Coronaviurs. "Nous ne réjouissons pas trop vite" Mathilde Basset réagit aux annonces de Macron pour les soignants

Si elle espère que la crise du Coronavirus permettra de retrouver de la solidarité et du bon sens, l'infirmière ardéchoise, qui avait interpellé Agnès Buzyn en 2017 sur le manque de moyens dans les Ehpad, ne se fait pas beaucoup d'illusion. Elle fustige la gestion du virus par le gouvernement

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En décembre 2017, Mathilde Basset, jeune infirmière en EHPAD, avait fait parler d’elle en lançant un cri de colère sur Facebook. Epuisée, démoralisée, avec le sentiment que ses conditions de travail lui faisaient trahir ses valeurs de soignante, elle interpellait la ministre de la santé de l’époque pour dénoncer le manque de moyens et l’épuisement des soignants en Ehpad. Très vite, son appel fut relayé et un débat national avait débuté. Mathilde avait alors publié un livre « J’ai rendu mon uniforme », où elle détaillait son quotidien, et soulevait, entre autres, le problème du manque de formation d’une profession en sous-effectifs.
 
Aujourd’hui, Mathilde est infirmière en Ardèche. Elle est réquisitionnée pour intervenir en psychiatrie. Au moment d'une pause, elle accepte de livrer ses réactions aux événements et ne ménage pas le gouvernement actuel.

 
Yannick Kusy : Comment réagissez-vous aux déclarations d’Emmanuel Macron qui veut revaloriser le monde hospitalier ?
 
Mathilde Basset : J’ai envie de dire : il était temps! Ca fait dix ans qu’on le réclame. Mais, malheureusement, je crois qu’il ne faut pas crier victoire trop vite. Comme l’a dit le neurologue François Salachas sur France Info ce matin, « le terme de 'plan massif pour l'hôpital' on l'a déjà entendu le 20 novembre quand Edouard Philippe et Agnès Buzyn ont présenté leur plan. Ce plan n'avait rien de massif, on a pu montrer qu'il était bien en dessous des besoins". Moi aussi, j’attends de voir. Mais permettez-moi d’avoir des doutes sur un réel déploiement de moyens et une véritable reconnaissance.
 
YK : Depuis le début, comment jugez-vous la gestion de cette crise par le gouvernement ?

MB : C’est de l’amateurisme. Je ne fais pas de politique, et je ne suis pas membre d’un conseil scientifique ou éthique. Et c’est vrai que nos gouvernants n’ont jamais eu à gérer une telle crise. Mais pourquoi ne pas avoir écouté les signes venus de Chine au début de la crise, et avoir attendu de voir ce qui s’est passé en Italie ? Il y a deux mois encore, sur France Inter, la porte-parole Sibeth Ndiaye expliquait en gros que les français n’avaient pas besoin de masques, ou qu’ils ne sauraient de toute façon pas s’en servir. C’est faux. Je pense que les masques auraient pu permettre d’éviter de nombreux cas. Pourquoi ne disposons-nous pas massivement de tests de dépistage, surtout pour les soignants? La France ne s’en est pas donné les moyens. A titre personnel, j’en ai fait la demande. Cela m’a été refusé. Sur le plan privé, cela a eu pour conséquence que mon compagnon ne voit plus ses enfants pendant trois semaines. La seule réponse proposée, c’est d’attendre deux semaines minimum, pour vérifier si l’on reste sain. Et de n’obtenir de test que si l’on présente des symptômes. Prenez aussi le débat récent sur la chloroquine. On découvre subitement que la ministre Buzyn a classé cette molécule en « substance vénéneuse » au mois de janvier. Pourtant, des scientifiques, dont le professeur Didier Raoult à Marseille disent que ça fonctionne... les Chinois aussi, à condition de respecter les doses non toxiques. Certes, on manque de recul, mais pourquoi écarter cette solution d’office ?
 

YK : A votre avis ?

MB : Je ne pense que le but est de privilégier à tout prix la fabrication d’un vaccin. Selon moi, c’est une histoire de « gros sous ». On va essayer de faire ce vaccin, qui ne sera peut-être déjà plus efficace si le virus évolue. Et donc il faudra en créer un autre, et ainsi de suite. Mais combien de vies humaines va-t-on sacrifier en attendant ? On préfère confiner les gens et les verbaliser lorsqu’ils font une promenade en zone rurale, plutôt que de tenter ce traitement. C’est un non-sens. Faute de mieux, dans l’urgence, je tiens tout de même à encourager chacun à respecter cet impératif de confinement. C’est devenu une question de responsabilité individuelle.
 
YK : En 2017, vous étiez en première ligne pour alerter sur les conditions de vie dans les ehpad. Aujourd’hui, le virus a pris en quelque sorte le relais de votre message

 MB : Oui, vous avez raison. Dans les ehpad, ou dans les prisons, on voit le résultat. Le personnel est dépassé. Imaginez à quel point il est difficile de devoir annoncer à dix familles la mort d’un proche, et même de les interdire de venir voir le corps. C’est une catastrophe. L’âge des résidents n’explique pas tout. Les ehpad manquent toujours de personnel. Impossible de réagir suffisamment rapidement avec la pénurie de médecins traitants. Lorsque les infirmières signalent des hausses de températures, et prescrivent un peu de paracétamol, elles ne peuvent rien faire de plus que d’attendre le passage du médecin traitant, qui est lui-même déjà largement occupé. En deux jours, cette température peut vite s’enflammer et il est alors trop tard. On n'a pas fini de parler des déserts médicaux et de leurs conséquences.
Je suis atterrée par les conséquences morales de cette situation. Ces résidents âgés ont dû être confinés dans leur chambre. Ce qui signifie la suppression des visites, des activités, de la lecture des journaux. Plus de vie sociale. C’est très difficile. J’ai peur que certains ou certaines ne meurent pas du Coronavirus mais tout simplement... de chagrin. Et je n’oublie pas les personnels soignants, dont beaucoup n’ont pas encore obtenu de moyens de protection.
 
YK : Sur le plan personnel, comment vivez-vous ce confinement ?
 
MB : J’ai beaucoup de chance d’être en Ardèche à la campagne. Tout le monde n’a pas cette opportunité. S'il reste un côté positif à déceler dans cette période, c’est le fait de pouvoir prendre du temps. Notamment pour faire des choses que l’on pas l’habitude de faire. Je me suis mise à l’accordéon (...) Plus généralement, j’espère que cette crise va permettre d’enrichir la vie locale, au lieu des multinationales. Je souhaite que l’entraide se recrée. Il faut retrouver le goût de l’essentiel : se poser un peu, penser. Ce virus est une catastrophe, mais essayons de l’utiliser pour retrouver une partie du temps après lequel on court.
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