Pour Gérard Miller, le déconfinement " est beaucoup plus traumatisant que le confinement lui-même"

Psychanalyste médiatique, habitué des plateaux télé, c'est en Ardèche que Gérard Miller a vécu le confinement. Quelques jours après la fin de cette période particulière vécue par les Français, il estime que le déconfinement sera peut-être plus dur psychologiquement encore à gérer pour certains.

Pour Gérard Miller, le temps du confinement n'a pas été celui du repos. Confiné en Ardèche, territoire dont il s'est épris voilà quelques années, le médiatique psychanalyste a remplacé le divan par le téléphone pour continuer à travailler avec ses patients, tout en entreprenant la réalisation d'un documentaire (qui sera diffusé sur France 3 Auvergne-Rhône-Alpes) sur cette période que les Français ont vécu entre les mois de mars et mai. Si le confinement a révélé des différences à tous points de vue entre les Français, et n'a pas été toujours facile à supporter, le déconfinement est, selon lui une autre épreuve à affronter, beaucoup plus traumatisante. 

Comment avez-vous vécu ce confinement ?
En Ardèche... Il y a pire... Et faisant un film pour France 3, je dois dire que j'ai été assez mobilisé par autre chose que le virus directement.

Comment avez-vous vécu le fait de ne plus être libre de vos mouvements ?
Il n'y a pas de doute que ce confinement a mis en évidence les différences sociales entre les uns et les autres, et mon confinement s'inscrivant dans le cadre de ce qu'on pourrait appeler, avec autant de guillemets que vous voulez, les confinements "dorés", la campagne, la possibilité de sortir dans le jardin, moins de bruits, de pollution, que sais-je... C'est sûr que j'aurais mauvaise grâce à dire que ce confinement a été un enfer pour moi. Il l'a été parce que je pensais à tous les autres qui souffraient plus que moi.

J'ai toujours pensé que le déconfinement, pour beaucoup de gens, serait psychologiquement plus dur que le confinement.

On a tendance à comparer le confinement à une prison, qu'elle soit dorée ou pas, ça reste une prison, c'est-à-dire une privation de liberté. Est-ce que c'est quelque chose qui, a priori, laissera des traces ?
Vous savez, la grande différence qu'il y a entre la prison et le confinement, c'est que, en démocratie du moins, quand vous êtes mis en prison, c'est parce que vous avez fait une faute, une erreur, un délit voire un crime. Or, dans ce cas précis, j'ai eu le sentiment que j'ai été confiné parce que d'autres que moi avaient principalement fait des fautes, des erreurs, sinon des crimes ou des délits. Donc, je ne me suis pas senti prisonnier, je me suis senti, finalement, prisonnier par personnes interposées.

Donc, pas de culpabilité... Néanmoins, un traumatisme ou pas ?
J'ai toujours pensé, pour ma part comme pour mes patients, que le déconfinement, pour beaucoup de gens, serait psychologiquement plus dur que le confinement. C'est ce que je constate pour moi comme pour beaucoup de ceux à qui j'ai affaire. 

Pour quelles raisons ?
Le confinement nous a placés, non pas dans le monde d'après, mais en tout cas dans un autre monde plus tranquille, moins stressant, plus calme, moins pollué, et plus proche de ceux qu'on aime lorsqu'on avait la chance d'être confiné avec une partie de ceux qu'on aime. Le confinement, c'était la possibilité d'arrêter ce monde foldingue. Le déconfinement, c'est retrouver l'extérieur, avec le virus, bien sûr, mais aussi avec tous ceux qui ont envie que le monde continue comme avant. C'est beaucoup plus traumatisant que le confinement lui-même.

Oui au divan, mais faute de mieux, pendant une période courte, le téléphone a montré qu'il était compatible avec la psychanalyse.

J'aimerai qu'on parle de votre façon d'exercer votre métier. Est-ce qu'on peut continuer à être psychanalyste à distance ? Ce métier est un échange de parole mais il y a tout ce qu'on appelle la communication non verbale qui disparait. Est-ce que ça change le rapport ?
Si on m'avait dit que, pendant deux mois, je ferai des psychanalyses par téléphone, avant de savoir que le Covid-19 existe et serait omniprésent, je vous aurais dit "non, c'est absolument hétérodoxe et même trop pour moi". Ce que j'ai découvert, c'est que, en effet, le divan c'est mieux, sans conteste, la présence dans le bureau de l'analyste est préférable mais que faute de grives, on mange des merles. Je ne sais pas si Freud aurait été d'accord avec ça mais, en tout cas, j'ai constaté que pour beaucoup de patients, sinon tous, le fait de maintenir le lien analytique était essentiel. Aucun doute qu'on se prive de beaucoup de chose par le téléphone, surtout que je n'ai pas pris Skype car je pensais que le face-à-face, pour le coup, était quelque chose que je ne souhaitais pas spécialement privilégier. Oui au divan, mais faute de mieux, pendant une période courte, le téléphone a montré qu'il était compatible avec la psychanalyse. 

Vos patients ont-ils partagé votre analyse ?
Très vite, beaucoup d'entre eux m'ont dit que le divan leur manquait. A défaut de voir ma bobine de près, ce qui leur manquait, c'était ce cabinet dans lequel pendant des mois, parfois des années, ils s'étaient confiés. Mais ils ont eu, y-compris les plus perplexes comme je l'étais moi-même, le sentiment que c'est une expérience qui valait le coup.

Un petit mot sur ce projet que vous avez avec France 3, à la fois lié au confinement et à votre métier... Si on devait le résumer en quelques lignes...
La psychanalyse, qui a plus d'un siècle d'existence, grosso-modo disons 120 ans, me semble avoir fait la preuve qu'elle n'était pas dépassée par les événements lorsqu'un drame aussi planétaire se produit. La psychanalyse a fait la preuve qu'elle avait une souplesse, cette vieille dame était capable de s'adapter, d'abord aux réseaux sociaux, car le film est filmé par des caméras de téléphones portables. Tous les patients qui se sont filmés eux-mêmes ou qui ont été filmés par leur conjoint ou leur enfant avec qui ils étaient confinés ont utilisé ce moyen-là. Moi-même dans le film, je me filme avec mon téléphone portable. Donc, la psychanalyse a témoigné du fait qu'elle n'était pas aux antipodes de la modernité. C'est une pratique ancienne qui, devant la nécessité des événements, est capable de s'adapter. C'est ça que ce film va montrer : comment quatre patients différents les uns des autres, l'un est clown, l'autre soignante, le troisième photographe et la quatrième est enseignante en maternelle, quatre patients vont raconter leur confinement mais aussi leur psychanalyse qui continue. Semaine après semaine, nous allons suivre, non pas l'intimité de chacune de ces personnes dans l'analyse mais, en tout cas, ce qui leur a traversé l'esprit, comment ils ont vécu cela. C'est un document absolument inédit dans l'histoire de la télévision, et dans l'histoire de la psychanalyse.

Propos recueillis par Alain Fauritte
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