VIDEO. Vichy à l’épreuve de son passé : "Cette histoire, c’est celle de la France et pas celle de la ville"

Le maire LR de Vichy, Frédéric Aguilera, ne veut pas résumer les 2000 ans d'histoire de sa ville à la seule période 1949-1944 ©France 3 Auvergne-Rhône-Alpes

1944-2024 : 80 ans se sont écoulés depuis la fin du régime de Vichy, ce système politique autoritaire et collaborationniste instauré en France durant la seconde guerre mondiale. Frédéric Aguilera, le maire LR de l’ancienne capitale de l’Etat français, considère que c’est à la France de porter cette mémoire. Pas à la seule ville de Vichy. Pour l’historienne Audrey Mallet, l’exemple de Nuremberg (Allemagne) et de son grand musée sur le nazisme mérite d’être étudié.

"Cette histoire, c’est celle de la France et pas celle de Vichy ", martèle le maire LR de la sous-préfecture de l'Allier, Frédéric Aguilera. « La France ira mieux quand elle acceptera de porter cette mémoire. Si, seule, Vichy fait le travail, on aura loupé l’objectif et on aura laissé le pays mettre la poussière sous le tapis. Le vrai devoir, c’est de dire aux nouvelles générations que nos institutions sont fragiles : le 10 juillet 1940, en donnant les pleins pouvoirs à Pétain, en un seul vote, on a enterré la République. Il n’y a eu que 80 parlementaires pour s’y opposer. Et, une fois la République enterrée, on peut prendre des lois d’exception, qui stigmatisent une partie de la population, les Juifs, les Tziganes et les homosexuels... Ce n’est donc pas que de l’histoire, c’est de l’actualité, face aux populismes ».

4 années sombres face à 2 000 ans d'histoire

Lorsqu’il prononce ces mots, Frédéric Aguilera se trouve sur le parvis de l’Opéra de Vichy, à l’endroit même où, le 10 juillet 1940, l’Assemblée nationale a voté les pleins pouvoirs constituants à Philippe Pétain, par 569 voix contre 80.

Interrogé par Julien Le Coq pour l’émission Enquêtes de région en Auvergne-Rhône-Alpes, le maire de Vichy n’élude pas ses responsabilités : « Depuis mon élection, en 2017, on assume et on s’approprie cette histoire : on est énormément dans les actions mémorielles : on a fait tout un parcours de visites avec des QR codes, on a baptisé le parvis de l’Opéra du nom de Simone Veil, en présence de son fils, on a signé des conventions avec le Mémorial de la Shoah et la Fondation de la Résistance, on organise des colloques pilotés par Serge Klarsfeld… On n’est pas dans le déni, mais on tient à ne pas être résumés à cette époque-là : on a 2 000 ans d’histoire, pas quatre ans. Et, encore une fois, une partie de la France refuse de porter cette mémoire et demande à notre ville de la porter à sa place  ».

Revisiter son passé

Originaire de Vichy, Audrey Mallet, docteure en histoire contemporaine, n’est pas tout à fait de cet avis. Elle a réalisé sa thèse en 2016 et en a fait un livre, « Vichy contre Vichy, une capitale sans mémoire  », publié chez Belin. « J’ai relevé une spécificité des années 1990-2000, où, après le discours de Jacques Chirac au Vel' d’Hiv', reconnaissant la responsabilité de l’État français dans la déportation pendant l’Occupation, il y a eu une explosion du nombre de livres et expositions consacrés à la Seconde Guerre mondiale... sauf à Vichy. Il y avait un décalage impressionnant ». Et la jeune historienne d’écrire sur la jaquette de son livre : « Vichy est un non-lieu de mémoire et une anomalie dans le paysage mémoriel français ».

Audrey Mallet reconnaît qu’une nouvelle tendance émerge depuis la fin des années 2010 : « Le signe le plus probant, c’est le partenariat que la ville de Vichy a passé avec le Mémorial de la Shoah ». Pour autant, certains exemples méritent d’être médités, selon l’autrice. Il y a Nuremberg, en Allemagne : la ville, où ont été votées en 1935 les lois fondant la politique antisémite du IIIᵉ Reich et l’extermination des Juifs, a su créer un grand musée (et centre de documentation) sur le nazisme et lancer un grand plan de conservation de ses édifices de l'époque. Dans le même ordre d’idée, la ville de Nantes, en France, a réussi à revisiter son passé négrier en créant un mémorial de l’abolition de l’esclavage, inauguré en 2012. « L’entretien d’une mémoire, c’est souvent à l’initiative d’une association ou d’une municipalité, qui lance un projet, repris et financé ensuite par le département, la région ou l’Etat ».

Audrey Mallet a d’ailleurs mis ses idées en pratique. Elle a développé une application et un site internet, baptisés « Vichy 1939-1945  », qui permet aux internautes d’effectuer une visite guidée de tous les lieux clés de l’ancienne capitale de l’Etat français. « L’application a été téléchargée 10.000 fois et le site comptabilise 30.000 consultations. Les pages les plus vues sont celles de l’hôtel du Parc (qui a hébergé le bureau de Pétain, le cabinet du chef de gouvernement Pierre Laval ainsi que le ministère des Affaires étrangères et de l’information), de l’hôtel du Portugal (siège de la Gestapo et de ses salles de torture) et du Pavillon Sévigné (résidence de Pétain) ».

Le travail scientifique

« La mémoire, c’est toujours la mobilisation du passé par un groupe, un parti, une population ou une famille  », conclut Audrey Mallet. « Il y a donc toujours affrontement des mémoires, comme en 2019, lorsqu’Eric Zemmour a prétendu que Pétain avait sauvé des Juifs. Les historiens se sont alors mobilisés pour rappeler les vérités historiques et déconstruire son discours. C’est vers cela qu’il faut tendre, ramener l’histoire et le travail scientifique au cœur des débats ».

Un point de vue largement partagé par Serge Klarsfeld. Le président de l'association "Fils et filles de déportés juifs de France" est lui-même historien et a fait, avec son épouse Béate, un colossal travail de recherches sur la Shoah. Pour Enquêtes de région, il fait part de sa relation particulière à Vichy.

durée de la vidéo : 00h04mn01s
Interviewé par Julien Le Coq dans Enquêtes de région, Serge Klarsfeld évoque Vichy, capitale de l'Etat français de 1940 à 1944 ©France 3 Auvergne-Rhône-Alpes
 

>> Enquêtes de région, "1944-2024 : ne pas perdre la mémoire", une émission des rédactions de France 3 Alpes, France 3 Auvergne et France 3 Rhône-Alpes.
À voir ce mercredi 28 février à 22h55 sur France 3 Auvergne-Rhône-Alpes, et, à tout instant, en REPLAY sur france.tv
Présentation : Julien Le Coq - Rédaction en chef : Laurent Mazurier

L'actualité "Vos rendez-vous" vous intéresse ? Continuez votre exploration et découvrez d'autres thématiques dans notre newsletter quotidienne.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
choisir une région
Auvergne-Rhône-Alpes
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité