Vous n'avez jamais croisé Tyler Cross ? Heureusement pour vous. Ce personnage ne joue pas dans la catégorie bisounours. C'est un dur, un vrai, un tueur de sang froid, un gangster sans pitié. Fabien Nury et Brüno viennent de lui offrir une deuxième aventure. Pas sûr qu'il leur dise merci..
Nous n'avons pas eu besoin de le cuisiner longtemps pour qu'il passe à table. Il faut dire que nous étions venus en force ce jour-là, une équipe de la télé, une autre du Web. Une caméra, des micros, des smartphones, trois cerveaux, six yeux... de quoi enregistrer tout ce qui allait se dire dans la cellule du dessinateur Brüno, plantée quelque part dans la ville de Nantes.
Une cellule, oui, l'image est assez juste, une cellule, 10 m2 à tout casser. Il va falloir se relayer. A l'intérieur, un bureau, un ordinateur, un tourne-disque, des vinyles... rien qui ressemble à un univers d'auteur de BD.
Tu n'as pas beaucoup de BD dans ton bureau ?
Brüno. J'ai quelques BD que je regarde de temps en temps pour rechercher des solutions graphiques chez mes glorieux aînés.
Et qui sont ces glorieux aînés ?
Brüno. Ils sont très très nombreux. Ça va de Morris, le dessinateur de Lucky Luke, à Chester Gould, le dessinateur de Dick Tracy, mais aussi Muñoz, Breccia, Pratt...
Peu de BD mais beaucoup de disques ?
Brüno. Oui, l'avantage de mon métier, c'est que je peux écouter de la musique en travaillant. C'est surtout de la musique noire américaine, du jazz, de la soul, du rhythm and blues.. mais j'ai aussi quelques disques d'ambient que j'aime écouter quand j'ai besoin d'un peu plus de concentration, quand je fais du découpage par exemple. Le free jazz serait un peu hard dans ce cas...
Venons en à Tyler Cross. Je suis époustouflé par la beauté des planches en noir et blanc de ce nouvel album. Époustouflé par le noir et blanc et en même temps bea d'admiration devant leur mise en couleurs. Comment travailles-tu avec ta coloriste ?
Brüno. J'envisage la bande dessinée comme un vrai travail d'équipe. Heureusement, personne au sein de notre trio n'a un ego d'artiste mal placé qui pourrait gripper la machine. L'idée est de faire un livre, de le faire le mieux possible d'un point de vue artistique en espérant que ça plaise aux lecteurs. De fait, je travaille avec Laurence Croix comme je travaille avec Fabien Nury (le scénariste, ndlr). C'est un échange de ping-pong. J'envoie les planches à Fabien qui me fait corriger certains points de mise en scène. Ensuite, j'envoie les planches à Laurence qui me fait des propositions jusqu'à ce qu'on trouve les couleurs qui fonctionnent le mieux. Laurence fait mes couleurs depuis le début, depuis mon l'album Nemo en fait.Tu parles d'ego qui pourrait gripper la machine, aurais-tu eu de mauvaises expériences en la matière ?
Brüno. Non, j'ai eu des échos de collaborations qui se sont mal passé. Je ne jette la pierre à personne parce qu'il y a aussi des projets sur lesquels tu travailles de façon plus mercenaire, où tu n'es pas là pour mettre tes tripes sur la table, parce que tu sais que le projet n'en vaut pas la peine. Mais sur des livres comme Tyler Cross, tu t'investis à fond.Des planches époustouflantes et une couverture sobre mais efficace. Est-elle comme la précédente inspirée d'une affiche de cinéma ?
Brüno. Oui, elle est inspirée de l'affiche d'un film qui s'appelle Hud en anglais, Le Plus sauvage d'entre tous en français, un film que je n'ai pas vu personnellement. Mais l'affiche me parlait beaucoup car c'est Paul Newman qui est dessus, Paul qui a joué dans Luke la main froide, un de nos films de chevet pour faire ce Tyler Cross. Par l'intermédiaire de cette affiche on fait donc un clin d'oeil à Luke la main froide même si, finalement, le livre est assez loin du film. Le personnage de Paul Newman est l'exacte contraire de Tyler Cross. Paul Newman est un personnage enjoué, pas Tyler Cross...
Les femmes souffrent-elles encore dans ce deuxième volet ?
Brüno. Disons que les femmes souffrent moins. L'album est pourtant plus sombre. Autant, dans le premier, le personnage principal féminin s'en sortait finalement pas trop mal avec un gros paquet d'argent, ce qui pouvait être une forme de mini happy end, autant cette fois, il arrive le pire qu'il pouvait arriver à tous les protagonistes de l'histoire. C'est vraiment très très sombre. L'univers du bagne participe aussi à cette teinte très noire de l'album. Dans le précédent, on était sur un road movie dans le désert texan avec plus de soleil, plus de mouvement, quelque chose d'un peu plus jouissif quand même...Un récit très sombre et toujours ces petites touches humoristiques dans les dialogues...
Brüno. Oui, il y a toujours cet humour noir qui est disséminé un peu partout dans le bouquin. Il y a des répliques et même des situations qui sont vraiment grotesques au milieu d'un univers horrible. Ce mélange fonctionne bien. La série n'est pas très tendre pour l'espèce humaine dans sa globalité, c'est une galerie de personnages qui sont tous enfermés dans des trips mentaux aliénants.Vous semblez bien vous amuser Fabien Nury et toi.
Brüno. On bosse comme des malades mais c'est au final vraiment jouissif.C'est difficile un deuxième album sur une série comme celle ci ?
Brüno. Clairement oui, il ne faut pas se louper. Comme le premier tome avait bien marché, on avait logiquement plus de pression pour le deuxième. C'est la première fois que je me retrouve dans un cas de figure comme celui-ci. Tu essayes d'en faire abstraction, de bosser au max, de faire un bouquin qui nous plait et normalement, si tout se passe bien, qui plaise aussi aux lecteurs. On a la chance de travailler à deux, ça évite de s'endormir sur nos lauriers. On se sert mutuellement de garde-fou.Tu mets combien de temps pour réaliser une planche ?
Brüno. Ça dépend des planches. Peut être six planches par mois, ce qui n'est pas un rythme très soutenu mais Tyler Cross est une série particulière dans le sens ou il y a une narration propre. Vu qu'on travaille avec une Amérique fantasmée, avec des choses que les gens connaissent, l'important pour nous n'est pas tant ce qu'on va raconter mais comment on va le raconter. On ne peut pas avoir de temps morts ou de coups de mou dans la narration. Elle doit être comme le personnage, efficace, simple acérée, un truc du genre tendu. Tu ne peux pas te permettre d'avoir 2 ou 3 pages mollassones sur les 90 que compte l'album. Tu es donc aux aguets sur tous les axes que tu choisis. Tout doit être au cordeau. On est dans le page-turner, c'est à dire qu'à la fin de la page tu dois donner envie au lecteur de passer à la suivante. Tyler Cross, c'est une façon de raconter plus qu'un sujet. Par exemple sur le bagne, ça va être l'efficacité du personnage à se sortir de là et l'efficacité de la narration à propulser le lecteur dans un truc ultra mordant, ultra acéré. Alors qu'on aurait pu faire un livre sur le bagne, sur le système pénitentiaire américain, et se permettre d'avoir une narration plus molle.Le troisième volet est-il déjà sur la table ?
Brüno. On a pas mal dégrossi le projet. Ça se passera à Miami, en Floride. Après le deuxième volet qui était dans une ambiance sombre, boueuse, pluvieuse, on avait envie de revenir à quelque chose de plus ensoleillé et urbain. On aura des plages de carte postale, des houseboats, des nanas, des bagnoles et on reviendra à un Tyler Cross plus classe et plus cool.Un Tyler Cross plus cool ?
Brüno. oui on veut le retravailler en mode gangster, arrêter de trop le martyriser.Merci Brüno
Retrouvez l'actualité de la BD sur notre site dédié Le Meilleur de la BDLe reportage de Denis Leroy et Frédéric Grunchec