Soixante millions d'euros: c'est la somme totale que devra verser à titre de provisions à 20.000 plaignantes le certificateur allemand TÜV, condamné vendredi à Toulon pour son rôle dans l'affaire des prothèses mammaires PIP, remplies avec un gel frauduleux au mépris des règles sanitaires.
Auteurs : DEUS Patrick et FARRUGIA Franck
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©France 3 Toulon
- Olivier Aumaitre, Avocat de victimes
- Laurent Gaudon, Avocat de victimes
- Cécile Derycke, avocate TÜV Rheinland
Dans cette décision, consultée par l'AFP, le tribunal de commerce de Toulon "condamne solidairement" le géant allemand du contrôle et sa filiale française "à payer à chacune des intervenantes une provision d'un montant de 3.000 euros".
Dans le sens du premier jugement
Cette décision va dans le même sens qu'un premier jugement concernant d'autres plaignantes rendu par cette juridiction en 2013. Ce jugement avait toutefois été retoqué par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, qui avait dédouané la société de contrôle allemande TÜV Rheinland et sa filiale française.
Un gel frauduleux dans les prothèses
La société Poly Implants Prothèses (PIP) -dont le fondateur Jean-Claude Mas a été condamné en appel à 4 ans de prison en mai 2016- avait rempli pendant plusieurs années des prothèses mammaires avec un gel frauduleux, au mépris des règles sanitaires et en trompant les organismes de contrôle et de certifications, dont TÜV. La société, qui était partie civile au procès de M. Mas, s'estime victime de ses agissements.
Dans ses attendus, le tribunal de commerce de Toulon observe toutefois que TÜV Rheinland n'a pas vérifié "l'adéquation entre les achats des divers composants nécessaires et la fabrication des implants mammaires". Cette vérification "se trouve être une base primordiale et incontournable du contrôle qu'imposent les directives européennes aux organismes notifiés".
Pour le tribunal, TÜV Rheinland n'a pas vérifié "l'adéquation entre les achats des divers composants nécessaires et la fabrication des implants mammaires
Le tribunal souligne aussi que "certains membres du personnel de TÜV Allemagne n'étaient pas titulaires de l'agrément ou l'habilitation pour intervenir dans le cadre des visites annuelles obligatoires", et note que "si la moindre inspection inopinée avait été effectuée par TÜV (...) la fraude aurait facilement été décelée".
La plupart des plaignantes concernées par cette procédure sont étrangères, notamment d'origine latino-américaine.
"Une décision qui va de soi"
"Je suis extrêmement satisfait d'une décision attendue, conforme aux éléments objectifs du dossier. C'est un camouflet pour la cour d'appel d'Aix-en-Provence qui avait rendu une décision totalement incompréhensible", a réagi Me Olivier Aumaître, qui défend 13.000 porteuses.
"C'est une décision qui va de soi, tant les faits et les manquements commis par TÜV sont criants", a abondé Me Laurent Gaudon, qui représente 7.000 autres plaignantes.
C'est une décision qui va de soi, tant les faits et les manquements commis par TÜV sont criants", a expliqué Me Laurent Gaudon, qui représente 7.000 autres plaignantes.
Il s'agit d'"une décision avec exécution provisoire de plein droit", a-t-il expliqué: TÜV doit donc payer les provisions, même s'il fait appel. La société TÜV va faire appel, a annoncé son avocate, Me Cécile Derycke. Cette décision est "en totale contradiction avec la longue série de positions prises
par les juridictions et autorités qui ont étudié le fond de l'affaire PIP à ce jour", a réagi Me Derycke, dans un communiqué.
"Le tribunal de commerce de Toulon persiste à ignorer les éléments très clairs du dossier PIP qui établissent que l'organisme notifié TÜV Rheinland (...) a accompli sa mission d'organisme notifié avec diligence et en parfaite conformité avec la règlementation applicable", a-t-elle poursuivi.
TÜV avait obtenu gain de cause en appel
En 2013, le tribunal de commerce de Toulon avait condamné TÜV à verser 3.400 euros à 1.700 autres plaignantes, en attendant les expertises pour déterminer le préjudice subi par chacune d'entre elles. Mais, devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, l'entreprise allemande, qui avait dû verser 5,8 millions d'euros, avait finalement obtenu gain de cause. Un pourvoi en cassation est toujours en cours dans ce premier dossier.
L'affaire avait éclaté il y a sept ans, en mars 2010, lorsque l'Agence des produits de santé avait retiré du marché les implants de la société PIP, invoquant un taux anormal de ruptures et l'utilisation d'un gel "différent de celui déclaré lors de la mise sur le marché".
Au total, des dizaines de milliers de prothèses mammaires frauduleuses ont été écoulées pendant des années par PIP dans le monde entier, notamment en Amérique du Sud.
De nombreuses procédures judiciaires, pénales et civiles sont encore en cours.