Il y a un an, les infirmières libérales de Bourg-en-Bresse et des environs lançaient un SOS. En plein confinement, en pleine crise sanitaire, elles manquaient d'équipements de protection et comptaient sur la solidarité pour s'en sortir. Un an après, retour sur cet épisode avec Alexa Mazzelli.
C'est dans une pharmacie, au rayon "masques & gel hydroalcoolique" que nous avons retrouvé l'énergique Alexa Mazzelli. En mars 2020, avec des consoeurs, elle avait été l'une des premières à tirer la sonnette d'alarme dans l'Ain, pour dénoncer une "pénurie de tout". Les libérales manquaient de masques, de blouses, de lunettes, de protections pour les sièges de voiture. En quelques semaines, grâce à un appel aux dons, ces infirmières se sont constitué un "trésor de guerre".
France 3 : Ça doit faire drôle d'avoir autant de masques autour de soi. Il y a un an, ce n'était pas vraiment la même histoire !
Alexa Mazzelli : C'est clair. Après, d'un autre côté c'est réjouissant de savoir qu'aujourd'hui on est protégés et qu'on peut aller au domicile de nos patients sans aucune crainte, autant pour nous que pour eux.
Il y a un an, cette pénurie était stressante. On se disait sans cesse : est-ce qu'on va en avoir assez ? est-ce qu'on va réussir à en trouver ?A côté de ça, on a bénéficié d'un bel élan de générosité après le reportage France 3 et même un peu avant, grâce aux appels individuels à droite à gauche. On a eu des dons de particuliers, d'entreprises, d'associations et ça nous a permis d'avoir ce fameux "trésor de guerre". Ça nous a énormément dépannés au départ, jusqu’à ce qu'on ait enfin des dotations en pharmacie.
F3 : Ce manque d'équipements, c'était inimaginable ?
AM : Je l'avoue, on avait du mal à se dire qu'en France on pouvait avoir une telle pénurie. Il y avait des collègues qui recevaient des blouses qui se déchiraient tout de suite, tellement elles étaient mal faites. Certaines infirmières n'avaient vraiment rien pour se protéger à domicile. C'était très choquant. On a tous vu ces personnes enveloppées dans des sacs poubelle. J'avais des connaissances qui se servaient des draps-housses de leurs enfants pour protéger leur voiture comme on nous disait que nos vêtements étaient contaminés ou qu'ils pouvaient l'être. Système D, quoi !
A l'école, on n'est pas préparés à ça, honnêtement (sourire). Après, je pense que ce qui nous a permis de relativiser c'est qu'on a l'habitude, en tant qu'infirmière libérale ou infirmier, de se retrouver seul face à des situations d'urgence. On a géré, tout simplement. Mais on a surtout créé un beau collectif.
Aujourd'hui, je peux dire qu'avec les collègues infirmières libérales de Bourg-en-Bresse et des alentours, on est solidaires. Dès qu'il y en a une qui a un pépin, on est là. C'est positif.
F3 : Vous en avez voulu au gouvernement ?
AM : C'est vrai qu'on s'est dit : mais qu'est-ce qu'ils ont foutu ? Après, -c'est mon point de vue personnel-, quand je vois la panique dans laquelle on était, j'imagine que celui qui est tout en haut a dû faire pareil. On l'a pas élu en lui disant : tiens, demain tu vas avoir une petite crise sanitaire à gérer, ça va être super sympa ! Je n'aurais pas voulu leur place. Mais c'est vrai que je n'aurais jamais imaginé qu'on puisse souffrir comme ça dans un pays comme le nôtre.
F3 : Est-ce que vous avez eu peur ?
AM : Non, pas franchement. J'étais avec mes collègues. Dans mon cabinet, on a toujours essayé de positiver. On arrivait à faire sauter le bouchon quand il y avait besoin, en craquant un bon coup. Mais non, on n'a jamais eu peur pour nous parce qu'on avait bien mis en place les gestes barrières. Et, dès qu'on avait un minimum de matériel, on l'utilisait à bon escient.
Dans mon cabinet, une de mes collègues a attrapé la Covid. Dans ma patientèle, il y a effectivement eu quelques décès, quelques patients qui l'ont attrapé mais qui s'en sont sortis. Et puis, on a côtoyé des gens qui sortaient d'hospitalisation, des post-covid sous surveillance. Mais on a aussi perdu un patient qui a souffert de l'isolement, il a préféré mettre fin à ses jours parce qu'il était vraiment isolé. On était quasiment les seuls passages avec les auxiliaires de vie. On a même vu des patients qui étaient privés de portages de repas parce que les sociétés avaient peur pour leurs employés. Déjà qu'on est multitâches, là on est devenues super multitâches !
F3 : Il y a un côté boy-scout dans votre profession ?
AM : Oui, on s'adapte en permanence, il ne faut pas s'endormir sur ses acquis. On a beaucoup de choses à apprendre de ce genre de crise. Je suis fière de ma profession et de mes consoeurs.
Je me rappelle d'une collègue qui était positive et qui nous a dit : moi les filles, si vous voulez, j'y vais faire la tournée covid, comme je l'ai déjà... Donc, on a vraiment des supers infirmières sur Bourg-en-Bresse.
F3 : Vous avez donc choisi le bon métier...
AM : Complètement. Je vais toujours au travail avec autant de gaité. En tout cas, ça n'a pas changé mon envie d'aller au travail, ça c'est sûr et certain, bien au contraire.
Un an après... interview réalisée par Franck Grassaud & Maryne Zammit