A Paris, les dispositifs anti-SDF « ne manquent pas de créativité »

Alors que des bancs installés dans la station de métro de Stalingrad provoquent la polémique, le phénomène du mobilier urbain « anti-SDF » n’est pas nouveau dans la capitale. Cactus, son et lumière, courants d'air... Les architectes ne manquent pas d’idées.

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Bancs grillagés, pics sur le sol, plots en béton sur les rebords des vitrines… Difficile de trouver un endroit pour dormir la nuit, lorsqu’on est sans abri à Paris. Dans la capitale, on croise de nombreux lieux hostiles aux SDF.

« Il y en a des centaines, voire des milliers » selon Arnaud Elfort, membre de Survival Group : un collectif d’artistes à l’origine du projet « Anti-sites ». Le projet répertorie les différents types de dispositifs anti-SDF, avec une série de photos débutée en 2005.

Des bancs en forme de blocs à pans inclinés, vissés il y a quelques jours au métro Stalingrad par la RATP, et raillés sur Twitter par l’humoriste Guillaume Meurice, ne surprennent pas Arnaud Elfort : « Ces « pentes », et le mobilier en pans inclinés ou en courbes, empêchent en général de stationner longtemps. On peut s’y adosser, ou s’y assoir, mais impossible de s’y allonger longuement. »

Résumé des stratégies plus ou moins inventives (et plus ou moins éthiques) utilisées pour chasser les SDF, avec le membre de Survival Group :

Règle #1 : jouer la carte de l’esthétique ou le côté pratique, pour camoufler la tactique anti-SDF (essayer, au moins)

Pans inclinés, accoudoirs bien (ou plutôt mal) placés, bancs individuels… Arnaud Elfort dénonce même une « instrumentalisation de l’esthétique pour masquer la véritable fonction de ces installations, violente et un peu abjecte. Le but est d’euphémiser, de minimiser la violence de ces installations, en essayant de rendre invisible les fins politiques : empêcher aux personnes sans abri de se poser. »


Méga-pots de fleurs, végétation étonnamment dense… La combine semble plus ou moins marcher. Surtout lorsque Survival Group repère des plants de cactus, installés pour empêcher aux SDF de s’installer dans certains coins :

Le cactus, ça ne trompe personne parce que c’est symbolique. Mais il y a d’autres techniques : d’autres dispositifs anti-SDF sont notamment utilisés comme lieux d’exposition. Des plaques de verre, à proximité de Belleville par exemple.

Le mobilier anti-sans abri se révèle parfois très inventif...

Règle #2 : son et lumière, courants d’air… Ne surtout pas hésiter à innover

« Les dispositifs ne manquent pas d’inventivité », explique l’artiste.

Exit les entrées de garage, ou les porches… Les projets architecturaux sont parfois pensés en entier pour rendre impossible aux SDF de stationner, avec des structures lisses. « Dans les derniers abribus de JC Decaux, l’installation est réfléchie pour laisser passer des courants d’air, analyse également l’artiste. Difficile d’y rester, surtout quand il pleut ».

Le procédé va parfois encore plus loin, et touche aussi les bouches d’aération au sol : « Parfois il n’y a plus grille horizontale, mais une petite cheminée verticale, et il devient donc impossible de s’y réchauffer. » Le membre de Survival Group évoque par ailleurs l’utilisation du son, et de la lumière, avec par exemple « des énormes néons ».

Règle #3 : Installer les dispositifs anti-sans abri partout, sans concertation

Arnaud Elfort critique la dimension « réactionnaire » des stratégies :

A Paris, on sait que c’est infernal de se loger. Laisser crever les gens dans la rue, ça n’apporte aucune solution contre la misère. L’explosion du nombre de dispositifs anti-sans abri s’explique surtout comme une réaction à l’explosion de la précarité, en France. Ça ne résout rien, c’est ridicule.

Mais pour l’artiste, pas question de complot politique. Au contraire : « Les dispositifs anti-SDF ont proliféré sans concertation, presque de manière virale. Leur développement est anarchique. Il y en a partout, dans des zones publiques comme privées… Les bureaux de poste, les banques, mais aussi les copropriétés. »

Selon Arnaud Elfort, les dispositifs anti-SDF symbolisent aussi une forme de pression sociale, contre la précarité :

On fait d’une pierre, deux coups. D’une part, c’est évidemment une agression pour le SDF. Mais de l’autre, c’est aussi message pour la société. On terrorise le reste de la population.

A Stalingrad, la RATP, interrogée par Libération, nie le caractère anti-SDF des installations : « Ces nouvelles assises offrent une possibilité de s’asseoir à tous les voyageurs et facilitent le nettoyage ». Comme quoi, la règle #1 semble avoir été bien apprise.
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