En 2011, Ivan Macaux, journaliste, sort de sa maison familiale une vieille malle ayant appartenu à son arrière-grand-père dans les années 30. A l'intérieur, des figurines en bois uniques au monde dépeignant la vie quotidienne en Chine. Elles sont exposées à Lyon jusqu'en janvier 2015.
"Cette malle faisait partie de tous les objets qui appartenaient à mon arrière-grand-père Jules Le Bigot, commandant en chef des forces navales d'Extrême-Orient dans les années 30 à Shanghai," raconte Ivan Macaux. "Elle était stockée entre un sabre et un paravent japonais dans une pièce qui servait de débarras."Cent-neuf figurines chinoises en bois de fusain peintes et décorées, mesurant quelques centimètres, y sont disposées sur trois plateaux. Sur la malle est inscrit le nom d'un orphelinat situé dans l'implantation catholique de Xujiahui, au sud de Shanghai, qui se trouvait à la limite de la concession française. "Par curiosité", le journaliste "décide d'enquêter pour connaître l'origine de la collection, prend quelques photos et tape dans Google +historien et Shanghai+".
Un professeur de l'université Lyon II, Christian Henriot se porte volontaire pour effectuer des recherches. "Quand j'ai vu les photos, j'ai été bluffé. Je n'avais jamais vu ce type de sculptures dans aucun ouvrage", en 30 ans de recherches sur Shanghai. "Ce sont des figurines exceptionnelles", souligne M. Henriot. Il consulte les archives jésuites à Vanves, le service historique de la défense et les archives diplomatiques à Nantes.
- Métiers de rue -
Ses recherches l'amènent à conclure que les figurines évoquent la vie quotidienne en Chine entre la fin du XIXe siècle et le début des années 30. Elles représentent principalement les métiers de rue: fendeur de bambou, joueur de flûte ambulant, barbier... mais aussi quelques notables. Elles ont été offertes à l'amiral Le Bigot pour le remercier d'avoir placé, sous protection française, l'implantation catholique au moment du conflit sino-japonais (1937-1945). Cette décision "était hors du commun car c'était un territoire officiellement sous souveraineté chinoise sur lequel les autorités françaises n'avaient aucun pouvoir", souligne M. Henriot.Elle eut pour conséquence de provoquer à Xujiahui un afflux de réfugiés qui fuyaient les troupes japonaises. Les figurines ont été réalisées par les pensionnaires de l'orphelinat de l'implantation, âgés de 13 à 20 ans. Dès la création de l'orphelinat en 1849, les jésuites voulaient que les pensionnaires apprennent un métier. Ils avaient fondé un atelier d'art dont les oeuvres étaient destinées à orner les églises chinoises.
"L'atelier de peinture de l'orphelinat devint le berceau de l'introduction en Chine de la peinture occidentale", explique M. Henriot. L'historien suppose que les figurines ont été de leur côté fabriquées pour être vendues aux touristes occidentaux. "Ces religieux sont des étrangers. C'est une façon de montrer qu'ils s'intègrent et qu'ils ont un intérêt pour la culture chinoise", suppose-t-il. Quelques statuettes évoquent ainsi les supplices chinois, "un fantasme occidental", selon lui. M. Macaux voulait de son côté "faire connaître ces figurines au public car enfant, elles avaient suscité" en lui "l'imagination et le goût du voyage".
reportage de C.Banasik et M.Boudet (montage O.Bodson) - Intervenants : Yvan Macaux (Arrière-petit-fils de l'amiral Jules Le Bigot) / Christian Henriot (Historien spécialiste de la Chine) - 8/12/14
Les figurines exposées au Musée des arts décoratifs de Lyon jusqu'au 12 janvier iront peut-être ensuite à Paris puis à l'orphelinat où elles ont été créées et qui est devenu un musée en 2010.
Un livre, illustré, commenté, en version bilingue chinois-français, est né de la rencontre entre Ivan Macaux et Christian Henriot : "Scènes de la vie en Chine. Les figurines de bois de T’ou Sè Wè" ( par Christian Henriot et Ivan Macaux - Éditions des Équateurs - Paris)