La Sopa, une société chargée de l’enlèvement des animaux morts est menacée de fermeture dans le Cantal. Une quarantaine d’emplois pourraient être supprimés.
Dans le Cantal, ils remplissent une mission peu agréable et pourtant nécessaire : la Sopa, une société agricole, s’occupe de l’enlèvement des Animaux Trouvés Morts (ATM). Chaque jour, leurs camions sillonnent les routes du Cantal et des départements limitrophes pour remplir leur mission d’équarrissage. Jusqu’à ce mois de mars, la société, basée à Cros-de-Montvert, était engagée par une association : « Il y a une association qui a été constituée dans les années 2010 pour prendre le relai de l’Etat concernant le paiement du nettoyage de la nature par l’enlèvement des cadavres d’animaux, qu’ils soient morts au bord de la route ou dans les élevages. Cette association, tous les ans, revoit ses tarifs » explique Jean-Pierre Chateau, président de la Sopa. Mais cette année, l’appel d’offre ne s’est pas passé comme prévu. En effet, la Sopa a été devancée par l’un de ses actionnaires : « Nous avons répondu mais nous avons été victimes d’une contre-proposition faite par l’un des actionnaires, Saria. C’est un administrateur de Sopa. Ils ont emporté le marché. Aujourd’hui Sopa se retrouve privée du marché ATM qui est sa raison d’exister. Nous perdons notre objet social. Saria veut nous proposer une sous-traitance mais ça n’est pas possible, ça met la Sopa par terre », se désole le président.
L’objectif, c’est de fermer notre usine, ni plus ni moins.
Jean-Pierre Chateau
La Sopa est pour moitié détenue par des capitaux agricoles et pour moitié par Saria. Les agriculteurs sont majoritaires au niveau du nombre de voix en conseil d’administration, ce qui explique la situation selon Jean-Pierre Chateau : « Saria veut récupérer les ATM et nous mettre sous tutelle. Elle souhaite récupérer tous les volumes de cadavres pour les amener dans de grosses usines qui leur appartiennent en Vendée ou dans l’Allier et transporter les cadavres plutôt que les traiter sur place. L’objectif, c’est de fermer notre usine, ni plus ni moins. » La fermeture de l’usine entraînerait la suppression d’une quarantaine d’emplois, mais signerait également la fin de tous les projets de la Sopa : « On avait pour projet de pouvoir adosser à cette usine une unité de valorisation énergétique. La grosse capacité de l’usine fait qu’on aurait pu consommer l’énergie dégagée et rendre la mise en place du traitement des déchets ménagers possible grâce à cette usine qui fonctionne. Les énergies coûtent fort cher aujourd’hui et la création d’énergie par le traitement des déchets peut assurer l’avenir du territoire », déplore Jean-Pierre Chateau.
Un recours judiciaire
Pour lui, retirer ce marché à la Sopa est une aberration : « C’est le transfert d’un pouvoir agricole cantalien, corrézien, aveyronnais au profit d’une entreprise en Allemagne. On nous enlève des emplois, on ferme des outils. Au niveau environnement, c’est complètement absurde. On transporte des cadavres qui sont majoritairement composés d’eau. Nous, on fait de l’évaporation, on porte dix fois moins de poids », affirme Jean-Pierre Chateau, qui ne compte pas en rester là : « On tombe sur un bloc de béton. On va essayer de le perforer, on va se défendre. Des agriculteurs propriétaires de leurs animaux nous ont demandé de continuer à collecter, donc on continue à travailler. Ils (Saria, NDLR) nous trainent au tribunal. On va se défendre. Ils font nommer un administrateur judiciaire pour enlever le pouvoir aux agriculteurs de se défendre. La société n’est pas en faillite, on essaye de se protéger grâce à ça, on a de la résilience. Il y a une bonne gestion. »
"Concurrence déloyale"
Une procédure judiciaire s’est engagée entre la Sopa et Saria. Le président de la Sopa compte sur la justice : « On espère que la justice laissera le pouvoir aux paysans. Nous allons engager la responsabilité des gestionnaires de Saria, qui sont aussi actionnaires de la Sopa, pour concurrence déloyale. On ne peut pas, en tant qu’administrateur d’une société qui fonctionne bien, prendre des décisions qui vont à l’encontre des intérêts de la société parce qu’on n’a pas le pouvoir dedans. » Il pointe l’efficacité du système en place : « On est en plein cœur de la collecte, on arrive à ramasser des cadavres à J+0. Les animaux sont ramassés le jour même pour 40% d’entre eux, et à J+1 pour le reste. Chez les éleveurs, on n’aime pas garder les animaux très longtemps, ça se dégrade très vite. Ce n’est pas le top au niveau sanitaire. Avec les cas de grippe aviaire, on est très sollicités. Notre usine fait tampon. Quand il y a des inondations au niveau des usines d’Agen par exemple, les volumes arrivent chez nous. »
Ca va nécessiter des investissements chez les éleveurs.
Jean-Pierre Chateau
Grâce à un système de tablette connectée, les camions qui circulent reçoivent instantanément les signalements d’animaux morts, ce qui leur permet d’enlever ceux-ci presque immédiatement s’ils se trouvent sur leur trajet. Jean-Pierre Chateau indique également que les agriculteurs risquent de voir les coûts d’équarrissage augmenter : « Ca va nécessiter des investissements chez les éleveurs car la collecte va être plus tardive, pour avoir un minimum de conservation des animaux. Les éleveurs vont payer plus cher. » Une association d’éleveurs a été créée pour défendre la Sopa. Hervé Fumery, porte-parole de la filiale de Saria ayant récupéré le marché, se défend de toute déloyauté : « Nous faisons cette activité depuis 30 ans dans le Cantal, la Corrèze et l’Aveyron. On a montré qu’on savait faire le travail de manière efficace. Depuis le 31 janvier, nous sommes attributaires des ATM. Les éleveurs peuvent faire appel à nous par téléphone et par internet. Nous sommes experts dans la valorisation en biocarburant par exemple, on a un avantage compétitif qui nous permet d’être plus performants économiquement vis-à-vis du client. On est très fiers d’avoir remporté ces marchés. »
"Nous leur avons proposé d’en discuter"
Il affirme avoir tenté de trouver un compromis : « On voulait sous-traiter à la Sopa. Nous avons fait une proposition de sous-traitance pour cette activité sur ces zones et de maintenir l’emploi. L’équarrissage n’est pas une activité délocalisable. Jusqu’alors, Sopa a refusé toute sous-traitance. Nous ce qu’on veut, en tant qu’actionnaire, c’est maintenir l’activité à Sopa. L’argument juridique consistant à dire que ce n’est pas compatible avec le statut, nous leur avons proposé d’en discuter, d’échanger avec nos juristes pour savoir si on pourrait trouver un moyen. Il y a un refus catégorique. Je comprends la déception de Sopa d’avoir perdu un marché, mais je reste optimiste. Sopa a d’autres marchés. L’équarrissage d’élevage représente moins d’un tiers des volumes de Sopa. Deux tiers de ses volumes subsistent, les déchets d’abattoirs. La force de Sopa, c’est sa collecte, on veut les aider à la développer. »
Ce n’est pas le méchant industriel allemand contre la petite entreprise française, ça, ce n’est pas vrai.
Hervé Fumery
Hervé Fumery indique que la poursuite de la collecte des déchets par l’ancien équarrisseur l’inquiète : « Sopa s’est enfermée dans une situation de non-droit et continue à collecter sans avoir de contrat, fait signer des papiers à des éleveurs… Sopa risque de ne pas être payée de ces prestations. Il faut vraiment qu’on sorte rapidement de cette situation, je vous le dis en tant qu’actionnaire. Nous sommes une filiale d’un groupe allemand qui appartient à 100% à une famille d’éleveurs. Ce n’est pas le méchant industriel allemand contre la petite entreprise française, ça, ce n’est pas vrai. Il faut que les éleveurs sachent qu’aujourd’hui il n’y a qu’un équarrisseur officiel. » Selon lui, le délai légal de collecte des ATM est de 2 jours francs.