Dans la 5e circonscription de l'Ain, Damien Abad, ancien député LR et nommé le 20 mai dernier ministre de la Solidarité, de l’autonomie, chargé des handicaps, brigue un troisième mandat. L'élu a été éclaboussé en mai dernier par des accusations de viol qu'il dément. Comment cette affaire va-t-elle peser sur la campagne ? Plus globalement quels sont les enjeux dans ce territoire ?
Dans la 5e circonscription de l'Ain, celle d'Oyonnax et Ambérieu, 10 candidats sont en lice. Parmi eux, le député sortant ex-LR et ministre des Solidarités Damien Abad, éclaboussé par des accusations de viols, qu'il dénonce. Une affaire qui risque de peser sur la campagne. Son entrée au gouvernement Borne le met également dans une position difficile. Les électeurs vont-ils lui renouveler leur confiance ?
Voir ou revoir le débat animé par Paul Satis. A ses côtés, François Le Stir, spécialiste politique du Progrès dans l’Ain apporte son expertise du terrain.
Les invités :
- Damien Abad, sans étiquette (ex-LR)
- Julien Martinez : Les Républicains
- Florence Pisani : LFI / NUPES
- Joëlle Nambotin : RN
Ce que l'on peut retenir du débat
- Le changement de camp de Damien Abad est commenté.
Le député sortant affirme rester "un homme de droite, qui veut dépasser les étiquettes partisanes" mais son changement de camp politique est commenté. Extrait de la bataille de petites phrases : "Je ne comprends pas - et peu de gens comprennent sur le terrain - comment on peut passer de premier opposant à ministre de Macron en 24 heures?" s’interroge Julien Martinez. "Je suis d’une droite indépendante, d’une droite populaire, d’une droite qui s’assume et qui ne trahit pas ses électeurs et ses convictions", ajoute le candidat LR. Pour Florence Pisani, "le passage de M.Abad d’un camp à l’autre n’apparait pas comme incohérent. Appartenir aux Républicains ou aux Macronistes, de mon point de vue, c’est la même chose."
- Age, retraites et problématiques liées au vieillissement de la population
Dans cette circonscription, un quart des habitants a plus de 60 ans. Ces seniors résident essentiellement en zone rurale. Ils sont particulièrement sensibles à la question de la désertification médicale, du manque de personnels dans les structures d’accueil, de la difficulté de l'accès aux soins ou encore du maintien à domicile. Ils sont également sensibles aux questions de baisse du pouvoir d'achat et des retraites qui subissent l'inflation. Quelles sont les propositions des candidats ?
La candidate RN Joëlle Nambotin préconise une baisse de la TVA, sur le carburant et les produits de première nécessité. Damien Abad ne cache pas être "contre la baisse de la TVA sur les produits alimentaires", une proposition de Marine Le Pen.
Mais c'est la question de la défense du pouvoir d'achat qui l'emporte. "Il faut défendre le pouvoir d'achat de ceux qui bossent, ça veut dire le salaire, réduire l'écart entre le brut et le net, permettre la défiscalisation des heures supplémentaires, permettre la conversion des RTT en salaire et ensuite agir sur les dépenses contraintes", explique le député sortant. Freiner les dépenses de carburant devient pour l'élu une priorité : Damien Abad milite pour "des barèmes kilométriques renforcés ou encore des chèques carburant ou des véhicules de service" à destination de ceux qui effectuent des déplacements professionnels. "Je souhaite que l'on puisse remettre un maximum de Français au travail (...) on doit agir sur la réforme du RSA, des dépenses contraintes et la question du salaire". Pour les retraités, le député sortant entend défendre la proposition de l'"indexation des pensions au niveau de l'inflation".
Les candidats étaient également appelés à s’exprimer sur la réforme des retraites qui sera le grand débat du début de quinquennat. Les positions entre les candidats sont irréconciliables... ou presque.
Pour le LR Julien Martinez, "il faut faire la réforme des retraites". A la clef : un départ en retraite à 65 ans. Florence Pisani, candidate NUPES: "la retraite à 60 ans, il faut arrêter de dire qu'elle n'est pas tenable financièrement, c'est entièrement faux. Il s'agit d'un choix purement politique." La candidate de l'union de la gauche défend l'idée d'un départ en retraite fixé à 60 ans avec 40 annuités de cotisation. "Avec une baguette magique !" ironise le candidat LR. "La retraite à 60 ans, c'est un investissement social de premier ordre, c'est la possibilité pour des gens encore en bonne santé de s'occuper de leurs parents, de s'occuper des plus âgés, de faire vivre tout le tissu associatif et caritatif..." martèle Florence Pisani. Le départ en retraite à 60 ans est une position partagée par la candidate du Rassemblement National.
Sur la question de la difficulté à financer la mesure : "deux tiers des personnes qui arrivent à la retraite sont au chômage, que vont-ils devenir ? On les fait basculer au RSA ?" s'emporte Florence Pisani.
Pour le député sortant, la réforme des retraites est capitale. "La réforme des retraites n'est pas faite pour embêter les gens, elle faite pour financer une réforme centrale, celle de la réforme de l'autonomie", explique Damien Abad qui milite pour "remettre de la justice sociale dans le système". Julien Martinez rappelle que Damien Abad avait été opposé à la réforme des retraites portée par Emmanuel Macron. "C'était avant qu'il bascule".
"La réforme des retraites que porte le président de la République c'est exactement la même réforme que nous avons porté au groupe LR à l'Assemblée nationale, c'est cette réforme-là. (...) La réforme paramétrique c'est celle qui est mise sur la table. J'espère que les collègues républicains qui seront à l'Assemblée voteront cette réforme car nous l'avons portée ensemble", conclut Damien Abad. "Ce système (à points) voulu par Emmanuel Macron, auquel tu étais fermement opposé, était extrêmement injuste", ajoute Julien Martinez à l'adresse de l'ancien député LR.
Quid du financement de l'autonomie des aînés ? Pour Florence Pisani, il faut une refonte de la CSG. Elle prône un allègement pour les petites entreprises, les ménages modestes et une plus importante contribution pour les grandes entreprises.
Et la candidate NUPES souligne au passage que le montant de l'Apa (aide personnalisée d'autonomie), "dispositif de base qui permet aux familles le maintien à domicile", est à la traine dans le département de l'Ain : "On est sur un montant d'Apa qui est parmi les plus faibles de France, on est parmi les 4 derniers départements".
- L'industrie aindinoise est-elle en crise ?
Dans ce secteur, où un actif sur trois est un ouvrier, la Plastics Vallée d'Oyonnax compte 600 entreprises. La plasturgie fait travailler 26 000 personnes mais les entreprises peinent à recruter. Dans cette circonscription comment affronte-t-on crise internationale, pénurie de matière première ou de composants, ou encore inflation ?
Pour la candidate RN, la question du recrutement des ouvriers et de la formation est un problème : "je suis d'accord pour aider les entreprises qui veulent changer de secteur. Il y a des solutions pour remplacer le plastique, il y a pleins de solutions".
Levée de bouclier des candidats de droite après ces propos de Joëlle Nambotin. "Vous savez ce que c'est la plastics vallée, ce sont 600 entreprises qui font vivre quasiment la moitié des actifs de notre territoire. Vous ne connaissez pas ce territoire et vous dites des aberrations", s'indigne Julien Martinez à l'adresse de la candidate qui prône la reconversion des entreprises du plastique.
"Je suis fier de la Plastics Vallée. Le plastique qu'on produit à Oyonnax, c'est du plastique intelligent, qui sert à sauver des vies par exemple, qui sert à alléger les avions, qui sert dans le cosmétique, l'aéronautique, l'automobile," réplique à son tour le député sortant. Damien Abad convient cependant qu'il "faut engager le virage du développement durable", en collaboration avec les chefs d'entreprise et les salariés.
Faut-il soutenir les entreprises de la plastics vallée ? Julien Martinez répond par l'affimative, "il faut être totalement dévoué à la cause industrielle, le fleuron de notre circonscription." Le candidat LR propose notamment un grand plan national de ré industrialisation, avec le développement de l’apprentissage. "Et poursuivre la baisse des impôts de production," ajoute Damien Abad dans la foulée.
Pour Florence Pisani, la solution passe par "un blocage des prix du pétrole" et aussi par "la relocalisation de filières stratégiques industrielles". Par quel moyens ? "En relocalisant" mais aussi "en reconstituant les savoir-faire qui ont plus ou moins disparu". La candidate NUPES milite notamment pour une "remise en cause du libre-échange à tout va" et un retour des barrières douanières. "Si vous fermez tout, beaucoup d'entreprises seront impactées," prédit Damien Abad, à l'adresse de Florence Pisani. "Si nous arrivons au pouvoir nous allons pouvoir refonder une filière industrielle pour sortir de cette dépendance de l'étranger," ajoute la candidate NUPES en faisant référence au couloir de la chimie.
L'affaire qui plombe la campagne du député sortant
C’est la première fois depuis la révélation de ses affaires que Damien Abad est présent sur un plateau de télévision.
La 5e circonscription va être marquée par la situation du député sortant Damien Abad. Ce dernier avait été élu en 2012 et paraissait "indéboulonnable" il y a encore quelques semaines. Mais nouvellement promu ministre dans le gouvernement d'Elisabeth Borne, il se retrouve aujourd'hui dans la tourmente. Damien Abad est accusé de viols par deux femmes pour des faits qui remonteraient à 2010 et 2011. L’affaire a été révélée par Médiapart au lendemain de sa nomination au gouvernement. Damien Abad a refusé de démissionner et a clamé son innocence. La justice avait classé une des deux affaires à l’époque. Elle n’a par ailleurs jamais été saisie pour la seconde. A ce jour, le parquet de Paris a décidé de ne pas ouvrir d'enquête préliminaire. Il n’y a donc pour le moment aucune suite judiciaire mais cette affaire a plombé la campagne du candidat.
"Je l'ai dit et je le redis ici, je n'ai jamais violé aucune femme, les choses sont très claires. Je suis ici pour débattre dans la 5e circonscription de l'Ain," a déclaré le député sortant sur le plateau de France 3 Rhône-Alpes. Un candidat qui "croit en la campagne de terrain".
"Et sur le terrain, sa popularité ne semble pas entamée, les gens l'interrogent plutôt sur son changement de cap entre opposant au président Macron et désormais l'un de ses ministres", commente le journaliste François Le Stir.
Quel impact sur la campagne des candidats présents sur le plateau. Ils réagissent à tour de rôle et prennent leurs distances vis à vis de cette affaire.
"Il y a eu beaucoup de dignité dans cette campagne vis à vis de cette affaire. En tous cas, j'ai refusé de la commenter, c'est du ressort de la justice et uniquement du ressort de la justice", a indiqué Julien Martinez. Pour Florence Pisani, "ce type de parole mérite d'être prise en compte. En tant qu'adversaire politique de M.Abad, et même principal adversaire politique, il est très délicat de s'exprimer publiquement sur cette affaire nos propos seraient entachés d'utilitarisme dans la mesure où nous avons un intérêt à la défaite politique de M.Abad".
Quant à la candidate RN, Joëlle Nambotin : "J'ai suffisamment fait de droit pour donner toute importance à la présomption d'innocence. La justice ne s'en est pas saisie. Il y a eu classement sans suite. Je ne suis ni justicier, ni policier".
Les enjeux de la 5e circonscription de l'Ain
Bien que banni de son parti , l'ancien chef de file des Républicains à l'Assemblée nationale, se présente tout de même devant les électeurs. Il brigue aujourd'hui un troisième mandat de député. Mais Damien Abad joue son avenir politique. Seule véritable prise de la macronie, s'il perd dans son fief électoral, il devra démissionner du gouvernement. En revanche, en cas de victoire, il serait confirmé dans des fonctions ministérielles. C’est alors son suppléant, Patrick Liébus, qui siégerait dans l’Hémicycle.
Damien Abad a été, sous le mandat précédent, un des principaux opposants à la majorité En Marche en tant que président du groupe LR à l’Assemblée. Lors de ce scrutin, le député sortant ne trouvera pas sur sa route de candidat de la majorité présidentielle.
En revanche, il devra faire face à Julien Martinez (33 ans), investi par son ancien parti, Les Républicains. Ce proche de Xavier Bertrand est conseiller municipal d'Oyonnax.
Au premier tour des élections législatives, dimanche 12 juin, le score de Damien Abad sera scruté de près.
Dans la 5e circonscription de l'Ain où le Rassemblement National fait aussi de bons scores, il ne faudra pas négliger non plus les candidatures du RN et de Reconquête!. Au premier tour de la Présidentielle, les électeurs de ce territoire ont placé Marine Le Pen en tête avec 27,4% des voix, à près de 5 points devant Emmanuel Macron.
Joëlle Nambotin Gobbi, la représentante RN, militante de la première heure, avait été candidate aux élections départementales de 2021. Philippe Tournier-Billon, candidat de Reconquête est chef d'entreprise et conseiller municipal d'Oyonnax depuis 2008. Il compte sur sa connaissance du terrain.
Retour sur les législatives précédentes
Dans la 5e circonscription de l'Ain, Damien Abad s'était imposé haut la main sous l'étiquette UMP en 2012 face à la socialiste Josiane Exposito, avec plus 56% des voix. Lors de ce scrutin, le Front National représenté par Patrick Sokolowski avait été crédité de 17,99% des voix.
En 2017, la circonscription avait résisté à la vague macroniste. Le député sortant Damien Abad, en ballottage favorable, avait été largement réélu avec 67% des voix devant la candidate LREM Hélène de Meire (32,98%). Entre les deux candidats, l'écart était de près de 10 000 bulletins. Le Front National était arrivé en 3e position avec la candidate Pénélope Chalon, créditée de 15,38% des voix.
La 5e circonscription de l'Ain en quelques chiffres
La 5e circonscription de l'Ain est au centre-est du département. Elle regroupe les cantons d'Oyonnax, de Nantua, une partie des cantons d'Ambérieu-en-Bugey, du plateau de Hauteville, de Lagnieu, de Pont d'Ain et de Belley. Quelque 116 700 personnes vivent sur ce territoire qui s'étend sur 1 400 km². C'est dans ce secteur que sont implantées les entreprises de la plasturgie. On en compte près de 600 qui emploient 26 000 personnes. Dans cette circonscription, les ouvriers représentent d'ailleurs 34% de la population active, contre 20% au niveau national.
En 2022, ce sont 77 144 personnes qui sont inscrites sur les listes électorales de la circonscription. La première élection du député de cette circonscription a eu lieu lors des élections législatives de 2012. Selon l'Insee, en 2019, 15 % de la population de la circonscription a un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté. Cette part s’élève à 14,5 % en France métropolitaine. Pour se rendre à leur travail, 83,0 % des résidents de la circonscription utilisent une voiture. La question du pouvoir d'achat sera au cœur des préoccupations des électeurs.
10 candidats en lice dans la 5e circonscription
- Damien Abad, (divers droite - sans étiquette), 42 ans. Député sortant.
- Philippe Tournier-Billon (Reconquête!), 62 ans.
- Joëlle Nambotin (Rassemblement National), retraitée, ancienne photographe.
- Sylvie Crozet (Lutte Ouvrière), 59 ans, infirmière à l'hôpital Herriot de Lyon. Elle réside hors de sa circonscription (Sainte-Julie). En 2002, elle avait déjà fait campagne dans la 3e circonscription de l'Ain et avait été créditée de 1,45% des voix.
- Stéphane Paris (Le Mouvement de la Ruralité), ex-LR, elle avait fait campagne pour Damien Abad en 2017.
- Celil Yilmaz (divers), 47 ans, élu d'opposition municipale à Nantua en 2014.
- Florence Pisani (LFI / Nupes), 50 ans, habitante de Ceyzérieu et ancienne professeur d'Histoire, tête de liste aux élections régionales.
- Julien Martinez (Les Républicains), 33 ans, conseiller municipal d'Oyonnax.
- Grégory Fabris (Les Patriotes)
- Jean-Michel Boulmé (Divers gauche), 75 ans, candidat pour la 3e fois du Parti Ouvrier indépendant démocratique, également maire de Serrières/Ain depuis 2020.