sur l'extrait d'acte de naissance de Dominique Rioul se rajoute un mariage... Alors qu'elle n'a jamais été mariée.

A ce mari, épousé en fait par l'usurpatrice, s'additionnent quatre enfants censés être issus de la victime. 

L'administration elle-même est dans la confusion. Cette dernière rectifie enfin l'acte de naissance en annulant le "mariage", après une énième plainte de la victime.

Vraie-fausse identité pour les crédits

La recherche de la nationalité française est l'une des motivations premières des usurpateurs. Des filières sont même organisées auprès des réseaux d'immigration. 

Mais les fraudeurs sont aussi intéressés par l'argent. Et ils ouvrent des crédits sous des noms de victimes.

C'est ce qu'il est arrivé à Yannick Prudhomme, un Marseillais d'une quarantaine d'années. 

"En septembre 2013, je reçois un email d'un organisme de crédit m'expliquant que mon dossier de demande de prêt était en cours. Je leur réponds qu'il s'agit d'une erreur ou d'une arnaque", explique Yannick Prudhomme.

Mais l'organisme ne tient pas compte de sa réponse... Un an plus tard, il reçoit une lettre de recouvrement concernant une somme de 20.000 euros. 

A partir de là, c'est le choc. Et ensuite, c'est le parcours du combattant qui commence. C'est prouver qu'on n'est pas l'auteur des faits,

explique la victime. "On appelle, on passe des coups de fil, on va à la police, aux organismes de crédits. On va à la Banque de France...".

Yannick Prudhomme découvre que le fraudeur a aussi contracté un autre prêt de 32000 euros et a un passif de 25000 euros de chèques impayés. 

La victime se souvient avoir perdu sa carte d'identité des années auparavant... Et reconstitue le probable cheminement de son usurpateur. 
Les organismes de crédit ont reconnu assez rapidement le problème de l'usurpation d'identité. Mais pour Yannick Prudhomme, cette histoire lui a laissé un goût amer.

"Je pourrais très bien déposer plainte contre ces organismes de crédit pour avoir laissé quelqu'un faire un prêt en mon nom sans vérifier son identité. Ils annulent très vite les remboursements quand ils voient qu'ils sont fautifs".

Le voleur gagne sur le temps

La plupart des victimes d'usurpation d'identité se sentent seules. Peu de leurs plaintes donnent suite à une procédure de justice.

Il faut dire que les fraudeurs sont rusés. Utiliser une vraie identité plutôt qu'une fausse leur permet de créer la confusion, et donc de gagner du temps.  

"Lors des demandes de prêts, la banque demande des documents, et un minimum de vérifications sont effectuées. Cela donne aux fraudeurs un intérêt à avoir une identité réelle plutôt qu'inventée", explique Robert Gelli, procureur général près de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence.

Les victimes, pour la plupart, apprennent par hasard que des prêts sont effectués sous leurs noms. La raison tient au fait qu'il existe deux fichiers à la banque de France, sans liens entre eux.

"Il y a les crédits d'un côté (FICP), et la gestion du compte courant (FFC) de l'autre. Ce sont deux gestions différentes", raconte Priscilla Bonello, juriste auprès de l'association Que choisir Paca. 

Beaucoup de personnes qui viennent nous voir découvrent qu'elles sont fichées à la banque de France au moment où elles veulent faire un crédit. C'est là qu'elles se rendent compte qu'il y a usurpation de leur identité. 

Interdites de crédit, alors que leur compte courant fonctionne normalement. Il y a comme un vide administratif que les fraudeurs ont bien repéré.

Ils se permettent ainsi de souscrire plusieurs crédits à la fois, en donnant une fausse adresse. Et disparaissent dans la nature. Toutes les lettres de réclamations des créanciers vont s'amonceller à cette fausse "adresse"... en vain.

C'est au détour de sa propre demande de prêt que la victime découvre alors qu'elle est fichée à la banque de France, depuis parfois plusieurs années déjà.

Dans les documents requis pour son prêt apparaît son adresse. Les créanciers se tournent alors vers elle pour réclamer leur dus, souvent par voie d'huissier. 

Commence alors pour l'usurpé(e) un véritable parcours du combattant. 
Le voleur entre temps, est déjà loin. C'est ce qui rend difficile les recherches. 

On est sur un taux de non identification d'auteurs d'usurpation d'identité vraiment important,

précise le procureur général Robert Gelli.

Pendant que la police et la justice traquent les fraudeurs, l'usurpé(e), doit se battre pour se faire reconnaître en tant que victime.

Ce sont les associations qui vont l'aider dans ses démarches. Comme celles impliquées dans la défense des consommateurs, à l'instar de Que choisir, ou France victimes qui met à sa disposition juristes et psychologues. 

Le marché des faux papiers

Combien existe-t-il de victimes d'usurpation d'identité ? Aucun chiffre officiel n'apparaît. Officieusement, celui de 300.000 en France est dit du bout des lèvres.

Mais avec le développement des technologies du numérique, et la dématérialisation progressive des documents administratifs, les fraudeurs ne manquent pas d'imagination. 

Dans les profondeurs du web, les propositions de papiers  à partir de vraies ou de fausses identités représentent un véritable marché. Tout y est... Depuis la carte d'identité, en passant par le passeport, le justificatif de domicile, les fiches de paye... Pour des prix abordables.

Les voleurs sont volatiles dans le web obscur. Ils utilisent des moteurs de recherche illégaux.
L'usurpation d'identité est un mal dont notre société sous-estime sans doute l'ampleur. Il manque de sérieux moyens pour y faire face... Et peu de sites dédiés.

Ainsi beaucoup de victimes taisent leurs mésaventures... 
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