A l’occasion de la représentation de la pièce de Peter Handke, « Par les villages » à la Comédie de Clermont les 23, 24 et 25 janvier 2014, Jérôme Doumeng recevait Stanislas Nordey, metteur en scène et Emmanuelle Béart, actrice. Interview.
A l’occasion de la représentation de la pièce de Peter Handke, « Par les villages » à la Comédie de Clermont les 23, 24 et 25 janvier 2014, Jérôme Doumeng recevait Stanislas Nordey, metteur en scène et Emmanuelle Béart, actrice. Interview.Jérôme Doumeng : Vous venez défendre à Clermont une pièce écrite par Peter Handke, « Par les villages ». Quel est le regard de cet auteur sur ces villages ?
Stanislas Nordey : Peter Handke vient de ces villages entre l’Autriche et la Slovénie. Il raconte leur disparition, les vallées qui sont rectifiées, les ouvriers qui sont à l’œuvre à cet endroit là, et c’est le récit d’un homme qui revient dans son village. Il a quitté son village natal, il est devenu un écrivain célèbre, et il revient dans son village pour une histoire d’héritage. Il va rencontrer son frère et sa sœur que nous jouons, Emmanuelle et moi. Va s’en suivre une espèce de réflexion très forte sur « qu’est ce que la mémoire », « qu’est ce que l’héritage », « qu’est ce que l’opposition entre les villes et les campagnes ». La pièce brasse tout un certain nombre de sujet avec beaucoup de subtilité.
J.D. : J’ai lu qu’il s’agissait d’un manifeste « pour les humiliés, les offensés, les expulsés ». Vous partagez cet avis, Emmanuelle Béart ?
Emmanuelle Béart : Je partage cet avis. J’ai accepté de jouer dans cette pièce parce qu’elle donne la parole de façon très belle à cet intellectuel qui revient vers ses racines et au monde ouvrier, aux ouvriers qui sont là, à cette vendeuse que je joue, avec poésie. C’est un long poème dramatique où tous ont la parole, de façon aussi belle et de façon aussi forte.
J.D. : C’est du théâtre engagé ? Une pièce engagée ?
S.N. : Ce n’est pas une pièce militante, c’est une pièce qui a la particularité de donner la parole à ceux qui ne l’on pas. Très souvent aussi bien au théâtre qu’au cinéma, les classes sociales les plus représentées, ce sont les rois, les princes, l’aristocratie, la grande bourgeoisie. Finalement, il est assez rare que l’on donne une vraie parole aux gens qui ont peu, ceux qu’on ne voit pas, et le projet de Peter Handke c’était celui-ci, donner la parole à tous ceux qui ne l’ont pas ou qui ne l’ont plus, ou qui n’ont pas la possibilité de la prendre par eux-mêmes. Il leur donne la parole, et il leur donne une belle parole, il leur donne une langue puissante, il ne les fait pas parler comme on ferait parler des ouvriers avec une forme de caricature ou de misérabilisme. Il leur donne une vraie dignité de bout en bout.
E.B. : Pour moi, c’est une pièce qui convoque vraiment l’enfance, le passé, les racines, le présent, l’avenir, et l’art comme possibilité face à cette humanité abandonnée et à la solitude de chacun des personnages.
J.D. : Les ouvriers parlent comme des poètes. C’est une façon de les magnifier ?
E.B. : Une façon de rendre une dignité, oui.
S.N. : Et les rendre à ce qu’ils sont. Les rendre à leur imaginaire aussi. Ils parlent parfois même en vers car ils sont comme nous tous, nous sommes tous égaux finalement à la naissance, au moment où nous venons au monde. C’est ce que raconte Handke : que la société après vous emmène dans des ghettos mais que nous portons tous la même humanité au départ …
J.D. : Vous renvoyez cette image à un public « élitiste ». Qui peut aller voir une pièce de 4 heures sur la condition ouvrière si ce n’est pas une petite élite provinciale ou régionale ?
S.N. : Curieusement, le spectacle parle à tous et à toutes – on le vérifie à chaque fois qu’on se déplace – parce qu’avec une écriture très simple, il brasse des sujets qui nous concernent tous. Le propre frère de Peter Handke - qui est charpentier - est venu voir la pièce à la création et a dit « c’est ça, c’est exactement ça ». Je pense que c’est une pièce qui s’adresse vraiment à tous.
E.B. : Je veux ajouter quelque chose, le travail très important qui est fait par tous les directeurs et directrices de théâtre comme lieu de résistance. Et non, vous avez tort de dire que seules les élites viennent, ce n’est pas vrai. Il y a beaucoup de jeunes qui viennent nous voir, beaucoup de gens qui n’ont jamais été au théâtre, et il y a un travail incroyable qui est fait autour de cette pièce.
Interview de Stanislas Nordey et Emmanuel Béart (12/13 Auvergne du 24 janvier 2014)