Le tribunal administratif de Grenoble a suspendu mardi un arrêté autorisant la chasse au lagopède en Haute-Savoie. Les prélevements sur le massif du Taillefer, en Isère, ont également été bloqués. Une victoire pour la ligue de protection des oiseaux, incomprise de la fédération de chasse iséroise.
"D'un point de vue éthique, prélever dix lagopèdes, c'est dix de trop. C'est une question de responsabilité." De cet oiseau d'origine nordique aux allures de pigeon, installé dans les Alpes depuis 20 000 ans, Jean-François Desmet, biologiste pour le groupe de recherche et d'information sur la faune de montagne (Grifem) et membre de la ligue de protection des oiseaux (LPO), pourrait parler durant des heures. Voilà plusieurs années qu'il étudie les variations de populations en Haute-Savoie, ainsi que les menaces qui pèsent sur cette espèce, considérée comme une "relique glaciaire".Parmi elles, la chasse. "On ne veut pas taper seulement sur les chasseurs, explique le scientifique. Mais certaines menaces sont plus faciles à gérer que d'autres." Mardi 20 octobre, la LPO, association reconnue d'utilité publique, a obtenu une petite victoire dans sa lutte pour la protection du lagopède. Le tribunal administratif de Grenoble a suspendu totalement un arrêté du préfet de Haute-Savoie autorisant la chasse de cet oiseau pour la saison 2020. Le massif du Taillefer, en Isère a également été visé par cette ordonnance.
"C'est une chasse très difficile"
Pour la fédération de chasse iséroise, cette décision n'est pas justifiée. "A notre avis, cette espèce n'est pas menacée, assure Alain Siaud, vice-président de la fédération. On suit les populations. On sait que cette année, la reproduction a été très bonne. Nos chasseurs sont sur le terrain, ils nous disent ce qu'il se passe." La "perdrix blanche" fait partie des 19 espèces d'oiseau inscrites sur la liste rouge de l'union internationale pour la conservation de la nature, organisme qui précise que "l’incertitude sur la taille réelle de sa population laisse subsister un doute sur [les impacts des prélèvements cynégétiques, ndlr]".Sébastien Zimmermann, technicien petit gibier de montagne à la fédération, précise l'action des veneurs : "On compte deux fois dans l'année, une fois au printemps, avec le chant des coqs et une fois en été, avec les chiens d'arrêt. On n'a pas pu effectuer le comptage d'été sur le massif du Taillefer cette année [en raison de la présence de troupeaux de moutons, ndlr]. Mais dans le reste du département, le taux de reproduction du lagopède est de 0,9 jeune par adulte. L'office français de la biodiversité, avec lequel on travaille, nous autorise à chasser cette espèce à partir d'un taux de reproduction de 0,4 jeune par adulte."
La chasse au lagopède fait l'objet de nombreuses restrictions. Elle ne peut avoir lieu que du troisième dimanche de septembre au 11 novembre, et pas plus de quatre jours par semaine. Les chasseurs doivent également remplir un carnet de prélèvement, acheté auprès de la fédération. Des contraintes réglementaires auxquelles s'ajoute la difficulté à débusquer le volatile.
Introuvable en dessous de 1 800 mètres d'altitude, le lagopède est un gibier de luxe. "C'est une chasse très difficile pour les hommes et les chiens. La sortie en montagne, parfois à 3 000 mètres d'altitude, peut durer huit heures. Très peu de chasseurs pratiquent encore", souligne Sébastien Zimmermann. Entre 200 et 300 chasseurs, sur 17 500, traqueraient le lagopède en Isère, selon le vice-président de la fédération. En 2019, 5 "perdrix blanches", ont été tuées. "Il y a surtout eu des abus avant les années 90, mesure Jean-François Desmet. C'était alors un snobisme de faire des banquets avec du gibier de montagne pour les citadins. On y servait notamment du lagopède."
Le pâturage ovin et le développement des activités de montagne menacent également le lagopède
Le biologiste n'a aucune donnée récente sur cet oiseau dans les massifs haut-savoyards des Bauges, du Chablais et des Bornes. "L'espèce semble avoir disparu dans ces zones", déplore-t-il. Si la chasse représente un péril pour le lagopède, elle n'est pas la seule chose à menacer sa survie. En plus de ses prédateurs naturels (renards, rapaces, marmottes...) le galliforme, qui ne survit que dans les zones froides, est particulièrement sensible au changement climatique. "Il y a quarante ans, on trouvait encore des nids à 1 600 mètres d'altitude. Maintenant, il est rare d'en trouver en dessous de 1 900. Le Lago est obligé de s'élever et son habitat se réduit", assure le scientifique.Autre menace d'envergure : l'accroissement des zones de pâturage ovin. Les nids, qui se trouvent au sol, peuvent être piétinés par les moutons. "Les chiens de protection ont aussi tendance à gober poussins et poules", précise Jean-François Desmet. Enfin, le développement des activités de tourisme en montagne vient assombrir un peu plus l'avenir de cette "relique glacière". "Avec l'essor des activités touristiques comme le VTT par exemple, en plus du dérangement, il y a un risque d'écrasement des lagopèdes, continue-t-il. C'est un oiseau très terrestre. L'extension des domaines skiables est également inquiétante : cela détruit son habitat naturel. D'autre part, beaucoup d'oiseaux sont tués dans les déclenchements d'avalanche, par les ondes de choc ou bien embarqués par les coulées de neige."
Selon la LPO, le nombre de communes de présence régulière de l’espèce dans les Alpes françaises a diminué de 34% depuis les années 50.