Brassens : « Chanson pour l’Auvergnat », ce couple qui a inspiré ce chef-d'œuvre

Le 22 octobre 2021 marque le centenaire de la naissance de Georges Brassens. A cette occasion, nous revenons sur l’histoire de la « Chanson pour l’Auvergnat », un de ses titres emblématiques. On vous raconte qui sont ces personnages qui ont inspiré l'artiste.

Cent ans. C’est l’âge qu’aurait eu George Brassens ce 22 octobre 2021. Une pluie d’hommages et de célébrations ont lieu à cette occasion. Ils célèbrent un auteur-compositeur exigeant et perfectionniste. Poète, chanteur, Georges Brassens est l’auteur de nombreux textes qui font la fierté de la chanson française comme « Le Gorille », « Les copains d’abord » ou la « Chanson pour l’Auvergnat ». Mais savez-vous quelle histoire se cache derrière ce monument de la culture française ? Ce morceau figure dans son troisième album « Les Sabots d'Hélène », en 1954. Brassens écrit :
« Elle est à toi, cette chanson,
Toi, l'Auvergnat qui, sans façon,
M'as donné quatre bouts de bois
Quand, dans ma vie, il faisait froid
 ».

Marcel et Jeanne

Bertrand Dicale, journaliste musical sur France Info et auteur du livre « Brassens ? » chez Flammarion, raconte ce que Brassens a voulu dire en écrivant la « Chanson pour l’Auvergnat ». Il commence : « La chanson parle vraiment d’un Auvergnat, Marcel Planche. Il était plus ou moins censé avoir un métier mais il appartenait à ce Paris du tout petit peuple, des ouvriers, des marginaux. Il habitait dans un lieu qui est aujourd’hui finalement assez bobo, à Paris, l’impasse Florimont, dans le sud du 14e arrondissement. Cet endroit n’était pas d’une franche gaieté. C’était une zone assez pauvre. Il y vivait avec sa compagne, Jeanne, qui était bretonne. Elle apparaît dans d’autres chansons de Brassens. Ce couple n’avait pas d’enfants, mais des chats, des chiens, un perroquet, toute sorte d’animaux qui passaient par là ».

Il avait dû certainement taper dans l’œil de Jeanne

Jeanne est aussi dépeinte dans « La cane de Jeanne » et « Chez Jeanne ». Elle tient un rôle central dans la vie de Georges Brassens : « Jeanne avait déjà croisé le jeune Georges Brassens puisqu’elle était couturière et qu’elle était venue un jour porter des travaux chez la tante de Brassens, chez qui il habitait. Elle avait une petite pension de famille. Jeanne a repéré ce gamin qui était là, ils avaient sympathisé. Georges Brassens ne faisait rien : il avait été vaguement ouvrier. L’usine Renault avait été bombardée par les Allemands. Quand il était revenu vivre à Paris, il passait son temps à la bibliothèque du 14e arrondissement, à lire de la poésie. Il avait dû certainement taper dans l’œil de Jeanne, qui avait une grosse vingtaine d’années de plus que lui, sinon plus encore. C’était un beau garçon, un doux rêveur, extrêmement drôle ».
 

L'impasse Florimont

Le chanteur n’a pas choisi l’impasse Florimont au hasard. Bertrand Dicale souligne : « Quand Brassens part au STO (Service du travail obligatoire, NDLR), il part dans une usine en Allemagne à Basdorf, près de Berlin, il a une permission au bout d’un an. Il décide de ne pas rentrer. Il est plus prudent de ne pas aller à une adresse dont dispose la police. Il choisit l’impasse Florimont, car encore aujourd’hui, même si un petit panneau est présent, on peut passer devant et ne pas la voir. La maison de la Jeanne est cachée derrière un mur. Donc se réfugier là n’est pas une mauvaise idée ».
 

Dans cette chanson, il leur dit son éternelle reconnaissance

Si Brassens a composé cette chanson, c’est pour rendre hommage à ceux qui l’ont accueilli. Le journaliste musical explique : « Brassens est recueilli par Jeanne et Marcel. C’est pour eux qu’il va écrire « l’Auvergnat », à celui qui lui a ouvert sa porte et sa table, à l’hôtesse qui l’a accueilli. Dans cette chanson, il leur dit son éternelle reconnaissance. Marcel, qui dans la chanson, est quasiment revêtu de vertus christiques n’est pas un personnage extraordinaire. Un certain nombre de témoins de l’époque ont dit que Jeanne était quelqu’un de spectaculaire mais que Marcel était plutôt un homme effacé. C’était par ailleurs un pochtron, un pilier de bistrot et s’il ne travaillait pas, ce n’était pas uniquement parce qu’il n’avait pas envie, c’est qu’il y a eu un moment où il ne pouvait plus travailler, car trop imbibé, trop désocialisé. C’est peut-être ce qu’il y a de plus émouvant dans cette chanson. Elle donne une noblesse et quasiment une figure de saint à un personnage marginal, que la société n’aime pas beaucoup. Se dire qu’un personnage réel a inspiré une chanson, que tout le monde connaît quand on est de culture française, est d’autant plus émouvant que cet homme a, selon les critères de la bienséance, plutôt raté sa vie ».
 

Un décalage majeur

Mais ce portrait qui est peint détonne avec les Auvergnats de l’époque. Bertrand Dicale précise : « Il ne correspond peut-être pas à une certaine image de l’Auvergnat à Paris. C’était plutôt un peuple très industrieux, avec les livreurs de bois et charbon, les bistrotiers qui se levaient à 5 heures du matin et qui se couchaient à minuit. L’Auvergnat avait une réputation de travail, d’acharnement, de sens de l’économie. Il faisait partie du système économique parisien. Brassens fait cette « Chanson pour l’Auvergnat » mais cela ne correspond finalement pas du tout à la figure de l’Auvergnat telle qu’elle est dans la vie quotidienne des Parisiens ».
 

L'hiver 54

Cette chanson intervient dans un contexte historique très particulier : « On est dans les premières années de la carrière de Georges Brassens. Aujourd’hui c’est un classique mais avant de l’être, c’est un révolutionnaire. C’est une façon de chanter, un dépouillement extraordinaire avec une guitare et une contrebasse, une manière de présenter la chanson au public, qui sont des choses nouvelles pour l’époque. C’est aussi une chanson d’amitié, de générosité. Il ne faut pas oublier qu’on est dans ce milieu des années 50, avec l’hiver 54 de l’Abbé Pierre : c’est le moment où la France arrive globalement à manger tous les jours, à se chauffer, à avoir un toit sur la tête. Soudain, la France se tourne vers ses marginaux. « La chanson pour l’Auvergnat » correspond à ce mouvement de générosité des Français pour les exclus. Même si les gens ne connaissent pas complètement le détail de la chanson, ils comprennent que c’est une chanson sur la solidarité, sur celui qui ouvre sa porte, sur celui qui ouvre sa bourse, sur celui qui donne une place à la table pour le pauvre. C’est une des chansons qui donnent le sentiment aux Français d’être généreux. On aime cette chanson, on a l’impression soi-même d’être l’Auvergnat ».

L'Etranger

Dans ce morceau, Georges Brassens fait aussi référence à
« l’Etranger qui, sans façon,
D'un air malheureux m'as souri
Lorsque les gendarmes m'ont pris
 ».
Le spécialiste de Brassens indique : « L’Etranger peut être un certain nombre de gens. On sait qu’il y a un moment difficile et fondateur dans l’histoire de Georges Brassens. Dans sa jeunesse, à Sète, alors qu’il est en première au lycée, il travaille au recel du produit d’un cambriolage. Les gendarmes sont venus le chercher. Il a vécu ce que vivent un certain nombre de primo-délinquants, de devoir marcher dans la rue, entre deux gendarmes, et de voir le regard des autres. Le regard des autres est celui de ceux qui se retournent offusqués, ceux qui lui jettent un regard de commisération. Cette chanson fait écho à une autre qui s’appelle « Les quatre bacheliers » dans laquelle il évoque ce qui est arrivé ce jour-là, quand les pères de famille sont allés chercher les enfants au commissariat. Son père a été le seul à ne pas l’injurier, à ne pas lui faire de reproche, à ne pas lui mettre une paire de claques. Il lui a simplement dit : « Comment tu vas ? » ».

Elle n’est pas simple du tout à jouer à la guitare

Pour ce morceau, Brassens a choisi des octosyllabes et une mesure à trois temps. Bertrand Dicale remarque :  « Il y a l'intérêt de la forme chez Brassens, avec des mélodies sophistiquées et simples à la fois. Tous les guitaristes vous diront qu’elle fait partie des chansons écrites au piano et non à la guitare. Elle n’est pas simple du tout à jouer à la guitare. Cette mélodie a une apparente simplicité biblique et sur la forme, on note l’extraordinaire poésie de Brassens. Il va puiser à la fois chez les grands classiques de la littérature française et dans cette langue populaire. Il n’y a pas de mot compliqué, pas de figure de style difficile. C’est accessible à tout le monde et en même temps ça a la beauté du vers chez Hugo ».

Un classique de la culture française                     

Selon le journaliste musical, tous les ingrédients étaient réunis pour que la chanson devienne un classique : « Quand vous avez la beauté de la forme, la beauté de la mélodie, la beauté du sentiment, la beauté de l’interprétation et la capacité pour tout le monde de la chanter, vous pouvez rentrer facilement dans la légende. C’est une chanson qui est aussi un certain autoportrait de ce que la France imagine le mieux de ses classes populaires. La France aime s’imaginer, se penser en pays généreux ». À Colin Evans, professeur qui l'invite en 1970 à chanter à l'université de Cardiff, Georges Brassens aurait dit : « Je l'ai écrite en trois heures », alors qu'il avait plutôt coutume de pinailler pour composer ses chansons. Au fil des années, ce morceau est devenu un classique de la chanson française, repris par d’innombrables chanteurs dont Juliette Gréco, Maxime Le Forestier, les Enfoirés ou encore Joan Baez.

Les paroles de la "Chanson pour l'Auvergnat" de Georges Brassens

Elle est à toi cette chanson
Toi l’Auvergnat qui sans façon
M’as donné quatre bouts de bois
Quand dans ma vie il faisait froid
Toi qui m’as donné du feu quand
Les croquantes et les croquants
Tous les gens bien intentionnés
M’avaient fermé la porte au nez
Ce n’était rien qu’un feu de bois
Mais il m’avait chauffé le corps
Et dans mon âme il brûle encore
A la manièr’ d’un feu de joie

Toi l’Auvergnat quand tu mourras
Quand le croqu’mort t’emportera
Qu’il te conduise à travers ciel
Au père éternel

Elle est à toi cette chanson
Toi l’hôtesse qui sans façon
M’as donné quatre bouts de pain
Quand dans ma vie il faisait faim
Toi qui m’ouvris ta huche quand
Les croquantes et les croquants
Tous les gens bien intentionnés
S’amusaient à me voir jeûner
Ce n’était rien qu’un peu de pain
Mais il m’avait chauffé le corps
Et dans mon âme il brûle encore
A la manièr’ d’un grand festin

Toi l’hôtesse quand tu mourras
Quand le croqu’mort t’emportera
Qu’il te conduise à travers ciel
Au père éternel

Elle est à toi cette chanson
Toi l’étranger qui sans façon
D’un air malheureux m’as souri
Lorsque les gendarmes m’ont pris
Toi qui n’as pas applaudi quand
Les croquantes et les croquants
Tous les gens bien intentionnés
Riaient de me voir emmener
Ce n’était rien qu’un peu de miel
Mais il m’avait chauffé le corps
Et dans mon âme il brûle encore
A la manièr’ d’un grand soleil

Toi l’étranger quand tu mourras
Quand le croqu’mort t’emportera
Qu’il te conduise à travers ciel
Au père éternel

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