Dans le département de l'Ain, plusieurs "outils" sont testés pour lutter contre les violences conjugales. Avec la crise sanitaire, le huis clos familial inquiète beaucoup. Une association a décidé de communiquer sur des sacs à pain. Une autre équipe les victimes potentielles de boutons d'alerte.
Ce jour-là, sur le parking d'un cinéma, la distribution bat son plein. "Donc vous, c'est le Val-de-Saône, c'est ça ? On vous a préparé un carton à partager entre plusieurs boulangeries du secteur", détaille une militante de "Nous Toutes 01" en donnant des sacs à pain à Thomas. Dans l'Ain, c'est l'un des rares hommes à participer à l'opération. Il tire un sac et regarde avec attention les numéros d'urgence imprimés. "C'est vraiment intelligent, c'est un bel outil de communication."
Il faut que les mentalités évoluent, que ça change. Ce sont les hommes qui font subir les pires horreurs aux femmes ou ne serait-ce que cette misogynie du quotidien, ce sexisme ordinaire. Il est donc tout à fait normal que des hommes se mobilisent pour faire bouger les lignes.
Majorie Bernigaud, chargée de la distribution, insiste sur l'autre face du sac à pain. "Ce n'est pas qu'une liste de contacts, il y a aussi et surtout le violentomètre. C'est une graduation des violences, pour réveiller les femmes en difficulté, qu'elles se situent. On imagine les violences physiques, mais les attaques verbales, le rabaissement d'une personne font aussi beaucoup de mal."
Dans le groupe des distributrices, Christelle Gay fait figure d'experte. Elle chapeaute l'association "Putain de Guerrières" qui prend en charge des femmes autour de Bourg-en-Bresse. Des appels à l'aide, elle en gère régulièrement, et compte beaucoup sur les conseils inscrits sur les sacs à pain pour que d'autres victimes se déclarent.
Le premier contact est souvent un peu fébrile. Ce n'est pas forcément la victime qui appelle, ça peut être quelqu'un de la famille ou une amie qui voit le danger. On essaie de dépatouiller un petit peu tout ça. Quand on arrive ensuite à avoir la femme en ligne, on se rend compte souvent qu'elle subit depuis des années et des années. C'est rentré dans son quotidien, elle a accepté des choses inacceptables. Au début, c'est des petites choses et puis ça monte, ça monte... C'est pour ça que je crois beaucoup en l'efficacité du violentomètre. C'est un moyen de se dire 'ce que je vis, ce n'est pas normal'.
Le bon moment
Nous suivons Justine Thomas du collectif "Nous Toutes 01". Elle apporte les fameux sacs dans une boulangerie du quartier Croix Blanche, à Bourg-en-Bresse. Un quartier dit prioritaire. En la voyant, la gérante est tout sourire. "Franchement, je vous attendais. On en a besoin."
Laetitia Peuillon explique combien "les gens sont tendus en ce moment", que "la période est délicate". Selon la commerçante, les confinements successifs "échauffent les esprits". Et pour contrer "la colère" intrafamiliale, elle voit le packaging des baguettes comme une solution.
Justine prévient qu'il ne faut pas seulement donner les sacs aux femmes.
Certains hommes pourraient aussi se reconnaître dans certaines situations décrites par le violentomètre et se dire, 'ben mince, je vais trop loin et il faut que je stoppe tout ça'.
Reportage Franck Grassaud et Maryne Zammit
Le bouton "shérif"
Pour passer de la prévention à l'action, un autre objet peut aider. Le bouton "shérif" est distribué par l'AVEMA, une association d'aide aux victimes basée à Bourg-en-Bresse. Grâce à une campagne d'appel aux dons, 250 boutons connectés ont déjà été achetés. Ils sont prêts à être dégainés. "Mon Shérif" est un petit bijou de technologie qui permet, en quelques clics, d'alerter un proche et même de géolocaliser une femme en difficulté.
"C'est une start-up de Montpellier qui est à l'origine de la trouvaille. Il y a un bouton à cacher dans une poche ou à accrocher à un vêtement ou à mettre en bandoulière, et une application à télécharger, explique Jean-Pascal Thomasset, le directeur de l'AVEMA. Vous entrez 3 numéros de portable de proches. En cas de problème, un premier clic va entraîner l'envoi immédiat de 3 SMS aux personnes désignées. Un deuxième clic, et les 3 interlocuteurs perçoivent une sonnerie, au cas où ils n'auraient pas lu le SMS. La géolocalisation est aussi déclenchée. Un double clic rapide permet d'enregistrer la conversation, ça peut servir de preuve dans le cadre d'un dépôt de plainte. Un autre clic, et c'est une alarme qui va sonner, pour faire diversion."
Ce bouton connecté, Jean-Pascal Thomasset dit l'avoir recherché durant des années, en raison "des moyens de protection insuffisants" dont dispose la justice.
"On a seulement le téléphone grave danger (TGD) et le bracelet anti-rapprochement (BAR). Des TGD, nous en avons 17 dans le département de l'Ain, ce sont des téléphones qu'on donne à des femmes victimes, avec l'aval du procureur de la République. Le bracelet est, lui, en train d'arriver, on en aura 3 dans le département. 17 + 3 = 20 dispositifs ! Or, en 2020, nous avons ouvert 850 dossiers de victimes de violences conjugales. Donc ces boutons, généreusement offerts, changent tout."
Jean-Pascal Thomasset insiste d'ailleurs sur la symbolique de ces dons. Chaque bouton coûte 49 euros.
C'est comme si on disait à ces femmes, c'est la société civile qui vient à votre secours. Ce sont des donateurs, des donatrices. C'est le Conseil départemental, la Ville de Bourg-en-Bresse qui ont décidé de vous aider et même des individuels. C'est pour ça qu'on a décidé de donner le prénom du donateur ou de la donatrice à un bouton, et de dire à Sylvie ou à Jacqueline, c'est le bouton de Paul qui va vous accompagner aujourd'hui, il a contribué financièrement à son achat, pour vous dire que vous n'êtes pas seule.
Les violences conjugales, c'est l'affaire de tous, répètent sans cesse ces soutiens aux femmes victimes. Pour l'AVEMA, le succès de la campagne d'achats de boutons connectés, prouve que la cause fait son chemin dans la société.