C’était le 29 janvier. Olivier Hoffmann, maire depuis 2020 de Sainte-Anastasie-sur-Issole (Var), organisait une consultation citoyenne pour l'aider à choisir son parrainage. L'initiative a été déclarée illégale par la préfecture. Et pourtant les Français aimeraient bien être plus souvent consultés.
"Il faut permettre au peuple de trancher sur quel candidat peut se présenter aux présidentielles ou non, les voix des maires seules ne suffisent pas", écrit Gwenaëlle, 51 ans. "Il faut que le référendum soit un vrai outil politique à utiliser sans modération", exprime Sarah, 32 ans.
Comme Gwenaëlle et Sarah, vous êtes nombreux à exprimer sur la plateforme internet make.org votre envie d'être impliqués dans la vie démocratique de votre ville, de votre région, de notre pays.
Dans le cadre de Ma France 2022, consultation citoyenne en partenariat avec France Bleu, nous avons décidé de revenir à Sainte-Anastasie-sur-Issole, pour comprendre ce qui anime les Français aujourd'hui à vouloir s'investir.
Ce samedi-là - souvenez-vous, nous sommes le 29 janvier - c'est sous un soleil radieux qu'Olivier Hoffmann, maire sans étiquette depuis 2020 de cette petite ville du Var, organise à grand renfort de flyers, sa consultation citoyenne.
Son but que les électeurs l’aident à choisir à qui donner son parrainage. Hélas, trois fois hélas. La préfecture, par un communiqué, annonçait au maire l'illégalité de cette initiative. Vent de panique devant le gymnase ou la consultation devait avoir lieu, des dizaines d’électeurs se pressent pour comprendre. Ils ne seront pas consultés.
Plus d’un mois et demi après, l’incompréhension est toujours là.
Face à la mairie, l’un des seuls commerces du village : le tabac marchand de journaux. Une petite boutique étroite et sombre. Derrière le comptoir, Bruno Trojani est en pleine conversation. Il est Corse et installé ici depuis plus de 30 ans.
"30 ans qu’on le supporte ", clame depuis l’entrée de la pièce une vieille dame, Yvette.
" C’est pas gentil Vévette de dire ça, en plus devant la dame", répond en rigolant Bruno.
Pour ce qui est de la consultation annulée, il n’en revient toujours pas.
"Alors nous, on nous a interdit de participer, mais d’autres villages en France ont pu donner leur avis. Pourquoi nous on n’a pas pu le faire. Il a reçu des ordres le préfet du Var ? Des ordres d’en haut ? Ils ont eu peur à Paris."
Face à lui Alain Diard, retraité "de l’outillage" comme il dit, est également un peu agacé.
Il n’y a pas de démocratie, ça n’existe pas la démocratie.
Alain, retraité
"Je trouvais que c’était une très bonne idée de participer. Moi je pense que cette histoire de parrainage ça doit changer. Vous, quand vous votez c’est anonyme. Eh bien là, ça doit être pareil. On ne doit pas savoir à qui les élus donnent leurs parrainages. Parce que, par exemple si ça ne plait pas à un autre élu, un élu du dessus, peut-être que la ville n’aura plus de subventions et puis à ce qu’il parait ceux qui donnent leurs votes à certains ont des avantages, enfin à ce qu’il parait ".
Bruno reprend la parole : "On aurait dû laisser faire le maire. Et son parrainage aurait été à quelqu’un à qui il manque, car là notre maire n’a pas donné son parrainage. Ce n’est pas normal que des gens qui ne représentent pas grand-chose, ils aient leurs 500 voix."
Tiens, Anne Hidalgo, elle représente quoi ? 2% de la population et elle les a ses parrainages. Elle a plus de 1.000 voix. Je ne trouve pas ça normal.
Bruno, le marchand de journaux
"Il faudrait que plus de gens comme nous puissent se présenter. Des gens qui représentent vraiment la population. Pas Anne Hidalgo".
Moment de flottement dans le bureau de tabac. Alain Diard fait remarquer que sa femme, justement, est parisienne, comme Anne Hidalgo.
"Elle va voter pour Hidalgo, ta femme ?", demande Bruno, un brin inquiet.
"Sûrement pas", répond Alain.
Yvette la vieille dame s’éclipse du lieu : "je paierai un autre jour".
"Vas-y Vévette, vas-y à demain."
La conversation reprend. Les deux hommes sont bien d’accord : on les a empêchés de donner leur avis, mais en avril pour l’élection présidentielle personne ne les fera taire.
"Bien sûr que j'irai voter, oh que oui", s'exclame Alain.
A la dernière présidentielle, aux deux tours, Marine Le Pen était largement en tête parmi les votes des électeurs de Sainte-Anastasie. Pour cette élection, c’est l’ombre d’Éric Zemmour qui plane ici, même si personne n’en parle.
L’heure tourne, nous sommes attendus par Monsieur le maire juste de l’autre côté de la route.
A l’étage, Olivier Hoffmann nous reçoit dans son bureau. Il y a un peu de bazar étalé sur la table, des piles de dossiers et des feuilles éparses.
"Vous voulez que je range ?". Non ça ne sera pas la peine.
L’élu n’en revient toujours pas. Quel monde il a vu depuis cette consultation annulée. Toutes les télés, des journaux, la radio. Et ça continue.
J’ai été un peu en colère de voir que les services de la préfecture m’avait interdit une consultation, alors qu’elle s’est tenue dans d’autres communes.
Olivier Hoffmann, maire de Ste-Anastasie-Sur-Issole
"À Pia, par exemple dans les Pyrénées-Orientales, elle a eu lieu. Et le parrainage du maire a même été accepté par le Conseil constitutionnel."
À Pia les habitants ont voté pour donner le parrainage du maire à Éric Zemmour.
"Je suis frustré et mes administrés aussi. On est arrivé à un point de non-retour avec ce système de parrainage. Il va falloir le réinventer. Par quel moyen ? Je ne sais pas encore", explique Olivier Hoffman.
"Gérard Larcher a fait des propositions. À la prochaine mandature, il faudra s’interroger pour de vrai. On pourrait faire des consultations citoyennes comme ce que j’avais prévu. L’évolution est inévitable."
Pour Olivier Hoffmann, se voir attribuer une couleur politique est inimaginable, il ne pouvait pas choisir seul ce parrainage.
"Ça crée des tensions au niveau relationnel, on est dans un tout petit village. Et ça, je ne veux pas le voir. Je suis un élu sans étiquette, je veux le rester."
Pour les maires des grandes villes c’est simple personne ne va les embêter lorsqu’ils donnent un parrainage. Regardez Bayrou. Mais nous, ce n’est pas pareil.
Olivier Hoffmann, maire de Ste-Anastasie-Sur-Issole
Depuis l’annulation de la consultation, monsieur le Maire a encore été sollicité de nombreuses fois par des équipes de campagne des candidats.
"Tous ceux qui n’avaient pas rapidement les 500 voix nous ont appelés. Marine Le Pen, Eric Zemmour, Jean-Luc Mélenchon." Mais Olivier Hoffmann a tenu bon.
"Une promesse c’est une promesse. Je me suis engagé à ne pas donner de parrainage. Je n’ai parrainé personne. C’est dommage, mais c’est comme ça."
En sortant de la mairie, les ruelles du village habituellement peu fréquentées, sauf l’été, sont devenues désertes.
Garée dans un coin une Dyane, comme hors du temps, nous fait de l’œil. La voiture n’est plus fabriquée depuis 1983.
Dans le parc du village, les violettes commencent à fleurir. L’Issole, la rivière qui traverse le village, prend une teinte grise au fur et à mesure que les nuages obscurcissent le soleil. Pas un bruit à part le chant des oiseaux.
Un chien vient nous renifler. C’est Daisy, un vieux cocker. "Elle n’est pas méchante mais elle est curieuse nous explique sa propriétaire."
La consultation ? Oui, elle y serait allée. Oui, elle est déçue. Non, elle ne veut pas donner son nom. Mais en tout cas il faut bien que je l’écrive dans mon article : elle est très en colère.
Qu’est-ce que ça pouvait faire que les gens de Sainte Anastasie s’expriment, hein ? On a peur de les entendre ? Pourquoi le préfet a-t-il fait interdire cette journée ? Qui c’est ce préfet ? Vous avez vu où on habite, il n’y a rien.
Une dame, qui souhaite rester anonyme
Bien sûr qu’elle ira voter en avril. Son mari, jusque-là en retrait intervient : "tout sauf Macron".
La dame reprend la parole : "nous on en a marre, on ne nous entend pas lorsqu’on habite loin des villes. Et la preuve on ne veut même pas nous écouter."
J’insiste pour avoir une photo. "Ce n’est pas la peine pour la photo, dites juste qu’on est très en colère".
Devant le gymnase, là où aurait dû se tenir la consultation, Aurélien vient de déposer sa petite fille à la danse. Il est installé dans le village depuis cinq ans. Il est fleuriste, il a vendu sa boutique, trop peu rentable, pour se consacrer à l’évènementiel et aux mariages.
"Avec le Covid et maintenant l’Ukraine, les gens n’ont pas la tête à acheter des fleurs. Parfois pas un client ne poussait la porte durant la journée. Ça donne des idées noires vous savez."
La consultation il était pour. "La manière dont elle a été annulée est aberrante, du soir pour le lendemain. Je suis pour la démocratie participative".
Et d'enchaîner : "j’ai toujours voulu que les citoyens soient plus impliqués. Les politiques se plaignent sans cesse du manque d’intérêt pour les choses publiques. Donnez-nous la parole vous verrez. C’est toujours un petit groupe de personnes qui décide pour tous. Certes, on n’a pas tous les mêmes idées, mais essayons."
Pour la prochaine élection présidentielle, il souhaite que le système des parrainages soient supprimés.
En parlant de présidentielle Aurélien a encore un mot à ajouter.
Le vote blanc, c’est important, pourquoi est-ce qu’à partir d’un certain pourcentage de votes blancs on n’annule pas l’élection ?
Aurélien, fleuriste à Sainte-Anasthasie-sur-Issole
En avril, Aurélien se déplacera c’est sûr. Pour le second tour, selon les propositions, il pourrait encore une fois glisser un bulletin blanc dans l’urne.
"Si on vote blanc, c’est bien pour dire que les choix ne nous conviennent pas. Si ces votes étaient comptabilisés, il y aurait moins d’abstention."
Il soupire. Il va falloir qu’il y aille.
Un peu plus loin Élisabeth, ancienne commerçante est en pleine discussion avec une de ses voisines qu’elle n’a pas vu depuis longtemps. Elle habite ici depuis 40 ans.
"Les politiques c’est toujours la même chose. Une fois qu’ils sont en haut, ils nous oublient. Ils ne pensent qu’à eux. Ils ne feront rien pour nous les petits. Et nous on va continuer à payer toute notre vie. Moi je n'y crois plus", nous explique Elizabeth.
"J'irai voter mais je choisirai quelqu’un au dernier moment, je ne sais même pas qui. Je n’ai plus aucune fibre citoyenne. Les petits maires comme le nôtre, je le crois encore. Mais les autres, je m’en fous."
La voisine acquiesce. Elisabeth reprend : "regardez notre village. C’est devenu un dortoir, les gens vont travailler sur Toulon. Plus personne ne se connait. On n’a plus de commerce ou presque. Il n’y a plus d’entrain."
On est tous des étrangers les uns pour les autres.
Elisabeth, retraitée à Sainte-Anasthasie-sur-Issole
"Moi tout ça je m’en fiche maintenant, ça me passe au-dessus de la tête", conclut-elle.
Les deux voisines reprennent leur conversation et continue leur chemin.
Le Bureau de tabac ferme ses volets. Au gymnase, les parents sont venus récupérer les petites filles, le cours de danse est terminé.
Les rues se font à nouveau vides. Même la Dyane a disparu.
L’Issole elle évidement continue de couler.