Des roses blanches distribuées en signe de paix et de tolérance en centre-ville à Grenoble, une conférence consacrée au "Vivre Ensemble" à Echirolles, les musulmans de Grenoble se mobilisent et adressent un message "citoyen".
Reportage. Le 7 janvier, c'est sur la place Félix Poulat que des milliers de grenoblois , sous le choc, s'étaient rassemblés spontanément, quelques heures à peine après l'attentat à Charlie Hebdo On y lit encore sur les pavés, écrits à l'encre ou à la craie, les hommages aux dessinateurs assassinés...Ce samedi 31 janvier, c'est cette même place qu'ils ont choisie pour exprimer leur émotion et leur solidarité. Ils sont des dizaines, filles et garçons, étudiants pour la plupart, les bras chargés de roses blanches qu'ils offrent aux passants. Sur chaque fleur est épinglée une inscription, une parole prophétique qui parle d'amour, de paix et de tolérance.
Ces jeunes musulmans ont un peu improvisé cette action symbolique. Ils avaient envie, et besoin, de porter un message de fraternité et surtout de citoyenneté, eux qui n'ont parfois "pas osé le faire avant". Bon nombre d'entre eux, comme Sarah, n'ont pas participé au grand rassemblement du 11 janvier. (110.000 personnes dans la rue, un chiffre historique à Grenoble, depuis la Libération).
Elle le regrette aujourd'hui mais elle l'explique... par la peur: "Je ne sais pas ce qui s'est passé en moi, mais j'ai soudain eu le sentiment que tout le monde allait penser que j'étais comme ces terroristes, parce que je suis musulmane et que je porte un voile, mais je suis citoyenne française et musulmane, je ne suis pas française mais musulmane (...) je me suis enfin décidée à sortir dans la rue, et là, j'ai croisé des regards bienveillants, de respect même..c'est l'amalgame qui nous a fait peur."
C'est vrai que nous avons un peu raté le coche"
Les bras chargés de fleurs, Mohammed Maghlaoua offre lui aussi des roses aux passants et engage le dialogue avec eux. Il est Imam à la mosquée "Masjid El Feth" de la rue Très-Cloîtres. Il confirme ce sentiment d'angoisse qui a saisi la communauté au moment de ces jours dramatiques.
"Beaucoup de gens nous demandaient : si on va au rassemblement et que ça tourne mal, qui va nous protéger? On avait entendu déjà qu'il y avait eu des agressions, à Lyon notamment, on redoutait un regain d'islamaphobie", explique-t-il, mais lui aussi regrette: "on ne pensait pas qu'il y aurait tant de monde, une telle solidarité, une telle manifestation d'union." Et il ajoute: "Des Imams qui n'avaient pas lancé d'appel à se joindre au rassemblement ce 11 janvier ont finalement regretté. C'est vrai que nous avons raté le coche. Ce n'était pas seulement un événement national mais international. La majorité silencieuse habituellement, aurait dû prendre, plus fort, la parole. C'est ce que nous faisons aujourd'hui. Il n'est jamais trop tard."
Reportage Isabelle Guyader, Joelle Ceroni & Laetitia Di Bin
Intervenants : Sarah; Mohammed Maghlaoua, imam de la mosquée "Masjid El Feth"; Cheik Konté, association des Musulmans Unis
Une conférence pour mieux "Vivre Ensemble"
Bien au-delà du seul symbole d'une rose blanche, il s'agissait aussi ce 31 janvier de tenter de jeter de nouvelles bases, celles d'un travail commun et pérenne au sein de la communauté. A la grande mosquée d'Echirolles qui l'accueillait, l'AMU, l'Association des Musulmans Unis avait organisé une conférence consacrée au "Vivre Ensemble". Co-animée par les imams des mosquées de Teisseire, des Balladins, de Village Grenoble, une image rare et plutôt inédite.Certes, les représentants des institutions musulmanes étaient présents dans le cortège le 11 janvier dernier pour condamner les actes terroristes, porter les valeurs de la Citoyenneté, de la République, de la Liberté et de la Fraternité, mais pour Mohammed Maghloua, il s'agit en urgence d'effectuer un travail en profondeur: "Nous avons un chantier énorme à accomplir en matière d'éducation, d'éveil, de savoir, mais aussi à l'échelle comportementale dans la société, en tant que citoyens français. La tâche est d'autant plus compliquée qu'à ma connaissance, les jeunes qui s'embarquent sur le chemin du terrorisme ne fréquentent pas d'emblée des mosquées 'ordinaires', mais surtout internet."
Au coeur des débats, la laïcité, mais aussi et surtout l'éducation: "Pour que cela marche, il faut trois trépieds, la Famille, l'Ecole, l'Etat, ce n'est pas le cas et nous avons tous notre part de responsabilité", se désole Cheik Konte, vice-président de la Mosquée de Teisseire et membre de l'AMU, à l'initiative du débat. Mais Cheik Konte se réjouit d'une chose: "Nous avons toujours eu des difficultés, entre toutes les diverses institutions musulmanes de Grenoble à travailler ensemble, cette fois, on s'est dit qu'il fallait s'y mettre, de concert."
Cette conférence qui était ouverte à tous, de toutes confessions, se veut le point de départ d'une réflexion à long terme. D'autres débats sont d'ores et déjà programmés.