Les fournisseurs des stations de ski se préparent aux conséquences dévastatrices d'une saison blanche. Entre emplois menacés et activité ralentie, le secteur demande des aides de l'Etat pour maintenir sa production en France.
Une activité au ralenti depuis le début de la saison et un carnet de commandes en berne pour les mois à venir. La filière alpine de production d'équipements de montagne, fragilisée par la fermeture des remontées mécaniques, s'inquiète des conséquences pour l'emploi dans les vallées de la région. "On s'attend à zéro commande de base pour l'année prochaine", s'alarme Bruno Cercley, le PDG du groupe Rossignol, premier fabriquant de skis en France, à l'unisson d'un secteur complétement dépendant du ski alpin, interdit cet hiver en France en raison de l'épidémie de Covid-19.
Pour 450 000 paires de skis achetés chaque année en France, environ 120 000 pourraient être commandées en France en 2021, "mais 100 000 sont déjà en stock chez les fournisseurs", explique Benjamin Thaller, le directeur exécutif d'Outdoor Sports Valley, l'association de la filière. Chez Rossignol, l'activité sera en baisse d'environ 40% cette saison, de 70 à 90% pour la saison prochaine, alors que les stations pourraient bien ne rouvrir qu'en décembre prochain.
Pourquoi un tel décalage ? Les stocks constitués pour cette saison ne s'écoulent pas et les besoins d'approvisionnement pour l'année suivante sont donc minimes. Les loueurs de skis, qui représentent 60% des paires achetées, renouvellent d'un tiers leur parc d'une saison sur l'autre. Mais cette année, le matériel n'est pas sorti et ils n'ont donc aucune raison d'en commander de nouveaux pour la saison prochaine.
"Chez nous, les prochains sous qu'on va rentrer, c'est en décembre 2022", lance de son côté Didier Bic, président de Kässbohrer France, qui vend et entretient des dameuses. Il sera très difficile pour les domaines skiables, qui ont fait presque zéro recettes cette saison, d'investir en 2021. L'achat de dameuses en 2022, s'il a lieu, conduira à des livraisons pour le début de l'hiver 2022-2023. "Ca fait deux ans sans rentrer un rond", résume-t-il.
"On vit d'investissements"
"On s'attend à un résultat absolument catastrophique sur l'année fiscale à venir", enchaîne Bruno Cercley. Le PDG du groupe Rossignol a arrêté l'essentiel de ses usines en France, à part pour des "niches" comme le ski de randonnée dont la pratique grimpe en flèche cette saison. Le fabricant d'équipements de sports d'hiver a déjà annoncé la suppression de 92 emplois en France il y a quelques mois pour "redimensionner" son activité industrielle liée au marché du ski et s'adapter à son "évolution profonde".
Poma, le leader français de la construction de remontées mécaniques, a déjà subi "un bon 15-20%" de perte d'activité en 2020 et s'attend 20% de chute supplémentaire en 2021", estime Jean Souchal, le président du directoire. "Nous, on vit d'investissements", résume-t-il, et "les investissements, c'est forcément les exploitants de remontées mécaniques qui vont les faire".
Ses usines, situées en région Auvergne-Rhône-Alpes, continuent à tourner, au ralenti : "La fabrication des cabines est divisée par trois cette année, c'est traumatisant", regrette Jean Souchal. La totalité des 850 salariés en France a été placée en activité partielle pour 20 à 40% de son temps de travail.
Un millier d'emplois menacés dans les Alpes
Les conséquences en cascade se multiplient : chez les installateurs de ces équipements - ils sont environ 500 en France - "peu de devis sont engagés", confirme Nadine Socquet, la présidente de leur filière au sein de la fédération du BTP. "On sent que c'est très fébrile" du côté des donneurs d'ordres, ajoute-t-elle, ce qui laisse craindre un exil de ces saisonniers très qualifiés et ainsi une perte de compétence.
Si les chiffres sont bien inférieurs à ceux des saisonniers de montagne, des craintes sur l'emploi se font jour dans la branche. Pour Outdoor Sports Valley, ce sont environ 1 000 emplois qui sont menacés dans la région alpine sur les 6 000 de la filière, "sans compter tout l'écosystème derrière" - bureaux d'étude et de marketing par exemple.
Benjamin Thaller regrette que "l'action du gouvernement se situe au-dessus de 1 000 mètres d'altitude" pour l'économie des stations, alors que "les fournisseurs devraient pouvoir bénéficier des mesures". "On a absolument besoin d'une aide, probablement sous la forme d'une compensation de nos frais fixes", poursuit Bruno Cercley, de Rossignol, pour "nous permettre de maintenir des usines en France".