À la foire de Saint Ours, une sculpture "contre les violences" conçue par la seule femme maître sculptrice de la vallée d'Aoste

À l'occasion de l'ouverture, ce mardi 30 janvier, de la 1024e édition de la foire des sculpteurs sur bois de la vallée d'Aoste, la fameuse Saint Ours, découvrez l'œuvre de la seule femme maître artisan de la petite région italienne francophone. Elle y expose une œuvre résiliente dédiée à "toutes celles qui ont subi violences et injustices".

Il était 5 heures du matin lorsque les premiers maîtres sculpteurs, venus de toute la vallée d'Aoste, ont commencé à installer leurs étals. Dans leurs ateliers situés en altitude ou dans les fonds de vallées, c'est la production de toute une année que les 73 professionnels, et les dizaines d'amateurs vont exposer dans les ruelles du centre-ville d'Aoste jusqu'au 31 janvier, à l'occasion de la 1024e Saint Ours.

"Arriver aussi tôt, ça représente un peu de fatigue c'est vrai", explique à nos confrères de la Rai valle d'Aosta, la télévision publique italienne, Vairo, un exposant venu de Pont-Saint-Martin, en basse vallée. "Mais c'est largement compensé par le bonheur que je sens en moi de venir exposer à la Saint Ours. Travailler toute l'année, pour exposer chez toi, dans ton salon, ça ne vaudrait pas la peine. Il vaut mieux venir ici de bonne heure pour mettre ton travail à la lumière du jour."

Près de 200 000 visiteurs en 2023

Et sous les yeux d'un public toujours fidèle. Si, avec plus de 172 000 visiteurs, le record d'affluence n'a pas été battu l'an dernier, (en 2016, la Saint Ours avait accueilli plus de 322 000 visiteurs), le rendez-vous plus que millénaire des artisans du bois italiens demeure une vitrine incomparable pour se faire connaître et vendre ses productions bien au-delà de l’arc alpin.

Au total, professionnels et amateurs sont encore plus d'un millier d'artisans, cette année. Gardiens d'une tradition valdôtaine multiséculaire, ils sont là à battre le pavé de la vieille ville au pied de leurs étals surchargés d'objets de la vie quotidienne : gobelets, ustensiles de cuisine, scènes de la vie animale ou de la vie paysanne entaillées à la main, véritables statues miniatures ou monumentales. Tout un univers de bois.

Parmi eux, une femme. Une seule et unique, à porter le titre de maître artisan de sculpture et d'entaille du bois.

Porte-drapeau de l'artisanat du bois au féminin

Vingt-quatre années qu'Ornella Cretaz est présente à chaque Saint Ours. Lors de l'édition du millénaire en l'an 2000, elle n'était encore que l'élève du maître Giuseppe Binel. Mais un an plus tard, c'est en tant qu'unique femme titulaire d'un atelier-école de sculpture sur bois qu'elle venait présenter ses productions au grand public de la Saint Ours.

"Tout est parti de là", explique Ornella. "Car mon plus grand désir était d'enseigner. Mes enfants étaient devenus grands. Je devais faire quelque chose moi aussi. Avant cette période, ce n'est pas facile de faire un tel choix pour une femme". 

Mais en quelques années seulement, elle réussit à acquérir capacités techniques et sûreté d'exécution. Au point de devenir, en moins de 10 ans, une référence de l'artisanat de l'entaille et de la sculpture sur bois de tradition valdôtaine.

Sa maîtrise technique de l'entaille horizontale, lui permet d'être remarquée et primée à la Saint Ours, pour plusieurs bas reliefs et haut reliefs à la thématique florale, gothique ou même animale : lorsqu'elle s'attaque à des sculptures, parfois, de grandes dimensions comme celle d'oiseaux, par exemple.

Mais sa plus grande reconnaissance, c'est certainement en 2017 qu'elle l'obtient lorsqu'elle ouvre son premier atelier boutique régional dans lequel elle transmet son savoir pour le compte de la région vallée d'Aoste.

"Et maintenant, ça suffit !"

Un parcours professionnel sans faute, qu'Ornella a choisi de couronner d'un engagement plus intime à l'occasion de cette nouvelle foire de la Saint Ours. 

"J'ai intitulé la sculpture que je présente lors de cette édition : "E adesso, basta !" (Et maintenant, ça suffit !)", explique-t-elle. "Elle est dédiée à toutes les femmes qui ont subi des violences, des viols ou des injustices."

Entaillés dans le même bois que celui utilisé pour une œuvre précédente dont elle a légué la vente à une association d'aide aux femmes atteintes de tumeur au sein, sa nouvelle réalisation semble ne représenter que deux innocentes figures animales. Un écureuil souriant, et un papillon blanc...

"Le papillon, c'est la femme, à laquelle, parfois, on arrache les ailes. Quant à l'écureuil, il symbolise la liberté qu'on leur vole... Je le sais d'autant mieux que cela m'est arrivé à moi aussi. C'est grâce à l'enseignement de mon métier que j'ai réussi à sortir de ce long tunnel. Et que j'ai enfin réussi à me dire à nouveau, que je valais quelque chose", raconte Ornella Cretaz.