Le procès des attentats du 13 novembre 2015 va s’ouvrir le mercredi 8 septembre. Originaire de Moulins, Sophie Reungeot, rescapée du Bataclan, s’attend à vivre un marathon. Le procès pourrait durer huit mois.
C'était il y a bientôt six ans : 130 personnes étaient tuées, et des centaines d'autres blessées, dans une séries d'attaques islamistes visant simultanément le Stade de France, des terrasses parisiennes et la salle de concert du Bataclan. Un procès historique doit s’ouvrir mercredi 8 septembre à Paris. Parmi les nombreuses parties civiles, Sophie Reungeot, originaire de Moulins, sera présente. Elle qui a sorti un livre « Le bruit des avions » en 2020, raconte comment elle s’est reconstruite et comment elle envisage ce procès : « Je me sens un peu fébrile face à l’imminence du procès la semaine prochaine. Il y a beaucoup de sentiments mêlés, comme de l’impatience. Il y a une sorte d’appréhension car cela va être un vrai tourbillon médiatique, on va entendre beaucoup de choses. C’est aussi l’inquiétude de voir ressurgir des flashs de toute cette période. C’est encore quelque chose qui va faire remonter beaucoup de sentiments, de peurs, de frayeurs, de moments assez désagréables. A chaque fois que j’ouvre un média et qu’il y a un papier là-dessus, c’est quelque chose de physique et que je peine à expliquer. Littéralement mon cœur bondit. Après, vous passez quelques heures à vous défaire de certaines pensées, de certains flash-backs ».
Une victime profondément traumatisée
La jeune femme est encore profondément marquée : « Je ne sais si un jour on est vraiment guéri. Oui on a des plaies pansées mais ça reste quelque chose avec lequel on vit, on apprend à vivre autrement : c’est une autre vie, autre chose. On dit en psychologie qu’on est consolidé. Je le suis mais les plaies se rouvrent parfois, notamment quand il est question des attentats dans l’actualité. On n’est pas la même personne et on ne le sera plus parce que j’étais quelqu’un d’assez naïf, je n’étais pas totalement dans la réalité avec mon côté artistique. Cela m’a mise devant une réalité terrible. Avec un traumatisme, vous n’êtes plus la même personne. Vous avez une autre histoire, votre histoire personnelle a changé avec tous vos proches. C’est une variation de soi-même ». Avec ces attentats, elle a perdu une part d’elle-même : « C’est une perte d’insouciance, d’innocence. J’étais sensible mais ça m’a encore plus fragilisée pendant quelques années. C’est assez subtil mais ça vous change des attitudes au quotidien. Vous avez de l’hypervigilance, qui diminue avec le temps, vous voyez l’actualité autrement, vous êtes plus sensible à des choses qui se passent dans le monde ».
Un fardeau à porter
Sophie vit cet attentat comme un fardeau à porter au quotidien : « Après, la vie revient quand même, heureusement. Nous sommes six ans après, la vie reprend son cours. Chacun a un chemin personnel. Je ne sais pas ce que signifie être survivant, il n’y a pas de mot parfait pour ça. Survivant, rescapé, victime, je n’ai pas encore trouvé le bon mot. C’est une pierre dans le dos que l’on porte, c’est vivre avec un traumatisme. Tout le monde vit avec des traumatismes, la vie offre malheureusement son lot de traumatismes. C’est quelque chose qui n’est pas prêt de partir car il est inscrit dans mon histoire. Le fardeau est plus ou moins lourd selon les périodes, on n’est pas tous les jours avec. Directement après l’attentat, oui c’est un fardeau. Ca a été très dur pendant trois ans, tous les jours on y pense. Là, on y pense régulièrement. Ce qui est difficile c’est que parfois on y pense et que tous les gens autour n’y pensent pas ».
L'écriture comme salut
L’écriture a été une thérapie pour elle : « En 2018, j’ai commencé l’écriture d’un roman. Je ne voulais pas du tout parler des attentats mais le fardeau s’est imposé et j’ai été obligée de mentionner cette nuit-là dans mon livre. J’ai eu deux ans d’écriture et ensuite la publication du livre. Tout cela a été très douloureux car cela m’a fait revivre les événements de façon très forte. Mais cela m’a fait passer à un autre statut. C’est cliché, mais le fait d’écrire est assez libérateur. J’ai un peu déposé l’histoire. Ecrire c’est parfois plus simple que d’en parler ».
Un procès éprouvant
Mercredi, le procès va démarrer. Une nouvelle épreuve pour la Moulinoise : « Je vais assister au procès. Il est planifié pour huit mois donc je ne vais évidemment pas faire les huit mois. C’est un vrai marathon. Je vais aller à des moments précis qui m’intéressent. J’ai un ami qui viendra témoigner et je vais le soutenir. J’ai vu le planning et je sais à peu près quand je veux m’y rendre. Je vais voir comment je le vis. Je ne veux rien m’imposer si je vois que c’est trop, je vais m’écouter. Cela va se faire naturellement. J’ai la chance de ne pas habiter très loin donc ça peut me venir dans l’après-midi, de vouloir y aller. C’est facile d’y aller et d’en partir. Il y a des gens qui doivent venir de plus loin donc ils doivent plus planifier ».
Des réponses à aller chercher
Elle vient pour chercher des explications : « Ce qui m’intéresse le plus ce sont les témoignages des chefs de la DGSE, de la DGSI, de François Hollande, de Bernard Cazeneuve. Je viens chercher des explications. En tant que partie civile, je ne compte pas y assister sauf pour aider mon ami, car c’est trop éprouvant. Je ne ferai pas toute la partie enquête avec probablement des retranscriptions vidéos et sonores. On peut faire ce qu’on veut mais les avocats et les magistrats nous ont déconseillé de venir. En janvier, il y aura les interrogatoires des accusés : je vais réfléchir mais je viendrai peut-être. On a envie de comprendre les failles. C’est un réseau tentaculaire et on veut comprendre comment cela a pu être possible, comment de tels individus n’ont pas été appréhendés plus tôt, pas surveillés. Avec le procès, on va avoir quelques éléments de réponse. Avant je n’y réfléchissais même pas. Il faut se soigner et on n’est pas là-dedans ».
Marquer un point final ?
Sophie espère refermer cette parenthèse douloureuse : « Je vois cela un peu comme une fin symbolique, ce ne sera jamais vraiment fini. C’est quelque chose d’officiel qui se passe. Les avocats tenaient beaucoup à que ça se passe dans le palais de justice de Paris et pas dans une salle préfabriquée. C’est une salle éphémère dans le palais de justice mais il y a cette idée très symbolique qu’il y a des accusés, des témoignages. Il nous est arrivé un événement et on est presque seuls depuis six ans. Là on va en parler et beaucoup de choses vont être dites ».
Ne pas pouvoir témoigner
Mais le procès s’annonce difficile : « Ces huit mois vont être une épreuve. La durée est un peu effrayante. C’est une course de fond et on va voir jour après jour. La pression médiatique va tomber et à certains moments on n’en parlera pas. Il va falloir se blinder avec ça. Au terme on espère un soulagement ». Elle confie : « Je refuse de témoigner au procès car je ne m’en sens pas du tout la force. Je suis quelqu’un de plutôt réservé donc le fait d’être devant toute cette audience est difficile. J’ai pu voir la salle et c’est très impressionnant. Vous avez les magistrats, les avocats, les vingt accusés dans le box. Je n’ai simplement pas la force. Beaucoup de gens vont témoigner et je trouve qu’ils ont beaucoup de courage. Ils seront nos étendards, nos voix. Etre face aux accusés va être effrayant. C’est nécessaire de voir des visages mais je pense que ça va être très impressionnant. On n’a pas un accusé mais une vingtaine de personnes. En temps normal, une salle d’audience est très intimidante. Là on est dans une machine absolument gigantesque. Je vais probablement être en salle annexe pour voir en direct la retransmission du procès. Nos avocats sont là, il y a aussi des psys à la demande. C’est très encadré ». Sophie Reungeot s’estime très entourée afin d’affronter de procès, notamment par ses avocats. Elle espère enfin trouver des réponses à ses interrogations.