Rencontre avec le "pire club de foot de France" : "C'est dans le pire qu'on est les meilleurs"

À jamais les derniers ! C'est la devise du FC Ebreuil. Le club a été élu, à ses dépens, le pire club de foot de France. Entre autodérision et culte du foot amateur, les joueurs s’amusent, de leur plein gré, à jouer aux antihéros du gazon.

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Ébreuil, c’est un paisible hameau au cœur de l’Allier, mais c’est aussi un champ de bataille qui a connu les plus grandes défaites. Puisque cette commune de 1200 habitants abrite le pire club de foot de France. Les soldats à l’origine de cet exploit sont les joueurs du FC Ebreuil, le club de foot classé au plus bas niveau du classement : la D5. Un rang qui lui a valu, en 2021, le Prix du pire club de foot amateur par la Fédération Française de la Lose.

“C’est dans le pire que nous sommes les meilleurs”, résume avec philosophie, Maxime Gonçalves, vice-président du club, tout en taquinant le ballon à coups de jongle. Ce jour-là, c’est un dimanche décisif pour les deux équipes seniors. Avec deux enjeux différents : l’une est proche d’une ascension en D4 tandis que l’autre joue le maintien du titre de “pire club de foot de France”. L’une enchaîne un sans-faute tandis que l’autre cumule les défaites. 

“Tout est parti d’une buvette”

Avant leur dernier match de la saison, nos joueurs du dimanche doivent reprendre des forces à la buvette du club. Au menu féculents, réhydratation et une bonne bouffée d’oxygène : “Avant chaque match, c'est une bonne barquette de frites, une bonne bière et une petite clope d’avant-match”, lance Jean-Yves, latéral droit de l’équipe. Ou bien défenseur gauche. Ça dépend. Lui-même ne sait pas. “On n’a pas vraiment de poste, ça se fait au feeling”, reconnaît le quadragénaire.

Sac de sport sur le dos, Benoit arrive vers la buvette. Il traîne des pieds. Le jeune homme n’a pas vraiment vaincu la fatigue de la veille. “Qu’est-ce qui t'arrive ?”, lance Ryan à son coéquipier. “Rien, une petite soirée”, chuchote Benoît, penaud. Au premier abord, la buvette a tout du bistrot du village : on se taquine, on rit et on parle football.

La buvette, c’est le point névralgique du club. Il faut dire que sans elle, le FC Ebreuil n’existerait pas. Maxime Goncalves raconte : “La mairie est venue nous voir en nous disant qu’elle avait pour projet de créer une buvette, mais à une seule condition… que le club de foot, qui avait disparu en 2018, reparte. C’était le deal. On a foncé et on a tenu parole. Le club s’est donc créé grâce à une buvette, c’est beau !”. En mars 2021, la mayonnaise prend pour la buvette. En revanche, pour monter le club, il a fallu composer avec les moyens du bord : “On a dû monter une équipe avec des joueurs qui n’ont jamais touché un ballon”, se souvient Serge Pacqueriaud, président du club. 

Le club est donc parti de pas grand-chose, si ce n’est à partir de rien. Alors, pour faire monter la sauce, le FC Ebreuil a pu compter sur des joueurs d'exception. Non pas pour marquer des buts, mais pour aider le FC Ebreuil là où ils sont les meilleurs : faire parler d’eux. Valentin Rongier, Jim Allevinah, Olivier Giroud, Dayot Upamecano, … Ils ont tous envoyé une petite vidéo d’encouragement sur les réseaux sociaux. “Dans la lignée de ce qu'on a créé, c'est toujours sympa”, admet modestement le vice-président du club.

Après quelques bières dans le gosier et une poignée de frites dans l’estomac, le FC Ebreuil s'échauffe. Au programme : atelier de passe et tirs (pas toujours) cadrés. Ils affrontent le FC Arronnes qui talonne le FC Ebreuil au bas du classement. En cas de victoire, l’équipe B pourrait se faire voler le titre de “pire club de foot de France”.

L’autodérision comme petite victoire

Être le pire club de foot de France, ça se mérite. Ce titre, c'est le résultat d'efforts de tant de bénévoles, de joueurs et d'entraîneurs. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : zéro victoire sur une saison, zéro trophée et des résultats de matchs dignes de scores de sets de tennis. Leur pire score : 15-0.  Alors quand le match commence, les pronostics ne sont pas très flatteurs : "Je vois une belle défaite. 5-0 pour Arronnes", prédit un supporter au moment du coup de sifflet. 

Avec ce palmarès, le club s’est vite fait remarquer : Au départ, nos deux équipes séniors étaient dans la pire division possible. On ne pouvait pas faire pire que ça. Il y a donc ce terme de pire club de foot de France qui a émergé parce qu’on ne pouvait vraiment pas faire pire. On aurait pu mettre une troisième équipe senior dans la pire division si on avait pu mais ça n’existe pas. Quand ce terme a émergé, ça a vite été relayé. À partir de là, on a plus maîtrisé grand-chose. Tout le monde a repris ce terme”

La consécration pour le club : “C’est toujours plaisant à partir du moment où on le prend à la rigolade. Il y a 160 personnes dans le club qui le prennent à la rigolade. Donc à partir de là, on a tout gagné !”, estime Maxime Gonçalves. La rigolade, l’humour, l’autodérision, c’est ce que je cherche avant tout le petit club de D5. Les yeux rivés sur le match, le vice-président et coach de l'équipe poursuit : “À partir du moment où on a vu que ça pouvait être une opportunité pour nous pour se démarquer, on en a joué. On s’en est longuement vanté pour mettre en avant le fait qu’on est là avant tout pour s’amuser. On n’est pas très forts au foot. Beaucoup d’équipes de foot amateur ont du mal avec la défaite, alors si on peut montrer l’exemple. Le foot, c’est le plaisir de se retrouver avant tout. On peut prendre plaisir ailleurs que dans la victoire”. Au mot victoire, le ballon touche la barre transversale : "Et c'est le but !", s'égosillent la dizaine de supporters. "Les planètes sont alignées, il faut en profiter", titille Maxime Gonçalves. Peu importent les circonstances, les joueurs aiment rire de leurs situations à coups de publications ironiques à travers leurs réseaux sociaux. Un exercice cathartique pour les joueurs : "Ça nous permet de mieux accepter la défaite parce qu'on sait qu'on en rigolera toujours après", reconnaît Maxime Goncalves. 

Un état d’esprit présent bien avant cette fameuse nomination. Ryan, auteur du deuxième but décisif d’aujourd’hui, raconte : “Quand on annonçait la reprise du club, on voulait être d’emblée différents. Ce qu’on voulait, c’était de l’humour, de l’humour et de l’humour. On a commencé par des publications qui faisaient rire les gens et tout le monde a joué le jeu. Tout le village a joué le jeu. C’est dans le pire qu’on est les meilleurs. On n’a pas de grands budgets, on n’est pas forts au foot mais on sait s’amuser”.

Faire revivre l’esprit du foot amateur 

“Amical", “convivial”, “festif”, les adjectifs fusent pour décrire le club. Pour Maxime, c’est tout cela qui manque au foot amateur actuel : “L’identité de notre club, c’est celle aussi de plein d’autres, explique Maxime Gonçalves. Malheureusement, la plupart privilégient le résultat à l’esprit sportif. Être dans ce genre de club, c’est aussi jouer au foot pour boire un coup après le match, se retrouver et créer du lien social. C'est cet esprit qu'on trouve dans beaucoup d’équipes. Plus qu’on ne le croit”

Un état d'esprit qui a tout de suite plu dans le village : “Toute cette publicité - si je puis dire - a fait qu’on a pu se retrouver avec près de 500 spectateurs. Pour une commune de 1200 habitants, c’est pas mal !”, se satisfait Serge, président du club. Ce petit club a tout des plus grands : un groupe d’ultras, du merchandising et des sponsors. Ryan raconte : “En coupe de France, c’était la folie, il y avait des fumigènes, des banderoles partout. Tout ça pour voir une équipe perdre, c’est fou ! Il y a eu un engouement autour de notre club assez inespéré. On reçoit des dizaines de messages sur les réseaux sociaux, des messages de soutien ou pour venir jouer avec nous. Certains pensent même qu’on est un centre de formation. Les gens nous ont même poussés à vendre des maillots du FC Ebreuil, pour qu’ils aient leurs propres maillots avec le logo du club. Un peu comme des supporters pourraient le faire avec le PSG, quoi !” 

Les déculottées 9-1 et 7-0 lors des matchs amicaux ont au moins permis d’alimenter cette culture de la lose, entretenue au quotidien au sein de l’effectif.

On ne se prend pas la tête. On connaît beaucoup de clubs qui ont perdu beaucoup de fois et qui ont abandonné à cause de ça. Chez nous, on a fait de la défaite une force. Au début, on est certes déçus, mais après une bière on oublie tout et on recommence.

Ryan, joueur amateur

 À défaut de ne pas pouvoir se vanter d'un nombre important de buts inscrits, le FC Ebreuil peut néanmoins se targuer d'un nombre de licenciés toujours plus élevé : “On compte 160 licenciés. Beaucoup viennent de Clermont-Ferrand. Ça veut dire qu'ils font une heure de bagnole juste pour venir s’entraîner. Ça fait plaisir ! On est très contents de procurer autant d’engouement au-delà du village". Ce coup de com' leur a aussi permis de jouer dans de meilleures conditions. Dernière petite victoire pour le club : le stade aux allures de champ de patates va être refait à neuf.

Le match se termine. Exploit pour le FC Ebreuil qui... gagne ce match. Résultat : ils l'emportent 2-1. La malédiction se brise avant la fin de saison du championnat. Cette success story basée sur la défaite pourrait bien prendre fin : “J'ai l'honneur de vous annoncer que notre équipe A est championne de 5e division, s'enorgueillit Maxime Gonçalves. Notre équipe B va peut-être finir avant-dernière de la division grâce à cette victoire. Le pire club de foot, ce ne sera bientôt plus nous”. L’avantage quand on part de tout en bas, c’est qu’on ne peut que monter.

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